Un modèle expérimental innovant pour étudier le binge drinking

Une équipe Inserm est parvenue à élaborer un protocole expérimental permettant d’étudier le binge drinking. Jusqu’alors, les chercheurs ne disposaient d’aucun modèle réaliste pour explorer ce phénomène, qui désigne le fait de consommer beaucoup d’alcool dans un laps de temps très restreint.

Consommer beaucoup d’alcool, très rapidement. C’est ainsi qu’est défini le binge drinking, un mode de consommation excessif de boissons alcoolisées, observé chez les jeunes en particulier. Ce comportement dangereux est associé à un risque accru d’usage d’alcool excessif à l’âge adulte et de troubles de l’humeur. C’est pourquoi il est nécessaire de développer des stratégies de prévention du binge drinking.

Mickael Naassila, responsable du Groupe de recherche sur l’alcool et les pharmacodépendances* (Amiens), travaille sur les questions d’addiction à l’alcool. « Nous avons plusieurs études en cours sur le binge drinking chez les jeunes » précise-t-il. « Nous nous intéressons aux conséquences cérébrales et cognitives de ce genre de pratique. Nous avons notamment montré qu’elles provoquent des atteintes de la substance grise et de la substance blanche. » Jusqu’à maintenant, les chercheurs ne disposaient pas d’un modèle d’étude préclinique réaliste. Mais dans leur dernière publication, Mickael Naassila et son équipe décrivent un nouveau protocole expérimental qui permet de reproduire le phénomène de binge drinking chez le rat. 

Chez l’humain, les situations comme les happy hours, lors desquelles de l’alcool est proposé à prix accessible sur un temps limité, entraînent souvent ce genre de comportements. « C’est ce que nous avons cherché à reproduire chez l’animal », explique Mickael Naassila. « Nous avons donné à des rats un accès à de l’alcool pendant des périodes de 15 minutes, donc très courtes. Les animaux devaient activer un levier pour recevoir les doses d’alcool ». En conditionnant les rats de cette manière, les chercheurs ont reproduit chez eux des comportements associés au binge drinking, prenant en compte les facteurs motivationnels puisque les animaux doivent volontairement s’auto-administrer l’alcool et fournir un effort en appuyant 3 fois sur un levier. 

Reproduire le binge drinking chez l’animal

« Nous avons trouvé un moyen de conditionner les rats à consommer de l’alcool en quantité très importante. Les animaux montrent des signes d’intoxication éthylique manifestes, avec une sédation et une incoordination motrice qui caractérisent le binge drinking. Les animaux s’hyper-alcoolisent volontairement et rapidement. On observe toutefois des hétérogénéités, avec des bingers modérés (alcoolémie de 0,8g/litre) ou plus sévères (alcoolémie de 2.0g/l). Nous pouvons faire un parallèle avec nos travaux chez l’humain », explique Mickael Naassila. 

Plusieurs résultats ont permis de valider ce modèle d’étude. En premier lieu, les animaux souffrent de troubles de la locomotion à partir d’un niveau d’alcoolémie de 0,8g/l, qui correspond au seuil d’intoxication proposé pour la définition du binge drinking chez l’humain. Ensuite, les chercheurs constatent une altération des facultés de prise de décision chez les rats, un autre symptôme caractéristique. 

L’OMS définit ce comportement par une prise de 5 à 6 verres d’alcool par occasion. Pourtant, de grosses différences existent entre les individus : certains consomment 10 verres par heure, d’autres 15, ou 20… et cela pour des raisons différentes, allant de l’envie de faire la fête au besoin de consommer pour faire face à leurs problèmes ou à leur anxiété, par exemple. Les personnes concernées par le binge drinking forment donc des groupes très hétérogènes. Il est essentiel de disposer d’un modèle expérimental opérant pour mieux comprendre ce phénomène, les facteurs de vulnérabilité associés et ses bases neurobiologiques. 

Comprendre l’hétérogénéité des bingers pour une prévention efficace

L’équipe de Mickael Naassila souhaite mettre en évidence les déterminants individuels qui font que certaines personnes sont plus sensibles que d’autres à ce genre de pratiques. Des travaux ont d’ores et déjà démarré chez ce modèle animal, sur les différences entre mâles et femelles, le rôle de l’anxiété, des interactions sociales, de l’impulsivité, ou encore de facteurs environnementaux, qui peuvent aggraver le binge drinking.

« Pour qu’une prévention chez l’humain soit efficace, il est nécessaire qu’elle soit ciblée. D’où l’intérêt de définir des sous-groupes », poursuit Mickael Naassila. L’intérêt de travailler avec un modèle animal est que les paramètres environnementaux sont parfaitement contrôlés, et qu’il est possible de comparer les individus avant et après l’initiation du binge drinking. A terme, cette approche permettra de mieux comprendre les facteurs individuels qui entrent en jeu dans ce comportement, et de définir, chez l’humain, différents groupes de consommateurs en fonction de leurs caractéristiques. 

Le binge drinking et la mémoire – animation pédagogique – 3 min 14 – vidéo extraite de la plateforme Maad Digital 

Note

*unité 1247 Inserm/Université de Picardie Jules Verne, Groupe de recherche sur l’alcool et les pharmacodépendances, Amiens

Source

J Jeanblanc et coll., Face validity of a pre-clinical model of operant binge drinking : just a question of speed. Addict Biol, édition en ligne du 4 juin 2018