Embryologie et génomique : deux programmes transversaux sur les rails

En 2018, l’Inserm a lancé deux programmes de grande ampleur par leurs objectifs scientifiques et stratégiques : Human Development Cell Atlas (HuDeCA) et Variabilité génomique. Outre leurs visées scientifiques ambitieuses, ils permettront à l’Institut de maintenir sa place parmi l’élite de la recherche mondiale.

Un article à retrouver dans le rapport d’activité 2018 de l’Institut

Deux programmes transversaux ont fait leur entrée dans le portefeuille des projets prioritaires de l’Inserm. Le premier vise à établir une gigantesque base de données des cellules composant un embryon ou un fœtus, tandis que le second dressera la liste de tous les variants sains des gènes humains. En plus d’accroître considérablement nos connaissances dans le domaine de l’embryologie et de la génétique, ces projets témoignent également d’une intention stratégique : préparer les équipes de recherche afin qu’elles puissent répondre efficacement à des appels de projets internationaux. « Nous allons créer des consortia de chercheurs qui n’avaient pas l’habitude de travailler ensemble jusqu’ici, et qui seront prêts à répondre à des appels d’offres. Nous constituons ainsi des task forces. Cela permettra aussi de faire émerger de nouvelles idées », explique Catherine Nguyen, directrice de recherches à l’Inserm et co-directrice de l’institut thématique Génétique, génomique et bioinformatique, qui pilote le programme Variabilité génétique. Il en va de même pour le programme HuDeCA, piloté par l’institut thématique Biologie cellulaire, développement et évolution qui est dirigé par Thierry Galli : « En France, nous disposons de nombreux experts en embryologie humaine, mais il n’existe pas de réelle coordination. Les expertises sont variables, certains chercheurs ont des idées intéressantes mais ne disposent pas des moyens pour les mettre en application. Le programme va permettre de faire collaborer ces personnes de façon cohérente », précise Alain Chédotal, Prix Inserm Recherche 2017, qui va coordonner les équipes impliquées dans HuDeCA. 

L’expertise française en embryologie est reconnue. Or, HuDeCA émane d’un autre programme, international cette fois-ci, le Human Cell Atlas (HCA). « Le HCA s’est monté sous l’impulsion de plusieurs équipes internationales. L’aspect développemental fait partie du projet, mais aucune équipe ne s’était réellement positionnée là-dessus, se souvient Alain Chédotal. En participant aux réunions du HCA, on a réalisé qu’avec l’expertise dont bénéficiait la France en biologie du développement, il y avait une opportunité à saisir. » Le programme HuDeCA était né. 

Répondre aux demandes de la société

Le choix de ces deux thématiques s’inscrit dans une ambition de coller de près aux enjeux sociétaux actuels. « Prenez l’exemple de l’infection par le virus Zika, illustre Alain Chédotal. On a constaté une diminution du volume cérébral chez les enfants infectés. Si l’on savait tout des cellules de l’embryon et du fœtus, on pourrait comprendre rapidement d’où vient cette malformation. Même chose pour la question des enfants nés sans bras : si toutes les étapes du développement embryonnaire étaient parfaitement connues à l’échelle cellulaire, l’origine de ces malformations serait plus accessible. Pour cela, il est nécessaire de maîtriser l’arbre généalogique des cellules du corps humain. »

Des outils techniques de pointe permettent en effet de réaliser des séquençages cellule par cellule. « Le principe de ces techniques est, au sein d’un organe, d’isoler les cellules puis de réaliser un séquençage de l’ensemble des cellules, une par une. Ensuite, on regarde les cellules qui expriment les mêmes gènes au même moment, et l’on constitue ainsi des types cellulaires », détaille le chercheur, qui applique déjà ces techniques dans son laboratoire. Autre objectif : rendre cet atlas accessible à l’ensemble de la communauté scientifique, mais aussi aux facultés de médecine et aux instances éducatives en général. 

