Giovanni Marsicano : « Le système endocannabinoïde n’a pas encore livré tous ses secrets »

Tirant son nom du produit par lequel il a été identifié, le système endocannabinoïde est un ensemble de récepteurs cellulaires et de molécules dont le rôle naturel est progressivement décrypté. Voilà plus de 15 ans que Giovanni Marsicano, responsable d’une équipe au Neurocentre Magendie (Bordeaux), se consacre à son étude. En 2010, il a décroché un financement du Conseil européen de la recherche (ERC Starting Grant) pour comprendre son rôle dans la prise alimentaire. Ce point de départ l’a conduit bien au-delà...

Qu’est-ce qui vous a conduit à vous intéresser au système endocannabinoïde ?

Giovanni Marsicano
Giovanni Marsicano © Inserm/Prat, Laurence

J’ai eu un parcours assez atypique : vétérinaire de formation, j’ai commencé la recherche en Italie en 1992, à l’université puis dans le secteur privé. Mais il s’agissait surtout de recherche appliquée. Parce que je voulais me pencher sur des phénomènes inexplorés et parce que les neurosciences me fascinaient, j’ai décidé de reprendre le chemin de l’université en 1997, au sein de l’Institut allemand Max Planck : trois années de doctorat de neurosciences, suivies de trois années de post-doctorat m’ont permis de commencer à m’intéresser au système endocannabinoïde. Grâce à cette spécialisation, j’ai pu rejoindre le Neurocentre Magendie au sein duquel j’ai obtenu cet bourse ERC, en 2010. 

Comment ce système régule-t-il la prise alimentaire ?

Nous avons pu démontrer que la faim stimule l’activité des récepteurs endocannabinoïdes, qui activent à leur tour l’olfaction. Notre odorat est alors accru et rend la nourriture plus attractive, ce qui augmente notre envie de manger. Mais il s’agit là d’une des propriétés du système endocannabinoïde, parmi tant d’autres ! Ses récepteurs apparaissent de plus en plus comme des régulateurs impliqués dans de nombreux domaines de l’activité cérébrale. Dans mon laboratoire, j’ai souhaité que notre recherche parte de la base, d’une molécule, pour que nous puissions la suivre dans tous les mécanismes biologiques où elle est impliquée. Cette approche est particulièrement adaptée au cas du système endocannabinoïde qui joue un rôle transversal. Le financement de l’ERC nous permet d’avancer efficacement dans plusieurs directions à la fois.

Que vous a‑t-il permis de découvrir ?

Nous avons mis en évidence deux phénomènes majeurs : en premier lieu, nous avons montré que des récepteurs endocannabinoïdes, présents à la surface de cellules cérébrales, sont également présents à l’intérieur, fixés à la surface de la mitochondrie. L’activité de ces organites, « centrales énergétiques » des cellules, pourrait donc être perturbée chez les consommateurs de cannabis, ce qui expliquerait les problèmes de mémorisation qu’ils peuvent rencontrer. Autre découverte : nous avons montré que la prégnénolone, un précurseur naturel de plusieurs de nos hormones, est capable d’inhiber certains effets délétères liés à la consommation de cannabis. Cette découverte pourrait conduire au développement d’un produit de sevrage pour les consommateurs. Selon les données obtenus dans des modèles animaux, elle pourrait aussi les protéger de son effet psychotique et réduire les troubles psychiatriques que connaissent beaucoup des consommateurs. Ces découvertes pourraient avoir des implications thérapeutiques dans les prochaines années : nous avons justement décroché un ERC Proof of Concept afin de conduire des études de faisabilité testant cette dernière hypothèse... 

En savoir plus sur Giovanni Marsicano et ses travaux

Giovanni Marsicano dirige l’équipe Endocannabinoïdes et Neuroadaptation au sein de l’unité Inserm 1215, Neurocentre Magendie à Bordeaux. 

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