Olivier Delattre, Grand Prix 2022

Meilleur diagnostic, traitements innovants, les travaux sur les cancers de l’enfant d’Olivier Delattre – chercheur à temps plein, mais toujours pédiatre dans l’âme – ont porté leurs fruits. Son insatiable curiosité et son obstination à percer les mystères de ces maladies lui valent de recevoir le Grand Prix.

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Pédiatre un jour, pédiatre toujours

Portrait d'Olivier Delattre
Olivier Delattre, Grand Prix 2022– unité 830 Inserm/Institut Curie, Paris ©Inserm/François Guénet

« Au moment de choisir mes études supérieures, pas mal de domaines m’intéressaient :la science, la justice, les rapports sociaux et l’injustice, l’humain, le relationnel... La médecine m’a semblé un bon compromis qui me permettrait d’exploiter tous mes centres d’intérêt », explique Olivier Delattre, directeur de l’unité Inserm Cancer, hétérogénéité, instabilité et plasticité à l’Institut Curie à Paris. En 1975, il débute donc des études de médecine qui le conduisent à faire un stage d’internat en pédiatrie, « un peu par hasard, reconnaît-il. Mais j’y ai vite pris goût ». En 1982, il effectue son service militaire en coopération à l’Hôpital principal de Dakar au Sénégal. Il ne le mesure pas encore, mais ce sera sans doute l’expérience fondatrice de son futur parcours professionnel. « J’y passe une année formidablement formatrice. Le travail y revêt un aspect social très enrichissant et on y soigne des enfants, ce qui est très gratifiant, décrit-il. Néanmoins, la moitié des enfants que je soigne vont mourir soit de malnutrition, soit de maladie infectieuse faute de vaccination. Je me dis que nous, les médecins, sommes au bout de la chaîne et que la solution est en amont. »

Photo de groupe de l'équipe dirigé par Olivier Delattre.
Olivier Delattre entouré des membres de l’unité Cancer, hétérogénéité, instabilité et plasticité, parmi lesquels ceux de l’équipe Diversité et plasticité des tumeurs de l’enfant (DEPICT) qu’il dirige ©Inserm/François Guénet

Malgré ce premier signal, Olivier Delattre poursuit son internat, notamment dans le service d’oncologie pédiatrique de l’Institut Curie. « C’est alors que j’ai lu une revue rédigée par Jean-Paul Lévy, médecin et chercheur Inserm, qui traitait des oncogènes, ces gènes impliqués dans les cancers, se souvient-il. Ça m’a fasciné. Je me suis dit : il y a enfin une piste pour mieux comprendre et traiter les cancers. Je veux travailler là- dessus ! » Aussitôt dit, aussitôt fait : le pédiatre prend deux ans de disponibilité de son internat pour suivre une maîtrise et un DEA, équivalents des actuels masters 1 et 2, en biologie. Il passe la première année dans le laboratoire de Gilles Thomas à l’Institut Curie, la suivante dans l’équipe de Richard Breathnach alors dans le laboratoire de Pierre Chambon à l’Institut de chimie biologique de la Faculté de médecine de Strasbourg. Pour finir, il rejoint pour quelques mois James Gusella au Massachusetts General Hospital de Boston aux États- Unis. Son intérêt pour la recherche en oncologie se confirme, mais difficile encore de choisir entre la carrière de pédiatre ou de chercheur.

Pédiatre le jour, chercheur la nuit

Il reprend son internat à l’Institut Curie tout en se lançant dans une thèse de biologie dans le laboratoire de Gilles Thomas. « Pendant deux ans, j’étais pédiatre le jour et chercheur la nuit... » Malgré la charge de travail, Olivier Delattre obtient son doctorat en médecine en 1990 et celui en science l’année suivante. Mais pas question de continuer à ce rythme sous peine de ne rien faire correctement. L’heure du choix est arrivée : soigner les jeunes malades ou leur chercher des traitements ?Ce sera la seconde voie ; l’Inserm, dont il réussit le concours de chargé de recherche en 1991, ayant fait pencher la balance. « Deux points m’ont séduit à l’Inserm. D’une part son interdisciplinarité, d’autre part la liberté dont jouissent les chercheurs, explique- t‑il. Nous avons toute latitude pour développer des projets, du moment qu’ils sont bien évalués, et notre poste est national. On peut donc bouger, ce qui était, et est toujours, très important pour moi ; une liberté dont je n’ai pas abusé puisque je suis toujours à l’Institut Curie... » Olivier Delattre est donc chercheur, mais selon l’adage « pédiatre un jour, pédiatre toujours », il choisit d’étudier les cancers de l’enfant, toujours dans l’équipe de Gilles Thomas. « D’un point de vue humain, ces cancers sont une véritable injustice ! s’insurge-t-il. Et scientifiquement, leur étude est relativement facilitée du fait qu’ils sont génétiquement stables et constituent ainsi des “modèles simplifiés” de tumeurs de l’adulte. »

