Jessica Zucman-Rossi : Une chercheuse à l’âme de médecin

Jessica Zucman-Rossi est avant tout chercheuse, mais elle garde l’âme d’un médecin. Son objectif : mettre au service des malades ses découvertes en matière de génomique des cancers du foie. Une aventure scientifique qui est loin d’être achevée.

Jessica Zucman-Rossi
Jessica Zucman-Rossi © Inserm/Guénet, François

Jessica Zucman-Rossi, experte en génomique des tumeurs du foie, vient de recevoir le prix Coups d’élan pour la recherche française décerné par la Fondation Bettencourt Schueller. Grâce à ce prix, destiné à améliorer les infrastructures et les conditions de travail des chercheurs en sciences de la vie, son équipe va déménager au Centre de recherche des Cordeliers à Paris, où elle va pouvoir continuer à étudier l’ensemble des gènes impliqués dans les tumeurs solides. Une aventure qui l’a séduite très tôt. « Au début des années 1980, en terminale, j’ai assisté, au Palais de la découverte, à une conférence de Bernard Dutrillaux, alors à l’Institut Curie, sur l’évolution génétique des espèces, se souvient-elle. J’avais trouvé ça fascinant. En sortant, je me suis dit : “c’est ce que je veux faire, de la génétique”, mais je ne savais pas encore si ce serait en médecine ou en recherche. » Quelques mois plus tard, elle opte pour des études de médecine au cours desquelles elle se spécialise en cancérologie. Pour autant, elle n’oublie pas la génétique. Ainsi, « au début de mon internat, en 1987, j’ai fait un détour de six mois dans le laboratoire de Bernard Dutrillaux, mon premier mentor, au sein du groupe de Gilles Thomas, du Laboratoire de génétique des tumeurs du CNRS, qui deviendra mon deuxième mentor, » relate-t-elle. Dès lors, plus de doute sur son double choix de formation. 

La génomique est une recherche sans a priori qui permet de faire des découvertes inattendues

Forte de ce constat, elle débute donc un DEA intitulé Bases fondamentales de l’oncogenèse dans cette même équipe, avec Olivier Delattre, son « troisième mentor ». Son sujet de recherche est l’identification et la caractérisation des gènes remaniés par translocation chromosomique – c’est à- dire par l’échange de matériel génétique entre deux chromosomes – à l’origine du sarcome d’Ewing, un cancer des os, et de différentes tumeurs solides. Puis, comme de nombreux étudiants, elle prévoit d’achever sa thèse aux États-Unis. Mais, en 1992, ses recherches dans le sarcome d’Ewing aboutissent : « C’était la première fois que l’on identifiait les gènes remaniés, impliqués dans une tumeur solide chez l’Homme, précise-telle, ajoutant avec une pointe de regret, plus question de partir à l’étranger : j’avais des travaux à terminer. »

Durant 5 ans, elle mène donc de front son internat et sa thèse. « On m’a permis de “saucissonner” mon temps entre les deux, passant en gros une année à l’hôpital et six mois au laboratoire, explique-t-elle, ravie. C’était vraiment une période privilégiée où je n’ai pas eu à choisir ! » Période au terme de laquelle, en 1994, elle décroche ses deux doctorats. Ne pouvant néanmoins persister dans les deux voies, elle choisit la recherche et intègre l’Inserm. Elle y poursuit ses études sur la génomique mais elle passe au foie, un organe dont elle ne se détournera plus. 

