Infections nosocomiales

Ces microbes qu’on « attrape » à l’hôpital

Environ 5% des patients qui séjournent à l’hôpital contractent une infection au sein de l’établissement. Le risque varie selon le profil du patient, le niveau d’hygiène ou encore les soins pratiqués. Les germes responsables proviennent le plus souvent du patient lui-même, mais ils sont transportés sur le site infectieux par l’intermédiaire du personnel ou de dispositifs médicaux. Plusieurs travaux de recherche sont en cours pour mieux comprendre la dynamique de ces infections, les prévenir et les guérir.

Dossier réalisé en collaboration avec le Pr Jean-Christophe Lucet, Unité d’hygiène et de lutte contre l’infection nosocomiale, groupe hospitalier Bichat-Claude Bernard, Paris 

Comprendre les infections nosocomiales

Qu’est-ce qu’une infection nosocomiale ?

Une infection nosocomiale fait partie des infections associées aux soins, contractée au cours ou au décours d’une hospitalisation. Elle est donc absente au moment de l’admission du patient dans l’établissement et se déclare au minimum 48 heures après l’admission, ou au-delà si la période d’incubation est connue et plus longue. Toutefois, la possibilité d’un lien entre hospitalisation et infection est évaluée dans chaque cas douteux. Pour les infections de plaie opératoire, le délai de 48 heures communément accepté pour distinguer une infection acquise en dehors de l’hôpital d’une infection nosocomiale est repoussé à 30 jours après l’intervention, même si le patient est sorti de l’hôpital. En cas de mise en place d’une prothèse ou d’un implant, ce délai court alors sur l’année qui suit l’intervention. 

Un patient sur vingt est concerné

D’après une étude de l’Institut national de veille sanitaire (InVS) datant de 2012, un patient hospitalisé sur vingt (5%) contracte une infection dans l’établissement où il est soigné. Un chiffre à peu près stable depuis 2006. Cela représente environ 750 000 infections par an, qui seraient la cause directe de 4 000 décès en France. 

La prévalence des patients infectés varie selon : 

  • le type d’établissement : Les centres de lutte contre le cancer sont par exemple très concernés.
  • le type de séjour effectué : 0,8% en obstétrique à 23,2% en réanimation où les gestes invasifs sont nombreux (intubations, sondes urinaires…) et les patients souvent vulnérables.
  • la durée du séjour : Il y a 15 fois plus d’infections nosocomiales chez les patients hospitalisés entre 30 à 89 jours que ceux dont l’hospitalisation dure de deux à sept jours.
  • le profil du patient : Les plus de 65 ans et les très jeunes, les patients atteints d’une maladie sévère, immunodéprimés (séropositivité pour le VIH, chimiothérapie), opérés ou exposés à un dispositif invasif (sonde urinaire, cathéter vasculaire ou intubation/trachéotomie) sont plus touchés que les autres.

Les infections sont très fréquemment liées à des interventions invasives : sondage urinaire ou trachéal (ventilation assistée), cathéter veineux, intervention chirurgicale, endoscopie. 

Les infections urinaires sont les plus nombreuses (30%). Elles sont souvent liées à la pose de sondes urinaires mais sont rarement graves. Viennent ensuite les pneumonies (16,7%) souvent concomitantes à l’intubation et la ventilation assistée, les infections du site opératoire (13,5%) après une intervention chirurgicale, et les bactériémies/septicémies (10,1%) liées à l’introduction de cathéters dans les voies sanguines. Des infections de la peau et les tissus mous ou encore des voies respiratoires supérieures sont également observées. 

Certaines de ces infections, en particulier parmi les infections pulmonaires et les septicémies, sont graves et peuvent entraîner la mort. 


Des infections plus souvent endogènes qu’exogènes

Quand on parle d’infections nosocomiales, il faut savoir que la principale source de contamination est le patient lui-même, et non l’environnement hospitalier (matériel, air, eau...) ou le personnel : Le patient est infecté par ses propres germes au cours de certains soins (actes chirurgicaux, sondage urinaire, respiration artificielle...). Les soignants jouent seulement un rôle de vecteur de transmission. 


Trois bactéries à l’origine de plus de la moitié des cas d’infections nosocomiales

Trois bactéries représentent la moitié des germes isolés dans le cadre d’infections nosocomiales : 

  • Escherichia coli (26%), qui vit naturellement dans les intestins de chacun.
  • Staphylococcus aureus (16%), présent dans la muqueuse du nez, de la gorge et sur le périnée d’environ 15 à 30 % des individus.
  • Pseudomonas aeruginosa (8,4%), qui se développe dans les sols et en milieu humide (robinets, tuyauteries...).

