Chirurgie et interventions assistées par ordinateur (CIAO)

De nouvelles dimensions pour le chirurgien

Le domaine de la chirurgie et des interventions assistées par ordinateur regroupe un ensemble d’outils informatiques et mécatroniques destinés à aider le chirurgien dans la planification, la préparation, la modélisation, la réalisation et le perfectionnement d’une opération. Logiciels de simulation et de planification de l’intervention, systèmes pour localiser précisément la position des instruments dans le corps du malade, traitement numérique d’images, de signaux et de données médicales, dispositifs de réalité augmentée, robots chirurgicaux... la palette est large mais l’objectif reste toujours le même : proposer au patient l’intervention qui lui soit la plus adaptée, avec un geste le plus précis, le plus efficace et le moins invasif possible.

Dossier réalisé en collaboration avec Pascal Haigron, professeur des universités à l’École supérieure d’ingénieurs de Rennes, responsable de l’équipe Images et modèles pour la planification et l’assistance chirurgicale et thérapeutique » (Impact) au laboratoire Traitement du signal et de l’image (LTSI – unité Inserm 1099/Université de Rennes 1).  

Les apports de la chirurgie et des interventions assistées par ordinateur

Les logiciels de chirurgie assistée par ordinateur et les robots chirurgicaux sont de plus en plus nombreux et ont infusé dans l’ensemble des domaines de la chirurgie et dans toutes les spécialités médicales. Leurs utilisations s’articulent schématiquement autour de trois objectifs : améliorer la perception du médecin, aider à la décision médicale et assister le geste chirurgical.

Pascal Haigron, coresponsable de l’équipe Impact.
Pascal Haigron, coresponsable de l’équipe Impact. © Inserm/François Guénet

Perception : voir au-delà du visible

Les progrès réalisés dans le domaine de l’imagerie médicale (scanner, IRM, rayons X, ultrasons…) ont non seulement permis d’améliorer la précision des données recueillies chez un patient, mais aussi d’accroître progressivement l’ampleur de cette précision, que ce soit avec le développement de l’imagerie tridimensionnelle ou avec l’imagerie fonctionnelle qui offre une vision dynamique de l’activité d’un tissu ou d’un organe. Des paramètres biomédicaux peuvent en outre être associés à ces données d’imagerie. Analysé par des logiciels spécifiques, l’ensemble de ces informations permet la conception d’une reproduction virtuelle de la zone à opérer, qui facilite la planification et la préparation du geste chirurgical. Elle donne la possibilité de visualiser et d’individualiser artificiellement les différents tissus (organe, système artériel, zones nécrosées, tumeurs...), au service d’une meilleure personnalisation de la prise en charge.

Le jour J, ces données peuvent être intégrées dans la programmation de robots qui seront utilisés au cours de la phase opératoire proprement dite. Elles peuvent aussi être directement exploitées par le chirurgien. En effet, l’assistance par ordinateur peut guider le médecin au cours de la réalisation de l’intervention : tandis qu’il suit le geste qu’il est en train de réaliser via un écran de contrôle (qui présente par exemple l’image radiographique de la zone opérée), des informations obtenues lors des étapes préopératoires (telle qu’une représentation 3D de structures anatomiques) peuvent se superposer. Il est alors possible de mieux identifier les tissus, et d’en avoir une meilleure visualisation dans l’espace. Ces outils de navigation et de réalité augmentée sont notamment utilisés en neurochirurgie, en chirurgie orthopédique et en chirurgie cardiovasculaire.

Raisonnement et décision : du patient numérique à la décision clinique

Le traitement des données d’imagerie et de nature biomédicales associées à un patient permet en outre d’alimenter des modèles d’aide à la décision. Grâce à des logiciels particuliers, ces modèles peuvent aider le chirurgien à prédire le geste le plus adapté à la situation du patient, ou à s’entraîner à la réalisation de ces gestes en amont de l’intervention.

Ainsi, parallèlement aux logiciels d’analyse des images, des outils de simulation sont développés : ils exploitent les observations issues de l’imagerie pour simuler une procédure interventionnelle, en déduire le meilleur paramétrage, voire prédire son résultat, que ce soit au plan individuel et/ou populationnel (apprentissage automatique, intelligence artificielle). Ces outils sont développés de front avec des approches de modélisation mécanistique, qui permettent de décrire les mécanismes biologiques au plus près de la réalité. Ils participent au développement de solution d’aide au diagnostic, au pronostic et/ou au traitement. Ils permettent aussi de développer des logiciels de réalité virtuelle sur lesquels les praticiens peuvent simuler l’intervention prévue chez un patient donné ou, sur un plan plus générique, se former ou se perfectionner dans la réalisation d’un geste. À l’image de ceux disponibles pour les pilotes de l’air, ces outils de formation qui reposent le plus souvent sur des cas typiques, permettent aux praticiens d’appréhender les spécificités de chacune des interventions qu’ils doivent maîtriser.

