Nicolas L’Heureux tisse et tricote les vaisseaux sanguins artificiels du futur

Chez les patients en insuffisance rénale chronique terminale traités par hémodialyse, les veines et artères, piquées plusieurs fois par semaine, finissent par céder. Il faut alors les remplacer. Mais les prothèses actuelles ne sont pas durablement acceptées par l’organisme. Nicolas L’Heureux, directeur de recherche à l’Inserm, travaille donc sur de nouveaux vaisseaux sanguins artificiels, tissés et sans polyesters.

Quel est l’objectif du projet pour lequel vous avez reçu une bourse Advanced Grant du Conseil européen de la recherche (ERC) ?

L’objectif est de produire un nouveau modèle de vaisseaux sanguins artificiels qui, contrairement à ceux d’aujourd’hui, sont dépourvus de polyester. Quand on remplace une veine ou une artère, le substitut doit être immédiatement résistant à la pression artérielle. C’est pourquoi les prothèses actuelles ne sont pas obtenues simplement en cultivant des cellules et en renforçant leur cohésion avec du gel de collagène, comme on peut le fait lors des greffes de peau : même si ce produit est naturel, il a été dénaturé lors de sa préparation. Le système immunitaire du greffé l’identifie comme endommagé et, en l’attaquant, fragilise le tissu. Aujourd’hui, les fabricants combinent donc les cultures de cellules à une matrice synthétique à base de polyester : les globules blancs ne savent pas dégrader celle-ci. En revanche, face à elle, ils induisent des inflammations chroniques, qui finissent par épaissir la paroi interne de la prothèse, au point de la boucher. La prothèse doit être remplacée à son tour. 

Cela fait 20 ans que vous travaillez à la mise au point de tels vaisseaux artificiels biologiques. Quels sont les obstacles rencontrés ?

J’ai effectivement commencé à travailler sur le sujet dès mon doctorat, obtenu en 1996. Dans un premier temps, il s’agissait d’arriver à cultiver les cellules du patient en les incitant à produire elles-mêmes le collagène qui renforce leur cohésion. Ainsi, on obtient des feuillets de tissus très robustes, sans molécule synthétique. En roulant ces feuillets autour d’une tige, en plusieurs couches superposées, puis en plaçant l’ensemble dans un bioréacteur, toutes les strates fusionnent. Les vaisseaux ainsi conçus ont des parois épaisses et résistantes, capables de supporter des pressions élevées, jusqu’à 2 500 mm de mercure, soit un peu moins que ce que peut tolérer une artère sans éclater (3 000 mmHg) mais bien plus que la pression artérielle normale (80 à 120 mmHg). Les premiers essais, réalisés dans les années 2000, étaient très prometteurs. Mais cette solution était très coûteuse, elle aurait été difficile à commercialiser. Les délais de production étaient longs et, parce qu’il s’agissait de greffes réalisées à partir des cellules du patient lui-même (greffes autologues), il était impossible d’avoir des vaisseaux disponibles à l’avance, au moment où le malade en a besoin. Quand j’ai intégré l’Inserm à Bordeaux, en 2015, j’ai donc développé une nouvelle approche. Celle-ci consiste, une fois que les feuillets sont prêts, à tuer les cellules sans altérer la matrice en collagène. Ainsi, le matériel, universel et stabilisé, pourrait être stocké et utilisé au besoin, même entre individus non apparentés. Une fois implanté, on espère qu’il sera naturellement recolonisé par les cellules du patient. Autre changement : plutôt que de superposer les feuillets et d’attendre qu’ils fusionnent, nous les découpons en fines lanières. En torsadant ces bandes comme des fils, puis en les tissant ou tricotant, on peut obtenir des vaisseaux très résistants. 

À quoi va vous servir ce financement de 2,5 millions d’euros sur cinq ans apporté par l’ERC ?

Il va permettre d’agrandir l’équipe du laboratoire BioTis, l’unité mixte de recherche Inserm/Université de Bordeaux spécialisée dans la bioingénierie de tissus que je dirige. Nous allons recruter des chercheurs, techniciens et post-doctorants qui seront entièrement dédiés à la mise au point des premiers essais visant à vérifier la résistance mécanique de nos vaisseaux artificiels et la bonne tolérance du système immunitaire à leur égard. Ce travail sera dans un premier temps conduit chez le mouton car ces animaux ont des vaisseaux de taille équivalente à ceux de l’humain.

En savoir plus sur les travaux de Nicolas L’Heureux

Nicolas L’Heureux est directeur adjoint de l’unité de recherche Bioingénierie tissulaire (BioTis, unité 1026 Inserm/Université de Bordeaux). 

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