Listériose

Une infection d’origine alimentaire sous haute surveillance

Longtemps méconnue du fait de sa rareté, la listériose est aujourd’hui considérée comme un problème de santé publique. Cette infection alimentaire est due à la bactérie Listeria monocytogenes. L’infection peut avoir des conséquences graves. Elle survient préférentiellement chez des personnes aux défenses affaiblies. Elle représente aussi une menace sérieuse pour les fœtus ou les nouveau-nés en cas d’ingestion d’aliments contaminés par la mère.

Dossier réalisé en collaboration avec Pascale Cossart (unité Inserm 604/Institut Pasteur/Inra, Interactions bactéries-cellules) et Marc Lecuit (unité Inserm 1117 /Institut Pasteur, Biologie des infections) 

Comprendre la Listériose

La bactérie Listeria monocytogenes a été décrite pour la première fois en 1926. Malgré la survenue de nombreuses épidémies de listériose dans le monde, il a fallu attendre les années 1980 pour que l’ingestion d’aliments contaminés soit reconnue comme la cause de la maladie. Depuis, de très sévères règles d’hygiène ont été imposées à la filière agro-alimentaire, et L. monocytogenes fait l’objet de recherches intensives. La maladie elle-même est surveillée, au niveau national comme international. 

Une maladie potentiellement grave

Lorsqu’une personne en bonne santé consomme des aliments contaminés par Listeria monocytogenes, la bactérie n’engendre en général pas de symptômes. L’infection est alors considérée comme non invasive. Une gastroentérite fébrile peut être observée en cas d’ingestion d’aliments massivement contaminés. 

En revanche, chez un consommateur aux défenses immunitaires affaiblies par l’âge, la maladie – cancer, maladie hépatique, insuffisance rénale, diabète, sida... – ou un traitement immunosuppresseur (personne transplantée de moelle ou d’organe, maladie auto-immune, patient sous chimiothérapie), la bactérie qui traverse la paroi intestinale peut se disséminer dans l’organisme. Cette forme invasive se manifeste de quelques jours à environ deux semaines après l’ingestion de l’aliment contaminé. Elle se traduit soit par une septicémie (infection du sang), soit par une atteinte cérébrale (méningite, méningoencéphalite) pouvant laisser des séquelles neurologiques. La létalité atteint alors 30%. 

Si une femme enceinte est contaminée, elle développe parfois un syndrome pseudo-grippal (fièvre, frissons, maux de tête, fatigue, courbatures) sans gravité. La bactérie qui est présente dans le sang maternel peut traverser le placenta, infecter le fœtus et provoquer un avortement spontané, une mort intra-utérine ou une naissance prématurée. Il arrive aussi que le nouveau-né soit contaminé au moment de l’accouchement. Il présente alors une détresse respiratoire et des signes neurologiques, ou, plus rarement, cutanés. Malgré les traitements antibiotiques administrés aux mères concernées, l’infection du fœtus ou du nouveau né reste très fréquente et grave.

Prévention : l’hygiène d’abord

L’origine alimentaire de la listériose n’a été mise en évidence qu’en 1981, lors d’une épidémie à Halifax (Canada). La bactérie n’altère ni l’aspect, ni l’odeur, ni le goût des aliments, ce qui la rend d’autant plus redoutable. En général, mais ce n’est pas une règle absolue, les denrées contaminées sont des produits animaux (fromage et charcuterie, entre autres). La prévention passe d’abord par un contrôle à la source. Chez l’éleveur, cela suppose l’hygiène de la traite, le refroidissement du lait ou l’isolement des animaux malades. Durant la transformation, les produits agroalimentaires subissent un contrôle rigoureux portant sur la chaîne du froid, l’hygiène des pratiques, des locaux et des infrastructures, ainsi que sur la cuisson. 

A la maison, chacun doit veiller : 

  • à la propreté de la cuisine, et en particulier celle du réfrigérateur qui doit être réglé à 3–4°C et régulièrement nettoyé et désinfecté à l’eau javellisée ;
  • à la séparation entre produits crus (viande, légumes) et aliments cuits ou prêts à consommer ;
  • au respect des dates limites de consommation (car la bactérie peut croître à 4°C) ;
  • à la cuisson soigneuse des restes (qui ne doivent pas être conservés plus de trois jours) ;
  • au lavage des légumes et des herbes aromatiques avant utilisation.

Ces règles de base deviennent particulièrement importantes pour les femmes enceintes et les personnes fragiles. Il leur est en outre recommandé d’éviter certains aliments à risque (voir encadré). 


