Thomas Baumert, à la recherche de solutions innovantes contre la fibrose et le cancer du foie

Causé par les hépatites virales, la « maladie du foie gras » ou l’alcoolisme, le cancer du foie est l’un des plus mortels dans le monde, avec près d’un million de décès chaque année. Pour lutter contre cette maladie, il est indispensable de parfaitement comprendre les voies cellulaires mises en jeu. C’est ce à quoi Thomas Baumert – médecin, chercheur et entrepreneur – dédie sa recherche depuis plus de 20 ans, dessinant aujourd’hui de nouvelles perspectives thérapeutiques...

Thomas Baumert © Inserm/E. Begouen
Thomas Baumert © Inserm/E. Begouen

Thomas Baumert* est un chercheur infatigable. Récompensé à plusieurs reprises pour la qualité de ses travaux sur les maladies du foie – dont le prix Galien en 2014 et le prix Mémain-Pelletier de l’Académie des sciences en 2020 – il est pour la quatrième fois lauréat d’un financement du Conseil européen de la recherche (ERC). « Les 2,5 millions d’euros qui m’ont été attribués vont me permettre d’étoffer l’équipe de recherche qui est engagée à mes côtés sur le programme FIBCAN**. Ce projet vise à développer de nouveaux traitements préventifs ou curatifs de la fibrose et du cancer du foie. »

Les hépatites chroniques d’origine virale, l’alcoolisme ou la stéatohépatite non alcoolique (encore appelée « maladie du soda » ou « du foie gras », liée à la sédentarité et à une alimentation inadaptée) favorisent la fibrose du foie. Or en l’absence de traitement, cette dernière progresse vers la cirrhose puis le carcinome hépatocellulaire, un cancer dont le pronostic est particulièrement sombre. « Si les maladies du foie à risque d’évolution tumorale sont différentes, les processus moléculaires qu’elles déclenchent ont en réalité des éléments communs. C’est une observation très intéressante car elle sous-entend qu’un même traitement capable de prévenir l’évolution tumorale par le blocage de ces voies moléculaires pourrait être proposé dans chacune des différentes maladies à risque. »

Atlas moléculaire

Voilà près de 20 ans que Thomas Baumert se penche sur le fonctionnement des cellules du foie. Hépatologue de formation, il a débuté sa carrière en Allemagne avant de s’envoler parfaire ses connaissances en recherche clinique aux États-Unis : il est en effet passé par des laboratoires de Harvard et des National Institutes of Health (NIH) avant de revenir à Fribourg, où il a complété son parcours clinique et a inauguré un laboratoire dédié à la pathogenèse moléculaire des maladies du foie. C’est en 2006 que le médecin et chercheur rejoint l’université de Strasbourg où il crée une nouvelle unité Inserm. Depuis, il dirige l’Institut de recherche sur les maladies virales et hépatiques, ainsi que le laboratoire d’excellence HepSYS, à Strasbourg. « L’originalité de notre approche repose notamment sur les techniques utilisées et sur l’importance donnée à la recherche translationnelle. Notre volonté est de pouvoir proposer des applications cliniques aussi vite que possible après une découverte fondamentale. »

Avec des équipes partenaires aux Hôpitaux universitaires de Strasbourg et à l’institut Max-Planck à Fribourg, il a récemment dressé un atlas précis de la biologie des cellules du foie, saines et cancéreuses, par séquençage des ARN de cellules uniques prélevées chez des malades et des personnes témoins : « Ce travail a permis de mieux décrire l’origine et le développement des différentes cellules hépatiques, ainsi que les interactions qui existent entre elles », explique-t-il. À partir de prélèvements issus de malades, les chercheurs ont également pu évaluer la façon dont les cellules du foie cancéreuses modifient leur microenvironnement et conduisent les cellules saines à modifier leur fonctionnement. In fine, l’ensemble de ce travail offre un état des lieux exhaustif des mécanismes moléculaires qui régissent l’architecture et la fonctionnalité cellulaire au niveau hépatique, en situation physiologique et pathologique. Une base précieuse pour envisager des traitements innovants.

Des cellules infectées par le virus de l'hépatite C accumulent de grosses gouttelettes lipidiques, un phénomène appelé stéatose qui contribue au développement d'une fibrose du foie.
Des cellules infectées par le virus de l’hépatite C accumulent de grosses gouttelettes lipidiques, un phénomène appelé stéatose qui contribue au développement d’une fibrose du foie chez les patients atteints d’hépatite chronique C. © Inserm/Philippe Roingeard

Claudine‑1 : une protéine d’intérêt

Grâce à ce nouveau financement européen, Thomas Baumert prévoit notamment d’explorer une voie cellulaire d’intérêt : celle de la claudine‑1 (CLDN1). « Les financements de l’ERC que j’ai obtenus précédemment nous ont permis de décrire l’importance de cette protéine dans le mécanisme d’entrée et de dissémination du virus de l’hépatite C (VHC) dans les cellules du foie. Nous avons donc étudié son potentiel en tant que cible thérapeutique dans le traitement de l’infection chronique à VHC. Or ces travaux nous ont conduit à mettre en évidence que la claudine‑1 induit elle-même des signaux qui favorisent la fibrose et l’évolution tumorale. C’est un élément important puisque, jusqu’à présent, on évoquait surtout la cancérisation comme une conséquence de l’inflammation chronique et de la fibrose du foie. Il existerait en réalité des voies moléculaires spécifiques. Cibler CLDN1 pourrait donc être intéressant pour prévenir l’évolution tumorale de maladies du foie, qu’elles soient ou non liées à un virus. » Cette perspective est particulièrement prometteuse à l’heure où l’incidence de la stéatohépatite non alcoolique explose dans les pays occidentaux.

Avec son laboratoire, le chercheur a mis au point un premier candidat médicament, un anticorps monoclonal qui cible CLDN1, dont les premières évaluations précliniques viennent de se terminer. Pour cela, le laboratoire a développé des sphéroïdes, « des mini-organes fidèles à l’architecture cellulaire tridimensionnelle du foie, qui permettent de mieux prédire l’efficacité clinique que pourraient avoir les candidats médicaments ». Il dispose aussi d’une plateforme bioinformatique pour l’intégration de tous les résultats issus des expérimentations conduites ex vivo ou in vivo, à partir desquels une analyse computationnelle peut identifier des voies ou des cibles moléculaires d’intérêt.

Thomas Baumert a également créé une start-up qui développe d’autres anticorps monoclonaux pour le traitement de la fibrose et le cancer du foie. « Ce nouveau financement de l’ERC est une vraie reconnaissance pour le travail déjà engagé par mon équipe. Il devrait nous permettre de voir nos travaux aboutir et se concrétiser. »

Note :
*Unité 1110 Inserm/Université de Strasbourg, Institut de recherche sur les maladies virales et hépatiques (Strasbourg).
** Stratégies ciblées pour la prévention et le traitement du cancer du foie associé à la fibrose (Targeted strategies for prevention and treatment of fibrosis-associated liver cancer – FIBCAN)

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