Bernard Jégou : L’intérêt général chevillé au corps

Depuis plus de 40 ans, Bernard Jégou, spécialiste de la reproduction humaine, mène ses travaux avec une incroyable ouverture sur le monde et toujours dans le souci du bien public. Cette démarche humaniste a été saluée par le Prix Jacques Salat-Baroux de l’Académie nationale de médecine.

Bernard Jégou © Inserm/Guénet, François
Bernard Jégou © Inserm/Guénet, François

« Si je n’ai pas souhaité en parler beaucoup autour de moi, cela ne veut pas dire que recevoir ce prix ne me fait pas plaisir, reconnaît Bernard Jégou. Et ce d’autant plus que Jacques Salat-Baroux, gynécologue pionnier de la procréation médicalement assistée, était un grand humaniste. » Une qualité qui a guidé le chercheur breton, tout au long d’un parcours pour le moins atypique. Issu d’une famille modeste, il grandit avec ses deux frères dans une cité ouvrière au nord de Saint-Brieuc. Sa mère est ouvrière en usine et femme de ménage, puis aide-soignante, son père, à l’origine ouvrier agricole, a été un résistant de la première heure, déporté à Auschwitz et Buchenwald. « Nos parents nous ont éduqués sur un socle de valeurs liées à la justice sociale et à l’engagement humaniste, explique-t-il. En outre, l’attachement à nos racines est très profond. Mais “notre” Bretagne, c’est l’ouverture sur le monde – la misère économique ayant conduit à une forte immigration –, le refus du communautarisme, de l’obscurantisme. »

Ainsi, dès ses 18 ans, durant les vacances, il parcourt le monde en autostop pour assouvir sa passion de toutes les cultures et de la chasse sous-marine. En revanche, côté études, « j’avais depuis longtemps de vraies difficultés scolaires », dit-il avec une pointe d’émotion. À l’issue du collège, ce sera la filière technologique pour un brevet de technicien, puis, une équivalence du baccalauréat en poche, l’IUT de Caen en analyses biologiques et biochimiques. Pourquoi ce choix ? « Parce que je voulais une blouse blanche ! », avoue-t-il en riant. Le choix se révèle payant. Réconcilié avec le système scolaire, il intègre l’université de Poitiers, puis l’Inra de Nouzilly où « l’étude de la physiologie de l’animal entier, ici le mouton, me rapprochait du travail de mon père », se souvient-il. Or, dans le même temps, il est inscrit à l’université Pierre-et-Marie-Curie à Paris. Il y rencontre Charles Thibault qui lui inocule définitivement le virus de la physiologie de la reproduction. « C’était un enseignant fantastique, que j’ai beaucoup apprécié aussi quand il a été le premier président du CNRS », souligne le chercheur. Une fois son doctorat de biologie de la reproduction obtenu en 1976, il rejoint le laboratoire d’Étienne-Émile Baulieu, « un ancien résistant et une personnalité scientifique passionnante devenu depuis un proche ami », précise-t-il. 

Exit l’élève en difficulté au profit du chercheur déjà brillant, mais reste le globetrotter. Il saisit donc l’opportunité qui lui est offerte d’intégrer l’équipe de David de Kretser à l’Université Monash de Melbourne en Australie, biologie et plongée obligent. Les deux scientifiques montrent pour la première fois que les cellules germinales influencent le fonctionnement des cellules de Sertoli, des cellules nourricières qui contrôlent la formation des spermatozoïdes, ou spermatogenèse. Puis, nouvelle opportunité et nouveau changement d’horizon. Il poursuit ses travaux en Norvège dans le laboratoire de Vidar Hansson au Rikshospitalet à Oslo, jusqu’à ce que l’université de Rennes 1 le contacte. 

