La protéine tau quitte naturellement son neurone

Impliquées dans la maladie d’Alzheimer, les protéines tau sortent naturellement des neurones via des vésicules appelées « ectosomes ». Cette sécrétion pourrait être associée à la propagation de la neurodégénérescence dans le cerveau, mais cela reste encore à prouver.

Impliquée dans les tauopathies telles que la maladie d’Alzheimer, la protéine tau semble capable de passer de neurone en neurone, propageant ainsi la maladie. Mais les mécanismes de cette propagation restent pour l’heure énigmatiques. Une équipe Inserm(1) vient toutefois d’apporter une pièce au puzzle, en montrant que la protéine sort naturellement des neurones. Reste à savoir si la dérégulation de cette sécrétion physiologique joue un rôle dans les tauopathies. 

Un phénomène physiologique

© Inserm/U837 Marquages fluorescents de la protéine tau (en rouge) et des noyaux (en bleu) dans des cellules issues de la lignée cellulaire humaine de neuroblastome Kelly. Ces cellules sont utilisées comme modèle de dégénérescence neurofibrillaire.

Considérée au départ comme une simple molécule de soutien qui participe à l’architecture des neurones, la protéine tau a en définitive des rôles et des fonctions beaucoup plus variés. Ainsi, la même équipe de chercheur a déjà montré que la protéine peut entrer dans le noyau des neurones et va alors protéger l’ADN de ces cellules(2). En poursuivant leurs travaux, ces chercheurs ont constaté que cette protéine pouvait aussi quitter les neurones naturellement, grâce à des microparticules appelées ectosomes. Ce phénomène a été observé in vitro sur des cellules en culture (lignées cellulaires murines et cultures de neurones primaires), mais aussi in vivo chez des rats en bonne santé, en analysant le liquide interstitiel qui entoure les cellules de leur cerveau. Dans tous les cas, les chercheurs ont constaté la présence d’ectosomes contenant des protéines tau à l’extérieur des cellules neuronales. 

« Ces ectosomes sont des vésicules qui se forment à partir de la membrane cellulaire. Cette dernière bourgeonne vers l’extérieur de la cellule et forme une sphère, incorporant du liquide et des protéines contenus dans la cellule. Il s’agit d’un phénomène tout à fait physiologique observé sur des cellules neuronales saines, explique Morvane Colin, co-auteur des travaux. Il se peut qu’il permette simplement de réguler la concentration interne en protéine tau. D’ailleurs, en cas de surexpression de cette protéine in vivo chez des rats (3,4), nous avons non seulement retrouvé le même processus, mais également la présence d’exosomes contenant de la protéine tau, un autre type de vésicules qui se forment à l’intérieur de la cellule et finissent par être sécrétées dans le milieu extracellulaire. Cela pourrait correspondre au besoin qu’aurait la cellule de se débarrasser à tout prix de protéines tau en excès », suggère la chercheuse. 

Beaucoup de points à clarifier

Reste maintenant à vérifier si ces vésicules, une fois libérées, pénètrent bien dans d’autres neurones situés à proximité et, le cas échéant, à savoir comment s’opère ce transfert. Il faudra ensuite clarifier plusieurs points : ce mode de passage naturel véhicule-t-il un message biologique ? Est-il impliqué dans la propagation de la maladie ? La forme de la protéine tau responsable de la neurodégénérescence dans la maladie d’Alzheimer circule-t-elle de la même façon ? « Pour cela, de nombreux travaux, in vitro et in vivo, seront encore nécessaires. Il faudra notamment comparer le liquide céphalo-rachidien de personnes malades et celui de témoins. Cela permettra de savoir si cette approche peut aider au diagnostic précoce de la maladie », conclut la chercheuse. 

Note

(1) unité 837 Inserm/Université Lille 2, équipe Alzheimer and tauopathies, Centre de recherche Jean Pierre Aubert, Lille, en association avec le CEA, le CNRS 

(2) Sultan A, Nesslany F, Violet M, Bégard S, Loyens A, Talahari S, Mansuroglu Z, Marzin D, Sergeant N, Humez S, Colin M, Bonnefoy E, Buée L, Galas MC. Nuclear tau, a key player in neuronal DNA protectionJ Biol Chem. 2011 Feb 11;286(6):4566–75.

(3)- Dujardin S, Lécolle K, Caillierez R, Bégard S, Zommer N, Lachaud C, Carrier S, Dufour N, Auregan G, Winderickx J, Hantraye P, Deglon N, Colin M*, Buee L*. Neuron-to-neuron wild-type Tau protein transfer through a trans-synaptic mechanism : Relevance to sporadic Tauopathies. Acta Neuropathol Comm2014, Acta Neuropathol. Comm. 2 : 14.

(4)- Caillierez R, Bégard S, Lécolle K, Deramecourt V, Zommer N, Dujardin S, Loyens A, Dufour N, Aurégan G, Winderickx J, Hantraye P, Déglon N, Buée L, Colin M. Lentiviral delivery of the human wild-type tau protein mediates a slow and progressive neurodegenerative tau pathology in the rat brainMol Ther. 2013 Jul;21(7):1358–68.

Source

Dujardin S, Bégard S, Caillierez R, Lachaud C, Delattre L, et al. (2014) Ectosomes : A New Mechanism for Non-Exosomal Secretion of Tau Protein. PLoS ONE 9(6): e100760. doi:10.1371/journal.pone.0100760