Charlotte Proudhon croise épigénétique et dépistage du cancer

Charlotte Proudhon est une pure généticienne. Pendant plus de quinze ans, elle a travaillé dans des laboratoires spécialisés dans l’étude de l’ADN jusqu’à ce qu’elle obtienne, en 2022, un financement du Conseil européen de la recherche pour monter sa propre équipe Inserm. Son but ? Utiliser ses connaissances pour développer un test de dépistage universel du cancer, réalisable à partir d’une simple prise de sang.

À l’Institut de recherche en santé environnementale et travail à Rennes, Charlotte Proudhon et son équipe espèrent parvenir à développer une technique de dépistage des cancers universelle et non invasive. L’analyse d’une simple prise de sang permettrait de savoir si un patient est atteint d’un cancer et, si c’est le cas, de savoir où ce dernier se loge. On parle de « biopsie liquide ». Cette avancée marquerait un tournant inouï dans la lutte contre cette maladie. Preuve qu’elle n’est pas la seule à y croire, Charlotte Proudhon a obtenu un financement européen de 1,5 million d’euros (sur 5 ans) pour accélérer les travaux de son projet EpiDetect (Detecting epigenetic biomarkers in the blood for non-invasive precision oncology).

Ce succès, elle le doit en particulier à sa spécialisation en épigénétique dont elle a fait un atout pour apporter du nouveau dans le domaine du dépistage du cancer. « De nombreux laboratoires très performants ainsi que des entreprises avec de gros moyens travaillent déjà sur la biopsie liquide. Cette quête d’un outil de dépistage du cancer non invasif et facile d’accès fait l’objet d’une forte compétition depuis une dizaine d’années mais je développe une stratégie de niche. Ces acteurs sont davantage des médecins qui ont des compétences en oncologie, un profil tout à fait différent du mien. Et de ce fait, leurs approches sont distinctes de la mienne : alors qu’ils recherchent des mutations révélatrices d’un cancer spécifique dans les fragments d’ADN d’origine tumorale qui circulent dans le sang des malades, j’y traque des marques épigénétiques caractéristiques des cancers et de leur localisation, explique la chercheuse. À terme, peut-être que ces deux approches seront complémentaires. » L’épigénétique est une couche d’information supplémentaire sur la séquence codante de l’ADN. Elle laisse des traces qui modifient l’expression des gènes et confère à chaque cellule ou groupe de cellules de l’organisme une spécificité par rapport aux autres. Ce mécanisme est actif tout au long de la vie, avec des modifications qui surviennent en permanence en réponse aux changements d’état ou d’environnement. Ainsi, toutes les cellules cancéreuses portent des marques épigénétiques particulières. Il est donc pertinent de les rechercher dans l’ADN issu de ces cellules et qui se retrouve dans le sang des patients.

L’importance du réseau

Si Charlotte Proudhon peut relever ce défi, c’est grâce à ses compétences accumulées pendant plus de quinze ans. Elle a à son actif un magistère de génétique, une thèse sur l’épigénétique préparée à l’institut de génétique Jacques-Monod puis à l’institut Curie à Paris, suivie d’un post-doc sur l’organisation tridimensionnelle de l’ADN, réalisé à la New York University. « J’ai toujours aimé la biologie, depuis le lycée. Mais à cette époque, je ne connaissais pas le métier de chercheur. Je me suis orientée vers la médecine, mais c’était pour faire de la biologie : je n’avais pas l’intention de recevoir des patients ! », se rappelle-t-elle. C’est finalement quand elle intègre le magistère de génétique qu’elle découvre vraiment le monde de la recherche. Elle souhaite travailler sur le développement embryonnaire dans le cadre de sa thèse et elle est, pour cela, recrutée dans un laboratoire de l’institut Monod, membre du réseau européen d’excellence de recherche sur l’épigénétique. « À l’époque, en 2006, un nombre restreint de laboratoires s’intéressaient à cette dimension de la génétique. De sorte que j’ai tout de suite été plongée dans un petit monde très stimulant et convivial de chercheurs qui partagent un intérêt commun pour un nouveau sujet. C’était formidable en tant que jeune chercheuse. » Le réseau qu’elle a alors commencé à tisser est, selon elle, la clé qui lui a permis de conduire une recherche de qualité : « Impossible de bien travailler en tant que chercheur sans être bien entouré. Vous apprenez des autres, ils vous influencent, vous partagez vos résultats et vos doutes, et ces échanges permettent de progresser. D’ailleurs, la communauté scientifique s’est emparée des réseaux sociaux : elle communique et réagit de façon beaucoup plus fluide et spontanée sur ses résultats qui sont maintenant exposés avant même leur parution dans les revues », souligne-t-elle. C’est aussi par le réseau que les carrières se font : recommandée pour son post-doc aux États-Unis, elle a elle-même recruté des personnes qu’on lui avait recommandées lorsqu’il s’est agi de monter sa propre équipe. « Cela facilite l’identification de celles qui sont compétentes et avec qui nous avons plus de chances de bien nous entendre. Et c’est très important au sein d’une équipe de recherche, car nous travaillons énormément et sommes très investis, très proches dans le travail. La personnalité de chacun est déterminante pour constituer un groupe efficace et agréable. Je dirais aussi que c’est nécessaire pour être créatif. Or, c’est dans un cadre convivial et détendu, dans lequel chacun peut faire part de ses remarques et de ses erreurs, que des nouvelles idées émergent. »

Quand elle regarde en arrière, Charlotte Proudhon est presque surprise. Aujourd’hui, alors qu’elle a deux enfants en bas âge, elle dirige une équipe de six personnes avec un gros budget et des objectifs ambitieux. « Et, oui, c’est très monopolisant ! Mais j’en suis là et je suis assez fière ! Malgré un certain manque de confiance en moi durant les premières années de ma carrière de chercheuse, j’ai osé avancer et franchir des étapes. Devenir lauréate d’un programme du Conseil européen de la recherche a généré chez moi un bref syndrome de l’imposteur, mais cela m’a finalement donné de l’assurance », constate-t-elle. Cela ne la dispense pas de tâches qu’elle considère comme chronophages mais indispensables : préparer les évaluations régulières, ou encore publier dans des revues à haut facteur d’impact pour renforcer sa notoriété… Elle peut enfin affirmer qu’elle fait partie des scientifiques qui, « grâce à la recherche publique, font progresser la connaissance sans objectif de rentabilité directe, au bénéfice de la société », conclut-elle, réjouie.

Charlotte Proudhon dirige l’équipe (Epi)Marqueurs Circulants à l’Institut de recherche en santé environnement et travail (Irset, unité 1085 Inserm/Université d’Angers/Université de Rennes 1/EHESP), à Rennes.

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L'ADN est la molécule de l'hérédité qui forme les chromosomes et qui contient l'ensemble des gènes. Chaque gène est un bout d'ADN qui contient, sous forme codée, toute l'information relative à la vie d'un organisme vivant.