Les transporteurs placentaires encartés

Une équipe Inserm vient de cartographier les transporteurs placentaires qui assurent le transfert de nombreuses molécules de la mère au fœtus et inversement. Cette cartographie, réalisée à différents stades de la grossesse, constitue un outil formidable pour étudier l’impact de polluants environnementaux ou de médicaments sur le fœtus.

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© Inserm, MC Vacher-Lavenu Détail en ultrastructure de la barrière foeto-maternelle au niveau du placenta.

Prédire l’effet des polluants environnementaux ou de médicaments sur le fœtus est une préoccupation importante des scientifiques et des autorités de santé. Des travaux conduits sur des cultures de cellules de placentas humains permettent déjà de réaliser des études de toxicité placentaire. Mais aujourd’hui, une équipe Inserm* apporte un outil complémentaire précieux pour poursuivre ses travaux : les chercheurs ont en effet établi une cartographie spatio-temporelle de l’expression de plus de quatre-vingts transporteurs de molécules dans le trophoblaste, tissu essentiel du placenta. 

Les transporteurs sont des protéines intégrées dans les membranes des cellules. Ils permettent à des molécules de traverser ces membranes pour entrer ou sortir des cellules. Ils sont inégalement répartis dans les différentes cellules de l’organisme, en fonction des besoins de chaque organe. Les cellules du placenta en contiennent plusieurs dizaines, nécessaires au passage de nutriments (sucres, acides aminés, peptides, ions inorganiques, vitamines, mono- et dicarboxylates, nucléosides, acides gras…), afin de permettre le bon développement du fœtus. Certains d’entre eux permettent à des molécules thérapeutiques de traverser le placenta, d’autres vont au contraire empêcher leur passage. Il existe en outre des transporteurs qui assurent le transfert de déchets (comme l’urée) du fœtus vers la mère. Ainsi, la sélection des molécules transportées et leur sens de passage dépendent de la présence ou au contraire l’absence de transporteurs sur les différentes cellules du placenta, les cytotrophoblaste et les syncytiotrophoblaste. 

84 transporteurs à la loupe

« Nous avions déjà une idée des transporteurs présents dans le placenta, mais les travaux antérieurs ont principalement été effectués sur des extraits placentaires ou des lignées cellulaires. Il était donc difficile de savoir précisément dans quel type de cellules ils étaient localisés (cytotrophoblaste et/ou syncytiotrophoblaste). Par ailleurs, le placenta est un organe en formation au cours des premiers mois de grossesse : sa structure se modifie au cours du temps. Ces précédents travaux ne tenaient pas compte de ces évolutions temporelles », explique Sophie Gil, coauteur des travaux. Dans cette nouvelle étude, les chercheurs ont donc recherché la présence des ARN messagers reflétant la présence de 84 transporteurs au cours de la différenciation des cytotrophoblastes en syncytiotrophoblastes à deux stades de la grossesse : lors du premier et du troisième trimestre.

Le placenta, un organe en mutation pendant neuf mois 
Le placenta est à l’interface entre la mère et le fœtus. Il est indispensable pour nourrir le fœtus et adapter l’organisme maternel à la grossesse. L’unité structurale et fonctionnelle du placenta humain est la villosité choriale, formée d’un axe d’origine embryonnaire où se développent les vaisseaux fœtaux et bordée par le trophoblaste. Les cellules trophoblastiques villeuses forment une couche de cellules mononucléées (cytotrophoblastes) qui se différencient par fusion en syncytiotrophoblaste multinucléé recouvrant l’ensemble des villosités. Le syncytiotrophoblaste se forme et se régénère tout au long de la grossesse par fusion et différenciation des cellules cytotrophoblastiques sous-jacentes. Ainsi, l’épaisseur de l’interface materno-fœtale séparant les circulations maternelle et fœtale jouant le rôle de « barrière placentaire » va diminuer au cours de la grossesse. Au cours du premier trimestre, le cytotrophoblaste forme une couche épaisse et continue. Au cours des deux derniers trimestres, cette couche va devenir plus fine, avec des cellules moins nombreuses et avec de longs prolongements situés entre le syncytiotrophoblaste et la membrane basale. 

Parmi les transporteurs étudiés, les scientifiques se sont notamment intéressés aux protéines d’efflux qui font ressortir une molécule aussitôt qu’elle entre dans la cellule. « Ces protéines sont connues pour causer des résistances aux traitements anti-cancéreux en expulsant les molécules de chimiothérapie hors des cellules tumorales. A l’inverse, sur un plan physiologique, elles protègent le fœtus de certaines molécules thérapeutiques », explique Sophie Gil. 

Au final, les chercheurs sont parvenus à dresser une carte d’expression des transporteurs placentaires en fonction du type cellulaire et du stade de grossesse. « Il s’agit d’un socle solide pour poursuivre des investigations plus poussées sur tel ou tel transporteur », se réjouit Sophie Gil. « Nous allons par exemple étudier l’impact de polluants environnementaux sur l’expression de certains transporteurs, afin d’évaluer les effets sur le fœtus. D’autres équipes pourront faire de même avec des médicaments ou encore regarder si des anomalies relatives à ces transporteurs peuvent être impliquées dans des pathologies », conclut-elle.

Note 
*unité 1139 Inserm/ Université Paris Descartes, Paris 

Source 
P. Berveiller et coll. Drug transporter expression during in vitro differentiation of first-trimester and term human villous trophoblasts. Placenta, édition en ligne du 11 novembre 2014