Hémophilie A : induire une tolérance précoce au facteur VIII pour empêcher les complications

Une équipe Inserm a réussi à rendre des souris hémophiles tolérantes au facteur de coagulation qui leur fait défaut. Pour y parvenir, les chercheurs ont exposés les animaux à cette protéine dès le stade fœtal. Cette approche pourrait permettre d’éviter une complication du traitement de l’hémophilie : l’apparition d’anticorps dirigés contre le facteur substitution injecté aux patients.

Exposer les patients à une protéine thérapeutique dès le stade fœtal, pour induire une tolérance immunitaire vis-à-vis de cette protéine : voilà la vision très prospective d’une équipe Inserm* qui cherche à lutter contre des pathologies telles que l’hémophilie ou certaines maladies auto-immunes. Les travaux visant à tester cette approche sur des souris hémophiles, conduits au Centre de recherche des Cordeliers (Paris) par Nimesh Gupta, sont très encourageants. 

« Des anomalies génétiques entrainent parfois un déficit en certaines protéines qui va générer des maladies graves. C’est le cas pour l’hémophilie A, due à l’absence du facteur VIII de la coagulation. La solution est d’injecter aux malades cette protéinedérivée du sang de donneur ou produite par génie génétique. Mais comme le système immunitaire du patient n’a jamais été exposé à la protéine en question, il peut la considérer comme un élément étranger et l’éliminer. Notre objectif est donc d’établir chez ces personnes une tolérance à la protéine thérapeutique », explique Sébastien Lacroix-Desmazes, coordinateur des travaux. 

Faire passer la protéine manquante de la mère à l’enfant

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© Inserm, M. Depardieu Poches congelées et attribuées. Elles sont envoyées ensuite à un laboratoire de fractionnement qui en extrait des produits stables (Ig, facteurs de coagulation, ...)

Au cours de la grossesse, la mère transmet des immunoglobulines à son fœtus via la liaison d’un de leur fragment (fragment Fc) à un récepteur (FcRn) présent au niveau du placenta. L’idée des chercheurs est d’utiliser cette voie pour faire parvenir la protéine facteur VIII au fœtus, afin de sensibiliser précocement son système immunitaire et le rendre tolérant à cette protéine. Pour tester cette stratégie, les chercheurs ont travaillé sur des souris en gestation, atteintes d’hémophilie A. Ils ont injecté aux mères des morceaux de facteur VIII couplés au fragment Fc. Puis sept semaines après la naissance des souriceaux, les chercheurs leur ont administré du facteur VIII thérapeutique exogène. 

Les chercheurs ont alors observé une baisse de 80% de la réponse immunitaire anti-facteur VIII chez les souriceaux traités in utero, par rapport à des souris témoins non traitées. 

Plusieurs maladies potentiellement concernées

Ce résultat est encourageant dans le contexte de la mise sur le marché américain d’un complexe FVIII-Fc thérapeutique (développé en tant que facteur de substitution à durée d’action augmentée). Toutefois, les données disponibles ne suffisent pas pour envisager de tester cette approche chez l’Homme : « Il faut d’abord vérifier que l’injection d’une protéine couplée au fragment Fc ne déclenche pas de réaction immunogène délétère chez la femme enceinte. Il faut également vérifier que le FVIII-Fc passe bien la barrière placentaire chez celle-ci », décrit Sébastien Lacroix-Desmazes. Ensuite seulement, il sera possible d’évaluer le bénéfice de ce traitement dans le cadre de maladies graves qu’il est possible de diagnostiquer avant la naissance : les hémophilies A et B, ou encore la maladie de Pompe, une maladie mortelle due à l’absence d’une enzyme métabolique. L’équipe de Roberto Mallone**, cosignataire de la présente étude, travaille quant à elle sur le diabète de type 1 avec l’objectif de rendre le système immunitaire tolérant aux cellules productrices d’insuline.

Notes

* unité 1138 Inserm/Université Pierre et Marie Curie, Centre de recherche des Cordeliers, Paris
** unité 1016 Inserm/CNRS/Université Paris Descartes, Institut Cochin, Paris 

Source

N. Gupta et coll. Regulation of immune responses to protein therapeutics by transplacental induction of T cell tolerance. Science Translational Medicine du 18 février 2015