Personnes à risque : les aliments à éviter

  • fromages au lait cru (surtout les pâtes molles), croûte des fromages, fromages vendus râpés
  • charcuterie cuite (rillettes, pâtés, foie gras, produits en gelée, etc.), éviter les aliments servis à la coupe
  • poissons fumés, coquillages crus, surimi, tarama…
  • graines germées crues (soja…)
  • viande hachée

Un rebond inexpliqué de l’incidence

Dans les années 1990, à la suite d’épidémies en Europe et en Amérique du Nord, une surveillance sévère a été établie dans les filières agro-alimentaires, et la déclaration obligatoire de la maladie mise en place. L’incidence de la listériose, qui touchait auparavant environ 15 personnes par million d’habitants en France, est alors descendue jusqu’à 3,5 personnes par million au début des années 2000 (soit un peu moins de 200 cas en 2001). Un rebond est cependant survenu à partir de 2006, en France comme en Allemagne, en Irlande, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni. L’incidence de la maladie s’est stabilisée à environ 5 personnes par million depuis 2008. C’est ainsi que 374 patients ont été diagnostiqués en France en 2014. Ils avaient en moyenne 71 ans et les trois-quarts d’entre eux souffraient d’une pathologie associée. Il s’agissait de cas sporadiques, aucune épidémie ne s’étant déclarée depuis plusieurs années, dans le contexte de la surveillance nationale épidémiologique et microbiologique de la listériose. Les raisons de cette augmentation récente ne sont pas précisément connues. Elles pourraient être liées au vieillissement de la population, et à l’utilisation accrue des traitements immunosuppresseurs dans cette population. 


Une maladie très surveillée, à fort impact économique

La production, la transformation et la distribution des aliments sont placées sous la surveillance constante de la Direction générale de l’alimentation (DGA), qui prélève chaque année plus de 60 000 échantillons, et de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Les professionnels, qui doivent répondre aux normes françaises et européennes, mettent aussi en place un autocontrôle. En cas de dépassement du seuil de contamination (plus de 100 bactéries/g), voire en cas de simple présence pour certains aliments, les matrices ou les aliments sont retirés de la chaine de production ou de la vente. 

En cas de listériose avérée, la déclaration est obligatoire (circulaire DGS/VS 98/240 du 15 avril 1998). Un résumé du tableau clinique et de son évolution, ainsi qu’un questionnaire sur les habitudes alimentaires du patient, sont adressés à l’Institut de veille sanitaire (InVS) qui supervise en continu les aspects cliniques et épidémiologiques de la maladie. Les souches de Listeria d’origine clinique et alimentaires sont adressées au Centre national de référence (CNR) des Listeria, hébergé à l’Institut Pasteur, qui assure leur typage moléculaire afin de détecter des cas groupés évocateurs d’une épidémie débutante et d’identifier la source alimentaire impliquée. La technique de référence pour ce typage est la PFGE (pulse field gel electrophoresis). Le CNR Listeria a développé une méthode de typage par analyse de la séquence génomique, et celle-ci est actuellement utilisée en routine dans la surveillance. 

Si des cas groupés apparaissent, l’InVS peut activer la Cellule interministérielle listeria – comprenant des représentants de l’InVS, du CNR, de la Direction générale de la santé (DGS), de la DGAL, de la DGCCRF et de l’Anses – qui décide d’interventions complémentaires (recueil d’information, prélèvements, contrôles, éventuel rappel) sur les lieux d’achat ou de production de l’aliment incriminé. 

L’Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA) et l’European Centre for Disease Prevention and Control (ECDC) coordonnent les actions de surveillance au niveau européen. 


Les antibiotiques à la rescousse

La listériose est diagnostiquée par une analyse microbiologique qui confirme la présence de L. monocytogenes dans le sang, le placenta, le liquide céphalo-rachidien ou, plus rarement, dans un autre type de prélèvement (liquide d’ascite, ponction articulaire ou prélèvement périnatal). L’hospitalisation s’impose alors quasi systématiquement.

Le traitement repose sur de fortes doses d’antibiotiques, associant à la phase initiale et en l’absence d’allergie, l’amoxicilline et un aminoside (en général la gentamicine) chez l’adulte et le nouveau-né. Ces traitements sont administrés par voie intraveineuse. L’amoxicilline est poursuivie durant trois à quatre semaines. Il en va de même pour une femme enceinte présentant un syndrome pseudo-grippal, que la listériose soit diagnostiquée ou simplement suspectée. 

La résistance aux antibiotiques de Listeria ne pose pas de problème en pratique clinique, car la totalité des souches rencontrées sont sensibles au traitement de référence. Des cas de résistance isolée à des antibiotiques peu ou pas utilisés ont cependant été décrits. Selon Pascale Cossart, qui dirige l’unité des Interactions bactéries-cellules à l’Institut Pasteur, « il existe quelques souches résistantes à certains antibiotiques mais l’infection reste traitable. L’essentiel est d’établir le diagnostic et de traiter le plus tôt possible : il faut éviter que la bactérie atteigne le cerveau et entraîne des séquelles neurologiques. »

Enfin, pour une personne ayant mangé un aliment reconnu comme contaminé mais ne présentant pas de symptôme, aucun test biologique ni traitement ne s’impose. Il faut en revanche surveiller durant deux mois l’apparition de fièvre ou de maux de tête, et consulter alors immédiatement en signalant au médecin la consommation de cet aliment. 

