Vers des vaccins anti-cancer plus efficaces ?

Des vaccins anti-cancer administrés par voie nasale permettraient de stimuler une population de lymphocytes T mémoires spécifiquement présente dans les muqueuses et, ainsi, d’améliorer l’efficacité de leur réponse contre des cancers de la tête et du cou, du poumon et peut-être même des voies génitales. 

Et si administrer des vaccins thérapeutiques contre les cancers par voie intramusculaire ou sous-cutanée n’était pas la méthode la plus efficace ? De récents travaux de chercheurs de l’Inserm, soutenus par la Ligue Nationale contre le Cancer, indiquent que, au moins pour les vaccins thérapeutiques destinés à traiter les tumeurs de la tête et du cou, la voie nasale est une bien meilleure option : elle semble en effet indispensable à la stimulation d’une population particulière de lymphocytes T mémoires, capables de contrôler à eux seuls la croissance tumorale chez la souris. 

Ces cellules T sont appelées « mémoires » car, une fois activées par la rencontre avec un agent pathogène à éliminer, elles permettent de lutter plus efficacement contre lui en cas de nouvelle rencontre. Elles sont en outre qualifiées de « Trm », pour TissueResident memory T cells, car elles ont la particularité de se maintenir dans les tissus, à l’endroit même où elles ont été activées. Ces cellules sont présentes dans les muqueuses au niveau des voies respiratoires, digestives, pulmonaires et génitales, mais aussi dans la peau. Elles expriment en effet des protéines qui leurs confèrent une forte affinité pour les cellules épithéliales qui tapissent ces tissus. « Il s’agit en quelque sorte de sentinelles qui patrouillent au niveau des muqueuses », clarifie Eric Tartour*, responsable de ces travaux conduits en collaboration avec l’équipe dirigée par Ludger Johannes**. 

Les chercheurs ont étudié l’intérêt de ces cellules dans le cadre de la vaccination anti-cancer, se demandant si un vaccin permettant de les stimuler offrirait un bénéfice supplémentaire pour les patients. Pour cela, ils ont administré un vaccin thérapeutique expérimental contre des tumeurs de la tête et du cou à des souris. Ce vaccin est capable de stimuler les lymphocytes T-CD8 contre les cellules cancéreuses. Lorsqu’il est administré par voie nasale, les chercheurs ont constaté qu’il induit l’activation de cellules Trm et que la présence de ces cellules est alors associée à une plus grande efficacité du vaccin. Concrètement, la croissance de tumeurs greffées était stoppée chez les souris vaccinées par voie nasale, alors que les animaux contrôles mourraient au bout d’un mois. En comparaison, le même vaccin injecté par voie intramusculaire ne peut sauver que la moitié des animaux. 

La voie nasale pour plusieurs types de cancers

Les chercheurs se sont ensuite intéressés à des patients atteints de cancer du poumon. Ils ont observé que la présence d’un grand nombre de cellules Trm dans leurs tumeurs était associée aux formes les moins agressives de la maladie et aux meilleures chances de survie. Induire ces cellules grâce à un vaccin paraît donc une stratégie prometteuse. Par ailleurs, il existe des systèmes de communication entre les muqueuses. Des travaux antérieurs ont montré que la voie nasale peut induire une réponse immunitaire jusque dans les voies génitales, suggérant que les Trm pourraient être activées à distance de la voie d’administration. Il n’est donc pas impossible que l’administration par voie nasale puisse améliorer l’efficacité de vaccins contre des cancers du col de l’utérus ou encore de l’endomètre.

« Le choix de la voie d’administration du vaccin est vraiment primordiale, insiste Eric Tartour. La voie nasale semble être la seule qui permette d’induire de manière efficace ces cellules Trm au niveau des muqueuses de la sphère ORL et pulmonaire.Avec une vaccination par voie intramusculaire ou sous-cutanée, on active des cellules mémoires différentes, qui ne sont pas éduquées pour arriver sur le site tumoral distant de la voie d’immunisation. Certains développements de vaccins contre les cancers du poumon se sont soldés par un échec. Peut-être qu’ils ne sont pas totalement inefficaces, mais que la voie d’administration est à revoir », suggère-t-il. Encouragés par ces résultats et ces observations, les chercheurs viennent de débuter un essai préclinique chez le primate. Leur objectif est de comparer l’efficacité d’un vaccin thérapeutique contre des cancers muqueux (ORL ou poumon) lorsqu’il est administré par voie nasale ou par voie intramusculaire. 

Si l’essai est positif, et avec les données obtenues chez la souris, nous aurons assez d’arguments pour développer un essai clinique chez l’homme, clarifie.
L’immunothérapie est en train de révolutionner la prise en charge du cancer, mais seulement 25 à 30% des patients sont répondeurs. Pour les autres, l’association d’un vaccin pourrait permettre d’induire une réponse immunitaire qui serait ensuite stimulée par l’immunothérapie afin d’éliminer la tumeur. C’est pourquoi nous devons continuer d’améliorer les stratégies vaccinales et de rechercher les plus efficaces.

Eric Tartour

Note

* unité 970 Inserm/Université Paris Descartes, Paris-Centre de recherche cardiovasculaire (PARCC), hôpital européen Georges-Pompidou (HEGP), Paris, équipe labellisée Ligue Nationale contre le Cancer. 

** unité 1143 Inserm/CNRS/Institut Curie, Paris 

Source

M. Nizard et coll. Nature Communications, édition en ligne du 24 mai 2017