Dans les autres cas, les germes isolés sont d’autres bactéries comme les streptocoques, des entérobactéries autres que E. coli, Clostridium difficile ou encore Acinetobacter baumannii. Les champignons/levures, les virus et les parasites sont très rarement incriminés, représentant respectivement 3,7%, 0,4% et 0,2% des micro-organismes identifiés. 


La résistance bactérienne : un problème très sérieux 

Parmi les bactéries souvent incriminées dans les infections nosocomiales, plusieurs présentent des résistances à des antibiotiques. S’agissant des infections à S. aureus, 38% des souches sont résistantes à la méticilline et 1,5% présentent en plus une sensibilité diminuée aux glycopeptides. Parmi les souches de P. aeruginosa, 20% sont résistantes à la ceftazidime ou aux carbapénèmes. Parmi les souches d’E. coli, 17,6% sont résistantes aux céphalosporines de 3e génération (C3G) et 1,4% aux carbapénèmes. Par ailleurs 37,7% des souches de Klebsiella pneumoniae sont résistantes aux C3G et 2,3% aux carbapénèmes. 
Ces résistances obligent souvent à changer d’antibiotique en cours de traitement et retardent la guérison. En outre, si les souches résistantes à tous les antibiotiques sont exceptionnelles, elles existent
Pour en savoir plus sur la résistance aux antibiotiques, consulter notre dossier d’information


Prévention : toute une organisation

Les infections nosocomiales sont un problème de santé publique majeur pour les établissements de soins. Après 1988, ces derniers se sont dotés de Comités de lutte contre les infections nosocomiales (CLIN), désormais intégrés dans les Commissions médicales d’établissement. Leur fonction est d’améliorer les conditions d’hygiène et de prévention en fonction des données de surveillance et des progrès médicaux et techniques. Pour cela, ils déclinent les recommandations nationales et mettent au point des actions ciblées en fonction des particularités de leur établissement et des patients. Les directives sont relayées dans les services par les équipes opérationnelles d’hygiène (EOH). Il s’agit notamment d’appliquer des protocoles de soins précis avant, pendant et après chaque geste invasif ou chirurgical. 

Personnel soignant, patients et visiteurs doivent respecter les mesures d’hygiène et d’asepsie dictées par l’établissement. La transmission des germes à l’hôpital se fait principalement par les mains du personnel soignant. Elles doivent donc être lavées avant et après chaque soin. L’utilisation de solutions hydro-alcooliques à partir des années 2000 a permis de limiter la transmission des agents infectieux par les mains. La peau du patient doit également être désinfectée avant tout geste invasif. Le matériel utilisé pour ces actes doit être parfaitement désinfecté et/ou stérilisé selon les protocoles définis par l’hôpital. En outre, l’utilisation de certains matériaux est recommandée. Le silicone ralentit par exemple la colonisation naturelle par les bactéries à la surface des sondes. L’eau, l’air et les surfaces sont naturellement contaminés par des germes, mais rarement par des germes pathogènes (légionellose, aspergillose). Leur composition bactériologique est toutefois fréquemment contrôlée. 

Des indicateurs aux surveillances

Il existe une traçabilité du respect des normes d’hygiène et de bonne conduite en matière de lutte contre les infections nosocomiales. Tous les ans, chaque établissement de santé doit obligatoirement publier ses scores pour cinq indicateurs reflétant son niveau d’engagement. Il s’agit des indicateurs : 

  • ICALIN qui reflètent l’ensemble des moyens mis en œuvre pour lutter contre les infections nosocomiales
  • ICALISO se concentre sur la lutte contre les infections nosocomiales au niveau du site opératoire
  • ICSHA sur l’utilisation de solution hydro-alcoolique par le personnel soignant
  • ICABMR sur la lutte contre les bactéries résistantes
  • ICATB sur le bon usage des antibiotiques dans l’établissement.

Les établissements publient également le taux de S. aureus résistants à la méticilline (SARM) dans leur établissement. 

Indépendamment de ces indicateurs, il existe cinq réseaux nationaux de surveillance des infections nosocomiales. Les établissements ne sont pas obligés de collaborer mais y sont fortement incités. Ces réseaux suivent l’incidence des infections nosocomiales dans les services de réanimation, au niveau des sites opératoires, la consommation d’antibiotiques, les taux de bactéries résistantes et les accidents d’exposition au sang qui accroissent le risque de contaminations croisées entre individus. Ces cinq réseaux sont coordonnés par le RAISIN, émanation des 5 centres de coordinations interrégionaux des CLIN (CCLIN) et de l’Institut national de veille sanitaire (InVS).