Le cancer du foie est l’un des cancers les plus agressifs. S’il se manifeste en majorité chez des personnes ayant une cirrhose, chez environ 5 % des malades, il se développe alors que leur foie est sain. L’équipe de Jessica Zucman-Rossi tente ainsi d’identifier les origines environnementales et génétiques de l’apparition des tumeurs. À partir du début des années 2000, elle repère des mutations génétiques qui prédisposent au développement des tumeurs hépatiques. Un travail de fourmi d’autant plus complexe que « lorsque nous avons débuté, c’était l’âge de pierre de la génétique. Il fallait plusieurs semaines pour séquencer un gène !, raconte en riant la chercheuse. Or, notre discipline a connu une véritable révolution à partir de 2009 avec les nouvelles techniques de séquençage haut débit. Et aujourd’hui, grâce au très haut débit, on séquence l’ensemble du génome seulement en quelques jours. »

Grâce à ce bond technologique, peuvent être identifiés des marqueurs génétiques qui doivent permettre d’améliorer le diagnostic, d’établir un pronostic de l’évolution de la maladie, d’adapter la prise en charge et les traitements et de développer de nouvelles thérapies ciblées. En résumé, « ils contribuent à la médecine de précision, complète la chercheuse qui a toujours sa casquette de médecin. Par exemple, nous pouvons déterminer l’agressivité du cancer et ainsi adapter le choix du traitement. Par ailleurs, nous avons établi une classification moléculaire qui permet de discriminer les tumeurs malignes et les bénignes dans divers organes. » En effet, comme elle tient à le préciser, « si mon domaine de prédilection est le foie, mon équipe étudie également les cancers du rein et du mésothélium . » Et, en janvier 2019, ce sont bien les 35 chercheurs et tous ces projets qui vont déménager au Centre de recherche des Cordeliers où ils disposeront d’un laboratoire flambant neuf de 320m2 financé grâce au prix de la Fondation Bettencourt Schueller. Quant à Jessica Zucman-Rossi, elle devrait alors prendre la direction scientifique du centre. Son objectif : impulser de nouvelles thématiques de recherche pour de nouvelles perspectives thérapeutiques.

Un nouveau défi s’offre donc à elle, dont l’agenda est déjà bien rempli. « Aujourd’hui, je voyage beaucoup à l’étranger pour des conférences, des cours, dans le cadre de collaborations. C’est un peu un post-doc sur le tard [à 52 ans, ndlr.], explique-t-elle, faisant référence à son rendez-vous manqué avec les États-Unis. Par ailleurs, en 2015, j’ai présidé la commission scientifique spécialisée de l’Inserm Génétique, épigénétique et cancérologie chargée notamment d’aider les chercheurs en difficulté et les jeunes à démarrer leur projet. Or je tiens beaucoup à ce type de mission, de même qu’au laboratoire j’assure le rôle de mentor comme d’autres l’ont fait avec moi, car c’est grâce à eux que l’on devient chercheurs. »

Avec un tel rythme, on s’interroge : existe-t-il une vie hors des laboratoires ? « Bien sûr ! Il y a le bateau, le ski, la lecture et la famille qui est très importante. J’ai des enfants formidables : Simon, 19 ans, est passionné par la voile, Clara, 20 ans, est en deuxième année de médecine, répond-elle enjouée. Et puis, heureusement, il y a mon mari qui me soutient depuis toujours ! » Un soutien sans faille grâce auquel elle pourra continuer l’aventure de la génomique « au moins encore une dizaine d’années », estime-t-elle. 

En savoir plus sur Jessica Zucman-Rossi

Jessica Zucman-Rossi dirige l’unité de Génomique fonctionnelle des tumeurs solides (unité 1162 Inserm/Université Paris-13/Université Paris-Descartes – Université Paris-Diderot). 

Dates clés

  • 1992 Clonage de la translocation chromosomique des tumeurs d’Ewing
  • 1994 Docteur en médecine et en cancérogénèse
  • 1996 Chargée de recherche à l’Inserm
  • 2004 Directrice de recherche à l’Inserm Depuis
  • 2007 Directrice de l’unité de recherche Inserm 674 puis 1162
  • Depuis 2009 PU-PH d’oncologie AP-HP HEGP
  • 2012 Prix Recherche Inserm

Extrait du magazine Science&Santé n°33