Anne Eichmann : apprendre à manipuler la barrière endothéliale pour soigner

Dans notre corps, un réseau des cellules endothéliales sépare les liquides circulants, c’est-à-dire le sang et la lymphe, du milieu intérieur des tissus et organes. Cependant, le fonctionnement de cette barrière endothéliale diffère d’un organe à l’autre. Un pied aux Etats-Unis, l’autre en France, Anne Eichmann est passionnée par cette versatilité. Elle vient d’obtenir un financement du Conseil européen de la recherche (ERC Advanced Grant) afin d’en identifier les régulateurs clés : ces derniers constitueront autant de cibles thérapeutiques potentielles pour traiter différentes pathologies.

Anne Eichmann

Comment avez-vous commencé à travailler sur les cellules endothéliales ?

J’avais engagé des études vétérinaires à Berlin, mais j’ai décidé de bifurquer vers la biologie humaine. Pour cela, j’ai commencé un nouveau cursus en Israël, à l’Institut Weizmann. J’y ai découvert le travail en laboratoire et ma vocation pour la recherche s’est éveillée. J’ai ensuite rejoint la France pour préparer ma thèse de doctorat à l’Institut d’embryologie du Collège de France, dirigée par mon mentor Nicole Le Douarin. J’y suis finalement restée plus de 10 ans ! C’est au Collège de France que j’ai dirigé ma première équipe et que j’ai commencé à travailler sur les cellules endothéliales qui sont aujourd’hui au cœur de mon travail. La biologie vasculaire est un domaine fascinant. Le tissu endothélial est très étendu à l’échelle de l’organisme : sa surface chez un humain adulte peut couvrir celle d’un terrain de tennis ! Par ailleurs, les cellules endothéliales jouent un rôle central dans les échanges de gaz, de médiateurs immunitaires ou de nutriments entre le sang ou la lymphe et les organes. 

Il existerait plus de 80 maladies touchant les cellules endothéliales. D’où vient cette diversité ?

Les cellules endothéliales forment une barrière entre l’intérieur des vaisseaux sanguins ou lymphatiques, et les tissus qu’ils traversent. Or, si la constitution du tissu endothélial est globalement identique où qu’il se situe dans l’organisme, son fonctionnement peut être très disparate, variant d’une très grande porosité à une très grande étanchéité. Devant cette diversité, on comprend que l’étiologie des dysfonctionnements le touchant soit également diversifiée : il peut s’agir d’infections bactériennes ou virales, d’allergies (respiratoires notamment), de maladies inflammatoires (psoriasis, maladie de Crohn…), de maladies neurodégénératives ou de cancers. L’enjeu est vaste car, malgré l’importance de ce tissu dans l’organisme, son fonctionnement est encore mal connu. J’ambitionne de mieux comprendre les mécanismes cellulaires et facteurs moléculaires permettant au tissu endothélial d’adopter une telle diversité de comportement. Je souhaite aussi identifier les mécanismes physiopathologiques associés, avec l’objectif de définir de nouvelles approches thérapeutiques à plus long terme. 

Quelles pistes de recherche allez-vous développer dans le cadre du financement ERC que vous avez obtenu ?

Nos précédents travaux ont notamment révélé le rôle d’un facteur de croissance, le VEGF‑A, dans la néo-vascularisation et l’imperméabilité des vaisseaux lymphatiques de l’intestin. L’action du VEGF‑A sur les vaisseaux lymphatiques intestinaux jouerait ainsi un rôle non négligeable dans l’obésité. Plus récemment, nous avons réussi à modifier l’étanchéité naturelle de la barrière hémato-encéphalique (BHE), en modifiant l’expression de gènes codant pour des protéines transmembranaires endothéliales contribuant aux jonctions intercellulaires serrées (tight-junctions). Cette découverte nous permet d’envisager de cibler ces protéines avec des anticorps monoclonaux spécifiques, afin de bloquer leur fonctionnement et de permettre le passage transitoire de médicaments vers le tissu du système nerveux central. Enfin, nous avons décrit certains mécanismes impliqués dans la porosité des vaisseaux lymphatiques et l’œdème chronique. 

Avec le projet Breaking Barriers financé par l’ERC, nous voulons acquérir une meilleure compréhension des mécanismes impliqués dans la coordination de la fonction barrière de l’endothélium et trouver comment les manipuler à des fins thérapeutiques. Ces travaux seront conduits à travers les deux exemples extrêmes de la BHE et des vaisseaux lymphatiques, dans lesquels les jonctions entre cellules endothéliales sont très serrées ou très ouvertes. Le financement de l’ERC, d’un total de 2,5 millions d’euros sur 5 ans, va nous permettre de mener une recherche conceptuellement ambitieuse avec des approches de haute technologie. Il nous permet d’être encore plus compétitifs et capables de découvertes à potentiel translationnel et thérapeutique. 

Anne Eichmann est responsable de l’équipe Vascular development and disease, au Centre de recherche cardiovasculaire (PARCC – unité 970 Inserm/Université Paris Descartes), Paris.