Action : améliorer la dextérité du chirurgien

Outre la visualisation de l’intervention proprement dite, l’assistance par ordinateur et la robotique offrent au chirurgien des moyens inégalés pour améliorer la précision de leur geste.

Le premier se fonde sur l’utilisation de robots qui fonctionnent en mode esclave (ou télé-opération). Dotés d’instruments chirurgicaux, de caméras miniaturisées ou encore d’un système anti-tremblement, les bras articulés de ces robots effectuent les gestes sous le contrôle du chirurgien qui les pilote sur place, ou même à distance. Ces robots permettent d’améliorer très nettement la précision du geste. Ils sont le plus souvent équipés d’outils de chirurgie mini-invasive, dans laquelle seules quelques petites incisions sont nécessaires pour l’intervention. L’un des robots les plus utilisés de cette catégorie, le robot Da Vinci, peut être utilisé en chirurgie gynécologique, urologique, thoracique, vasculaire…

En remplaçant l’image de la caméra par une image virtuelle, il est possible pour les chirurgiens de s’entraîner à certains gestes sur des patients virtuels. Ces solutions peuvent être variées, depuis des interfaces web sur lesquelles le médecin s’entraîne selon des scénarios jusqu’aux interfaces de réalité virtuelle 3D.

Parallèlement, il existe des robots autonomes,capables de conduire l’intervention seuls une fois programmés à partir des données propres au patient. S’ils restent rares en chirurgie curative, ils sont particulièrement utilisés en radiothérapie : l’un des plus remarquables aujourd’hui est le Cyberknife, qui combine robotique et guidage par imagerie médicale pour le placement du faisceau d’irradiation sur la tumeur du patient (localisée au niveau du poumon, de l’abdomen, du cerveau…) et permet de s’adapter aux éventuels mouvements du patient, même minimes, au cours de la séance. L’avantage de ces robots autonomes est d’offrir une précision inégalée, et en temps réel, du geste interventionnel. Ils sont d’autant plus intéressants lorsqu’il s’agit d’utiliser une source radioactive dont la manipulation demande une protection stricte du personnel.

Les enjeux de la recherche

La recherche dédiée à la chirurgie et aux intervention assistées par ordinateur est active dans les laboratoires académiques. 


CAMI : un laboratoire d’excellence unique

En France, le Laboratoire d’excellence Computer Assisted Medical Interventions (Labex CAMI) fédère six unités de recherche françaises qui travaillent dans ce domaine. Il vise une approche intégrée de la recherche, pour que les développements scientifiques et technologiques s’intègrent aussi efficacement et rapidement que possible en pratique clinique de routine. Plusieurs axes de recherche sont suivis :

  • Favoriser la fusion des données multimodales obtenues par des capteurs classiques ou innovants
  • Offrir une aide à la prise de décision en temps réel grâce à la planification et le suivi de l’intervention
  • Développer des robots miniaturisés et des solutions de dextérité augmentée
  • Proposer des stratégies d’apprentissage innovantes centrées sur l’utilisateur
  • Démontrer l’intérêt médicale des innovations via une méthodologie adaptée

Optimiser les outils actuels

La première des perspectives consiste à améliorer le matériel utilisé durant les interventions chirurgicales en perfectionnant les logiciels d’assistance à la navigation, en miniaturisant les robots ou en développant des capteurs qui permettent de localiser le plus finement possible la position des instruments chirurgicaux en temps réel au cours de l’opération. L’un des points les plus délicats concerne sur la co-manipulation des instruments, ainsi que la capacité des robots à opérer en synergie avec le chirurgien et à lui transmettre un retour d’effort, c’est-à-dire une sensation tactile fidèle à ce que le médecin ressentirait s’il manipulait directement les outils chirurgicaux.

Les scientifiques essayent aussi de fusionner les différentes typologies de données (imagerie, biologie, électrophysiologie…) afin de rendre les logiciels de simulation et d’aide à la planification les plus fidèles à la réalité possible.La puissance et l’utilité de ces outils peuvent aussi être améliorées en intégrant la simulation de la réponse physiologique à la chirurgie ou en exploitant des données statistiques issues de groupes de patients comparables.

Par ailleurs, des développements de logiciels visent à proposer aux chirurgiens une expérience encore plus immersive, offrant une vision en trois dimensions de la zone à opérer via des casques de réalité virtuelle, ou encore des approches de réalité augmentée, dans lesquelles une information peut être intégrée dans le flux du travail au cours de l’opération.

Des outils de réalité mixte sont aussi développés : leur principe est de combiner réalité augmentée et virtuelle au cours de la même intervention. Ce type de technologie, encore utilisée à titre de preuve de concept, repose sur l’utilisation de lunettes qui permettent de superposer des hologrammes de l’anatomie du patient sur le champ opératoire, afin de mieux identifier les tissus et d’épauler le chirurgien durant l’acte. Elles permettent également de partager le champ de vision du chirurgien avec des praticiens situés à distance, ou encore d’accéder aux données du patient. Elles peuvent aussi permettre de superposer des tutoriels vidéos pour guider les gestes opératoires.