Une enquête au long cours

Dès 1992, il est impliqué dans une première mondiale. L’équipe identifie et caractérise les gènes remaniés par une translocation – un échange de matériel génétique entre deux chromosomes – à l’origine du sarcome d’Ewing, un cancer des os de l’enfant et du jeune adulte. Dans la foulée, elle montre que la protéine EWS-FLI (pour Ewing Sarcoma – Friend Leukemia Integration), issue de ce remaniement, favorise l’expression de gènes impliqués dans la prolifération anormale des cellules. « À l’époque, j’étais naïf. Je me disais : puisqu’on connaît le gène, on va comprendre la fonction de la protéine qu’il code, et on pourra inhiber celle-ci pour soigner ce cancer, reconnaît-il. Trente ans après, on a bien avancé, mais on n’a pas encore de traitement spécifique... » Et pour cause : « À chaque fois, la cellule trouve une voie pour y échapper, poursuit-il. Néanmoins, la protéine coupable n’agit pas seule. Nous – et d’autre équipes dans le monde – essayons donc de cibler ses complices. » Ainsi, en 2022, l’équipe d’Olivier Delattre a observé que EWS-FLI induit l’expression de peptides présents uniquement dans les cellules du sarcome. Si cette « signature protéique »se confirme, l’immunothérapie ciblée pourrait être envisageable afin que le système immunitaire des malades élimine ces cellules tumorales. En matière de diagnostic, les retombées des premiers travaux sur ce sarcome ont été plus immédiates. La « signature génétique » ouvrait en effet la voie à un diagnostic précoce et à un meilleur suivi de cette maladie. Pour répondre à cette attente des médecins, « il était impératif d’avoir des protocoles de diagnostic standardisés, ce qui était incompatible avec notre activité de recherche, souligne le chercheur. J’ai donc transféré notre savoir-faire pour une application clinique et créé en 1995, pour le secteur hospitalier de l’Institut Curie, la première unité de génétique somatique française. »

Des découvertes en cascade

L’année 1995 marque également un nouveau tournant dans son parcours. Alors que Gilles Thomas déménage au Centre d’étude du polymorphisme humain (CEPH) au sein de l’hôpital Saint-Louis à Paris, Olivier Delattre choisit de monter sa propre équipe à l’Institut Curie, qui sera labellisée Inserm en 1998. Avec Alain Aurias, qui est également resté, il se penche alors sur les tumeurs rhabdoïdes. Ces cancers rares, mais très agressifs, sont hétérogènes. Rein, système nerveux central, mais aussi foie, os... peuvent être touchés. Les deux chercheurs en identifient le point commun : les cellules de ces tumeurs ont perdu le gène SMARCB1, qui code une des protéines d’un complexe protéique particulier. Normalement, ce complexe régule finement l’expression d’un ensemble de gènes qui, ainsi coordonnés, ont un effet suppresseur de tumeurs. Revers de la médaille : quand une des protéines du complexe est absente ou anormale, cette régulation est mise à mal, ce qui favorise l’apparition du cancer. Cette identification a tout d’abord amélioré le diagnostic des tumeurs rhabdoïdes de l’enfant, puis elle a entraîné une avalanche de découvertes. « On sait maintenant que des altérations de ce complexe sont observées dans près de 20 % des cancers pédiatriques et adultes », indique Olivier Delattre. En outre, certaines sont associées à l’hyperactivité d’une protéine, EZH2, qui favorise la prolifération anormale des cellules. Ces connaissances ont permis la mise au point d’un inhibiteur de EZH2, le tazemetostat, développé par la société EpiZyme, qui est actuellement évalué chez des malades, enfants et adultes, pour différents cancers. En parallèle, l’équipe d’Olivier Delattre s’est intéressée au neuroblastome, dont la particularité ne pouvait qu’aiguiser la curiosité du chercheur. « Cette tumeur maligne solide extra-crânienne qui touche les jeunes enfants a un comportement fascinant. Chez certains, elle est très agressive, résistante aux traitements, quand chez d’autres, elle régresse spontanément, explique-t-il. Nous avons montré qu’une des causes de cette différence d’évolution est due à la présence ou non de mutations de la protéine ALK (anaplastic lymphoma kinase), située sur la membrane des cellules tumorales. » Sa version mutée pousse en effet les cellules à proliférer sans cesse. Là encore, ces travaux ont eu deux retombées majeures : un diagnostic à valeur prédictive de l’évolution des tumeurs, et des traitements potentiels. En la matière, plusieurs médicaments sont en cours d’évaluation dans le monde.

Portraits de 4 médecins/chercheurs avec lesquels Olivier Delattre collabore.
Franck Bourdeaut, Isabelle Janoveix-Lerosey, Jean Michon et Gudrun Schleiermacher ©Inserm/François Guénet

Les enfants d’abord

En trois décennies, Olivier Delattre, « avec les autres équipes de l’unité, dédiées à l’oncologie pédiatrique, soit une cinquantaine de chercheurs et de médecins-chercheurs », complète-t-il, a largement contribué à améliorer les connaissances des cancers des plus jeunes. Mais peut-être que ce qui définit le mieux son parcours est le centre SIREDO (Soins, innovation, recherche en oncologie de l’enfant, de l’adolescent et de l’adulte jeune), qu’il a fondé en 2018 et qu’il dirige depuis. « Nous avons réuni au sein d’une même entité les équipes de soins et de recherche de l’Institut Curie qui se consacrent aux tumeurs solides touchant les moins de 25 ans, décrit-il. L’idée est que les uns et les autres apprennent à se connaître, partagent des espaces de réflexion et développent des projets communs ; l’objectif étant que les recherches très fondamentales bénéficient au plus vite aux jeunes malades. » Cette volonté de contribuer à soigner plus de malades, et encore mieux, a toujours animé Olivier Delattre et elle est aujourd’hui saluée par le Grand Prix. « Une reconnaissance de l’Inserm dont je suis très fier et très honoré, souligne le chercheur dont la curiosité reste intacte. Le cancer est un objet biologique étrange. Il est observé dans quasi tout le règne animal et végétal, et chez l’humain, c’est une maladie fréquente. Or, à l’échelle cellulaire, c’est un phénomène extrêmement rare : sur le billiard de cellules que compte un individu, une seule devient cancéreuse alors qu’elle dispose d’une variété de mécanismes pour y arriver. Il y a là un paradoxe entre multiplicité et rareté qui interroge encore le chercheur que je suis... »

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Olivier Delattre © Inserm/Guénet, François