Les enjeux de la recherche

Améliorer la prévention

La surveillance est essentielle pour identifier quelles catégories de patients ou de gestes médicaux sont les plus à risque.

Des travaux aident par exemple à comprendre les modes de transmission et de circulation des bactéries à l’hôpital. Une expérience a été́ menée à l’hôpital maritime de Berck-sur-Mer en 2009. Plus de 800 membres du personnel médical ont été́ équipés de capteurs mesurant tous leurs contacts, et soumis à des prélèvements biologiques réguliers. Ce projet, baptisé i‑Bird, s’est prolongé dans des unités de réanimation de l’AP-HP. Plus récemment, à Lyon, une équipe a fait le même genre d’exercice en équipant de capteurs le personnel et certains patients d’un service de gériatrie, pendant quatre jours. Ces expériences apportent de précieuses informations sur la circulation des germes dans les services et aident à mieux comprendre et modéliser la propagation des bactéries. 

Les scientifiques tentent par ailleurs d’identifier des matériaux bactéricides ou qui limitent l’adhésion des bactéries. Une équipe de réanimation de Grenoble a par exemple montré que le fait d’utiliser des cathéters veineux imprégnés d’une solution antiseptique réduit de 50% le risque d’infection. D’autres établissements ont expérimenté les installations en cuivre au sein du mobilier, poignées de porte, barres de lit… car le cuivre est bactéricide. Mais le bénéfice est discuté. Les bactéries responsables d’infections nosocomiales sont en effet essentiellement portées par les patients eux-mêmes et peu présentes dans l’environnement.

Les hospitaliers font en outre entrer les sciences humaines et sociales dans leurs établissements, pour aider à modifier les comportements en faveur d’un meilleur respect des règles d’hygiène. Comment inciter un soignant à penser à utiliser systématiquement une solution hydro-alcoolique ? Comment modifier le regard des médecins et des patients sur les antibiotiques pour un usage plus modéré ? 

I‑Bird, comprendre les infections nosocomiales – reportage et interview – 8 min 13 – film extrait de la collection Le coin de l’innovation (2009)

Traiter des infections nosocomiales

En Europe comme aux Etats-Unis, des initiatives publiques émergent pour relancer les recherches visant à la mise au point de nouveaux antibiotiques. Des équipes travaillent à l’élimination de germes, notamment résistants, mais d’autres cherchent aussi à moduler leur virulence et à inactiver leurs toxines, sans forcément détruire la bactérie entière. 

D’autres équipes travaillent sur la restauration de la flore intestinale, pour contrôler les infections intestinales. Des travaux cliniques ont été conduits chez des patients infectés de façon chronique par Clostridium difficile. L’approche testée consiste à laver la flore intestinale du patient et à y implanter la flore fécale d’une personne saine afin de restaurer un bon équilibre bactérien. Une équipe néerlandaise a montré que cette technique est bien plus efficace que les antibiotiques et permet de guérir 80% des patients. L’idée est d’étendre cette approche à d’autres types d’infections par des entérobactéries résistantes. 

La recherche fondamentale

Les chercheurs clarifient les mécanismes de virulence et de résistance des bactéries. En mai 2009, des équipes de l’Institut Pasteur et de l’Université de Limoges, associées à l’Inserm et au CNRS, ont par exemple montré comment les antibiotiques favorisent la synthèse d’une enzyme qui déclenche le réarrangement des gènes de résistance au sein de la bactérie.

D’autres équipes (notamment à l’Institut Pasteur), étudient le comportement des bactéries quand elles sont en groupes sur des supports inertes, par exemple un cathéter ou une prothèse. En effet, dans ces conditions, elles secrètent un biofilm qui constitue une barrière mécanique et chimique qui modifie leur comportement par rapport au fait d’être isolée. Elles communiquent entre elles, expriment des gènes différents, rentrent parfois dans un état quiescent et sont moins accessibles aux antibiotiques. Les chercheurs tentent de percer les secrets de ces biofilms pour éliminer plus efficacement les bactéries hébergées. 

Enfin, la recherche est très active sur le microbiote digestif car sa composition est cruciale pour l’hébergement, la transmission et l’expression des entérobactéries. Mieux décrire ces facteurs concoure à mieux comprendre l’épidémiologie des infections nosocomiales pour ce type de bactéries. 

Pour aller plus loin