Durant sept ans, il y est enseignant, comme un pied-de-nez à son début de scolarité délicat, et avec des subsides américains et de l’Inserm, monte sa propre équipe de biologie de la reproduction chez le rat et le requin. Toutefois, voulant disposer de plus d’autonomie pour ses recherches, il intègre l’Inserm en 1988. Dès lors, ses travaux n’auront de cesse de servir l’intérêt général, à l’image d’un de ses maîtres, Georges David, à l’origine des Centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme (Cecos). « En 1973, contre les pratiques parfois clandestines et souvent très lucratives, ce médecin a convaincu Simone Weil d’intégrer l’assistance médicale à la procréation dans le service public hospitalier », rappelle-t-il admiratif.À l’Inserm, son équipe se diversifie avec notamment des recherches qui démontrent, chez le rat, que les traitements anticancéreux affectent la spermatogenèse et la qualité spermatique de sa descendance. En outre, dès le début des années 1990, il s’intéresse aux effets délétères des perturbateurs endocriniens sur la reproduction masculine. Au fil des ans, à Rennes, ses travaux sont restés centrés sur l’étude de la spermatogenèse normale et altérée. Cependant, son sens du service public l’a amené à s’investir dans différentes instances de l’Inserm jusqu’à être durant cinq ans président du Conseil scientifique, tout en lançant l’Institut de recherche en santé, environnement et travail (Irset), à Rennes en 2012. L’objectif de cette structure de près de 300 personnes qu’il dirige : élucider comment l’environnement a une influence sur notre santé. Elle fait donc intervenir une variété unique de disciplines – médecine, biologie, génomique, épigénétique, chimie, toxicologie, épidémiologie, sciences humaines et sociales –, ce qui ravit le chercheur toujours ouvert à de nouvelles expériences. 

Etat de la recherche : Produits chimiques et santé – interview – 3 min – vidéo extraite de la plateforme Corpus (2014)

Ainsi, dans le même esprit, depuis 2014, il est aussi le directeur de la Recherche de l’École des hautes études en santé publique (EHESP) qui assure une double mission de formation et de recherche en santé publique et action sociale. En revanche, « même si récemment j’ai alerté le public sur les risques liés à la prise d’ibuprofène par les femmes enceintes, je suis convaincu que chacun doit être à sa place. Le chercheur fait un état des connaissances en toute indépendance. C’est ensuite aux citoyens, aux agences et aux politiques de décider ce qu’il y a à faire », tient-il à souligner. 

Et on le croit sur parole car, malgré ses fonctions de direction, curieux il est, chercheur il reste. Ainsi, fasciné aussi par l’archéologie et l’anthropologie, son dernier sujet, avec ses collègues de l’Irset, Frédéric Chalmel et Antoine Rolland, vise à comprendre comment la descendance de Néandertal et d’Homo sapiens n’a pas été stérile. « Pour moi, ces découvertes de paléogénomique constituent une forme d’apothéose ! », assure t- il. Et « sa descendance » à lui ? « J’ai deux filles, l’une directrice d’école et l’autre dentiste. Or je suis toujours épaté de voir comment elles travaillent à fond tout en ayant des enfants, ces petites grenouilles qui s’agrippent à elles et qui ont toute leur attention », dit-il attendri. Nul-doute, la famille est centrale, et même si ses filles n’ont pas suivi la voie de la recherche, tous les espoirs sont permis. « J’initie mes quatre petits-enfants âgés de 3 à 8 ans aux recherches archéologiques sur le littoral des Côtes‑d’Armor : ils adorent chercher les fragments de céramique et les silex », avoue-t-il ravi. 

En savoir plus sur Bernard Jégou

Bernard Jégou l’Institut de recherche en santé, environnement et travail (Irset, unité 1085 Inserm/EHESP/Université Antilles-Guyane – Université de Rennes 1), à Rennes 

Dates clés

  • 1976 Doctorat en biologie de la reproduction, Université Paris-VI
  • 1983 PhD de l’Université Monash de Melbourne, Australie
  • 1985 Doctorat ès sciences naturelles, Université de Rennes 1
  • Depuis 1988 Directeur de recherche Inserm
  • 2008 – 2012 Président du Conseil scientifique de l’Inserm
  • Depuis 2012 Directeur de l’Irset
  • Depuis 2014 Directeur de la Recherche de l’EHESP

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Extrait du magazine Science&Santé n°36