Chirurgie assistée par ordinateur : un bloc opératoire équipé d'un robot
© Inserm, P. Latron Laboratoire Traitement du Signal et de l’Image LTSI, équipe IMPACT

Développer le patient numérique

Dans l’optique de proposer une médecine plus personnalisée et plus prédictive, la mise au point d’un double numérique de chaque patient doit permettre de disposer de toutes les données qui lui sont relatives et d’adapter le traitement aux spécificités du patient. Son principe se fonde sur la combinaison d’algorithmes aptes à reconstituer l’anatomie ou la physiologie d’après les données des patients. En s’appuyant sur des modèles numériques (apprentissage automatique, modélisation multi-physiques), l’idée est d’intégrer plus d’intelligence (IA) au sein des systèmes d’aide à la décision clinique. Au-delà du geste technique réalisé sur le patient, il s’agit aussi d’appréhender le contexte global de l’environnement interventionnel et d’extraire des connaissances de la pratique chirurgicale à partir de l’ensemble des données numériques disponibles. Ces modèles permettent non seulement de mieux interpréter les images en direct, mais aussi d’anticiper les conséquences d’un traitement ou encore de planifier, simuler ou contrôler une intervention.

Vers la robotique chirurgicale par voies naturelles

Actuellement, la chirurgie robotique mini-invasive fait majoritairement appel à des outils relativement simples à maîtriser sur le plan robotique. La chirurgie par les voies naturelles ne bénéficie pas pour l’heure de ces apports. Également qualifiée de « transluminale » ou « d’endoluminale », la chirurgie par voies naturelles consiste à passer un endoscope flexible (ou autre cathéter) à travers un orifice naturel pour atteindre le site opératoire. Elle est développée en chirurgie vasculaire, digestive ou en neuroradiologie interventionnelle. Dans ce contexte, la navigation jusqu’à la zone d’intervention est réalisée via la manipulation de l’instrument flexible introduit, guidée par l’imagerie. Elle doit prendre en compte des trajectoires contraintes ainsi que les déformations et/ou les mouvements des structures anatomiques. Cela nécessite souvent des gestes complexes et entraîne parfois des difficultés d’accès à la zone cible. L’idée est donc de développer des outils robotiques pour gérer cette phase d’introduction. De premiers essais ont été menés dans les opérations de l’appendicite ou de la vésicule biliaire. Aujourd’hui, des cathéters sont par exemple développés avec des technologies d’alliage à mémoire de forme pour faciliter leur navigation dans les voies naturelles sous l’effet de commandes électriques déclenchées par le chirurgien au moyen d’une interface Homme/machine adaptée. À plus long terme, des chercheurs réfléchissent aussi au développement de micro-robots qui permettraient d’évoluer dans l’organisme pour poser un diagnostic et délivrer des médicaments in situ.

Actuellement, au cours de l’opération, l’ordinateur sert principalement à traduire et transmettre les mouvements du chirurgien au bras robotisé. À l’avenir, il devrait aussi permettre d’interagir en proposant une analyse de multiples données en temps réel (imagerie interventionnelle, capteurs d’activité dans le bloc opératoire, et autres capteurs sur les instruments et le patient).Il offrira par exemple au chirurgien la possibilité d’interpréter la situation présentée sur l’image qu’il a devant les yeux (nature d’un tissu, d’une lésion…), en comparant cette dernière à celles stockées dans une banque de données, analysées par des techniques d’apprentissage automatique et profond (deep learning) sur des grandes quantités de données hétérogènes (big data). L’ordinateur pourra ainsi aider le médecin à améliorer la qualité de son geste, participer au déroulement de l’opération, alerter s’il repère un risque de complications, voire, à terme permettre l’automatisation du geste.


TherA-Image : un bloc opératoire dédié à la recherche

Des chirurgiens, des chercheurs et des ingénieurs entourés d’écrans de contrôle, de systèmes de réalité augmentée, de dispositifs robotisés... Depuis 2013, le CHU de Rennes dispose d’un environnement exceptionnel conçu, développé et mis en place avec le Laboratoire du traitement du signal et de l’image (LTSI) : la plateforme TherA-image
Essentiellement dédiée au domaine cardiovasculaire, cette plateforme est un bloc opératoire dédié à la recherche dans lequel des « vrais » malades sont opérés. Ce plateau technique permet de développer et de tester divers outils en conditions réelles : nouveaux logiciels de planification des opérations, logiciels de simulation, outils de guidage et de navigation d’instruments chirurgicaux et de dispositifs endovasculaires, outils de réalité augmentée... Les chercheurs peuvent également y réaliser des tests sur des images acquises pendant les opérations. 


Pour aller plus loin