Pierre Léopold : « Pourquoi ai-je deux bras de la même longueur ? »

Pour répondre à cette question faussement simple, Pierre Léopold, directeur de recherche à l’Inserm, responsable d’une équipe à l’Institut de biologie Valrose (Nice), a bénéficié de deux bourses successives attribuées par le Conseil européen de la recherche (ERC Advanced Grant).

Pierre Léopold © Inserm/Latron, Patrice
Pierre Léopold en 2011© Inserm/P. Latron 

Comment est né votre projet de recherche sur la croissance ?

J’étais et je reste, passionné par les questions relatives au développement du corps. J’ai fait ma thèse à l’époque des grandes découvertes sur l’embryogénèse concernant le développement de l’organisme. J’ai commencé à travailler sur la drosophile, modèle « roi » pour étudier ces questions. A l’université de Californie, où j’ai fait mon « post-doctorat », j’essayais de comprendre comment la prolifération cellulaire est contrôlée par les signaux de développement. Je suis ensuite logiquement passé de la question de l’organisation des cellules au sein des organes au problème quantitatif de la croissance, la production de la masse des tissus. 

Et vous rapportez vos questions en France...

Oui. Après un démarrage avec un financement ATIP-Avenir, mon équipe trouve en 1998 un environnement favorable à l’université de Nice. Nous voulions d’abord comprendre comment l’organisme adapte sa croissance à la quantité de nourriture disponible. Avec des techniques de criblage génétique, nous avons identifié l’organe relai entre l’information nutritionnelle et la croissance (orchestrée par le cerveau). C’est le corps gras, l’équivalent chez les insectes du tissu adipeux et du foie des vertébrés. 

Pourquoi postuler à une bourse ERC ?

En 2010, c’était le bon moment : nous avions ouvert un domaine combinant génétique et physiologie, et publié nos résultats dans les grandes revues. Un financement important de type ERC pouvait nous donner une autonomie totale pendant 5 ans ! J’ai donc écrit un projet, appelé GroLeo, en deux volets. L’un consiste à identifier les messagers moléculaires qui transmettent l’information entre le corps gras et le cerveau. L’autre pose une question nouvelle fondée sur des constatations anciennes : si on ralentit la croissance d’un organe par blessure ou par des moyens génétiques, le développement de l’organisme complet ralentit le temps de la réparation, pour préserver l’harmonie des proportions du futur adulte. En particulier, la métamorphose – l’équivalent de la puberté et du moment où la taille adulte est atteinte – est retardée. Donc un signal part des ébauches d’organes pour moduler le déclenchement de la métamorphose par le cerveau. Mais quel est ce signal ? 

Quel bilan en tirez-vous ?

Le projet accepté, nous nous sommes dotés d’outils, en particulier d’un indispensable microscope confocal. J’ai pu recruter des doctorants et postdoctorants qui ont fait un travail remarquable. Résultat, nous avons atteint tous nos buts ! Nous avons trouvé des messages du corps gras répondant à l’information nutritionnelle. Le signal de coordination de la métamorphose a également été identifié : c’est une relaxine, codée par le gène Dilp8. La visibilité de l’équipe ainsi augmentée, j’ai obtenu une deuxième bourse ERC en 2015, pour un projet appelé Vitruvius. 

Sur quoi porte-t-il ?

A la suite de GroLeo, il s’agit d’identifier par quels mécanismes Dilp8 agit sur le cerveau et voir comment le signal redescend vers les organes périphériques. Ensuite il faut comprendre comment ces derniers se coordonnent entre eux : pourquoi par exemple les deux ailes ont la même longueur, ce qui n’est plus le cas en l’absence de Dilp8. 

Est-ce que ces mécanismes semblent transposables aux vertébrés ?

Oui, et c’est l’objet du troisième volet de Vitruvius. Nous transposerons ces questions sur l’axolotl, une sorte de salamandre qui sert de modèle pour la régénération tissulaire. Nous savons d’ores et déjà que Dilp8 est une relaxine, une famille d’hormone conservée chez les vertébrés, et dont certaines sont potentiellement actives dans le moignon d’un membre amputé. 

En savoir plus sur Pierre Léopold et ses travaux

Pierre Léopold dirige l’équipe Prolifération et contrôle de la croissance au cours du développement chez la drosophile au sein de l’unité 1091 Inserm/CNRS/Université de Nice, à l’Institut de biologie Valrose (Nice). Il a reçu un Prix Recherche Inserm en 2011. 

Pierre Léopold, Prix Recherche 2011 – portrait vidéo – 3min 19

À lire aussi

Mise à jour – Janvier 2019

Pierre Léopold dirige désormais l’équipe Génétique et physiologie de la croissance, à l’Institut Curie à Paris (unité 934 Inserm/CNRS/UPMC/Institut Curie)