Le programme Variabilité génomique s’articule, lui aussi, autour de problématiques très actuelles en santé humaine. Et pour cause, ce programme constitue une branche d’un projet encore plus important : le plan France médecine génomique 2025, confié à Aviesan et répondant à la demande du Premier ministre Manuel Valls d’installer la médecine génomique dans le paysage de la santé en France. Or, pour savoir si une personne a des risques de contracter une maladie sur la base de l’étude de son génome, il faut déterminer à quoi ressemble un génome sain. C’est le rôle du programme transversal Variabilité génomique : « nous allons définir le fonds génétique de grandes sous-populations, et lorsque nous voudrons caractériser des pathologies, en particulier des pathologies rares, cet outil s’avèrera extrêmement puissant et efficace. Ces analyses de populations représentent des outils de travail, une ligne de référence », précise Catherine Nguyen. 

Au sein de notre génome, et parmi tous les génomes sains humains, il existe une certaine variabilité. Autrement dit, certaines séquences génétiques ne sont pas exactement les mêmes. C’est la « ligne de référence » évoquée par Catherine Nguyen. Lorsque l’on s’écarte de cette ligne, on augmente les risques d’avoir un variant génétique qui nous rend plus sensible ou plus susceptible de contracter une maladie. « Cela ne signifie pas pour autant que l’on va tomber malade, bien entendu. Imaginez une personne porteuse d’un variant génétique qui la rend extrêmement sensible à une infection par le paludisme, explique la chercheuse. Si cette personne vit en Norvège, sa probabilité de développer la maladie est proche de zéro. »

À l’instar de Variabilité génomique, d’autres programmes visant à établir des cartes des variants génétiques humains ont déjà vu le jour. C’est le cas de 1000 Genomes, financé par les États-Unis, la Chine et le Royaume-Uni. Cependant, le programme français dispose d’un atout unique : la cohorte Constances. C’est en effet sur cet échantillon de 200 000 individus sains que le programme va reposer. Grâce à elle, les scientifiques ont à disposition de nombreux phénotypes, auxquels ils vont maintenant pouvoir associer des génotypes et des variants génétiques. Ce suivi longitudinal permettra de déceler d’éventuelles variations au cours du temps, et d’établir une liste quasi exhaustive des variants génétiques. 

Un parcours semé d’embûches

Pour mener à bien ces deux grands projets, il faudra se confronter à plusieurs difficultés d’ordre administratif et légal : les deux programmes impliquent l’acquisition de données personnelles de santé. La question de leur stockage, de leur sécurisation et de leur mise à disposition est essentielle, et pourrait soulever des réticences auprès des volontaires de la cohorte Constances. « Nous avons calculé qu’avec le génotypage d’environ 4 000 individus, nous serions en mesure d’obtenir 100 % des variants les plus commun et 100 % des variants rares. Au final, nous passerions à côté de la moitié des variants extrêmement rares uniquement », estime Catherine Nguyen. 

Qu’adviendra-t-il si un génotypage révèle qu’un des volontaires est porteur d’un variant le rendant susceptible de développer une pathologie grave ? « C’est l’un des problèmes les plus criants », estime Catherine Nguyen. La loi oblige un médecin qui découvre une pathologie à en informer son patient. Mais certaines personnes ne voudront pas savoir. « Il faudra alors que nous aiguillions la personne pour qu’elle consulte un médecin », envisage la chercheuse. 

La composition d’un atlas pose également des difficultés techniques. HuDeCA se donne par exemple l’ambition de constituer une base de données d’images 3D des différents types cellulaires. Une opération qui nécessite des capacités de stockage colossales. « Un projet comme HuDeCA, en trois ans, va générer au moins 500 téraoctets d’images. Comment gère-t-on une telle quantité de fichiers ? Comment les stocke-t-on ? les archive-t-on ? les distribue-t-on ? » s’inquiète Alain Chédotal, déjà confronté à ce type de problème dans son laboratoire. 

Enfin, si créer des consortia de chercheurs peut s’avérer bénéfique pour l’avenir, faire travailler ensemble des équipes qui n’en ont pas forcément l’habitude et qui sont éloignées géographiquement va certainement poser des problèmes d’organisation et de logistique. Pour l’instant, le rétroplanning est respecté et les deux programmes sont en phase de lancement.