Listeria monocytogenes : une bactérie bien armée

Listeria monocytogenes est une bactérie saprophyte (microorganisme qui se nourrit en absorbant de la matière organique en décomposition), très résistante aux conditions extérieures. Elle vit dans les sols, les eaux ou sur les végétaux. Une proportion importante des animaux d’élevage l’héberge naturellement dans leur intestin, et leurs excréments contaminent le milieu. 

Capable de se multiplier à basse température, elle peut proliférer dans les réfrigérateurs et les ateliers de transformation de la filière agroalimentaire. De plus, elle supporte les milieux salés (saumures) et acides. Sensible à la chaleur, elle est en revanche absente des aliments cuits et des conserves, mais une contamination peut intervenir après la cuisson. 

L. monocytogenes est un bacille (bactérie en forme de bâtonnet) capable de pénétrer et survivre dans les cellules de son hôte. Elle dispose pour cela de tout un arsenal d’outils moléculaires (voir encadré). Cette aptitude à pénétrer dans les cellules lui permet de traverser la paroi intestinale ainsi que les enveloppes protectrices du cerveau et de la barrière placentaire. 


Une bactérie modèle pour les mécanismes d’infection et la réponse de l’hôte

« Listeria monocytogenes est devenue un véritable modèle d’infection, étudié par de nombreuses équipes en Europe (France, Allemagne, Espagne, Portugal) et en Amérique (Etats-Unis, Canada) » souligne Marc Lecuit, qui dirige l’unité de Biologie des infections à l’Institut Pasteur. Elle doit ce statut à sa capacité de pénétrer dans la cellule et à franchir les barrières intestinale, placentaire et hémato-encéphalique. Elle est également capable de moduler la réponse inflammatoire et est éliminée de l’organisme par l’immunité cellulaire (celle qui fait intervenir des lymphocytes T). 

Grâce à L. monocytogenes, il est possible de mieux comprendre comment d’autres pathogènes peuvent eux-mêmes franchir ces barrières. C’est aussi grâce à elle qu’ont été mis en évidence les mécanismes de l’immunité cellulaire. 


Les enjeux de la recherche

Depuis les années 1980, L. monocytogenes fait l’objet de recherches intensives portant en particulier sur son interaction avec l’hôte et ses mécanismes infectieux. « Nous analysons cette bactérie sous toutes ses facettes depuis 30 ans, à l’aide de toutes les techniques et approches disponibles » souligne ainsi Pascale Cossart, dont l’unité s’intéresse aux bases moléculaires et cellulaires de l’infection depuis 1986. La chercheuse a également coordonné le séquençage complet du génome de Listeria monocytogenes, achevé en 2000 dans le cadre d’un consortium européen, et celui du génome de Listeria innocua, espèce très voisine mais non pathogène. 

A cette « dissection » détaillée de la bactérie elle-même s’ajoute le travail de l’équipe de Marc Lecuit, qui se focalise sur les interactions de cette dernière avec son hôte. Il lui a notamment fallu pour cela créer un modèle de souris « humanisée » dont Listeria traverse la barrière intestinale (ce qu’elle ne fait pas normalement chez la souris) et la barrière placentaire. Le Centre national de référence (CNR) Listeria – centre collaborateur de l’OMS – est rattaché à ce laboratoire. Outre sa fonction première de surveillance microbiologique, le CNR génère des données que le laboratoire exploite expérimentalement. Ainsi, en comparant les bactéries présentes chez les malades déclarés et celles provenant de prélèvements routiniers sur les aliments à risque, l’équipe a très récemment démontré, en collaboration avec l’unité de Génomique évolutive des microbes (Institut Pasteur/CNRS UMR 3525), l’existence de souches hypervirulentes, plus souvent présentes chez les patients. 


Des études observationnelles inédites 

L’unité Inserm 1117, en collaboration avec l’InVS, mène depuis 2010 des études cliniques nationales sur la forme invasive de la maladie : 

  • MONALISA (Multicentric Observational National Analysis for Listeriosis and Listeria, un programme financé par l’ANR), première étude prospective jamais menée sur la listériose, cherche à identifier chez les patients des facteurs de risque, des facteurs pronostiques et des biomarqueurs de l’infection, ainsi qu’à caractériser le tableau clinique et les pratiques thérapeutiques actuelles.
  • Listeriagen constitue le volet génétique de MONALISA, puisqu’il s’agit d’identifier chez l’homme d’éventuels facteurs génétiques de susceptibilité à la maladie.
  • MONALISA Baby veut évaluer les conséquences à long-terme de l’infection chez les enfants atteints de listériose à la naissance. Il s’agit en particulier de distinguer les effets de la septicémie, de l’atteinte cérébrale et de la prématurité sur leur développement.

Listeria une bactérie modèle – interview – 5 min 40 – extrait de la série Les entretiens de M/S (2018)

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