Dermatite de contact : comment induire une tolérance ?

Consommer un allergène peut prévenir des réactions cutanées inflammatoires à ce même allergène : on parle de « tolérance orale ». Mais quels sont les mécanismes impliqués dans ce phénomène. Une équipe lyonnaise apporte aujourd’hui quelques éléments de réponse, ouvrant peut-être la voie vers une prise en charge de la dermatite de contact.

Il suffit parfois d’effleurer une plante ou d’utiliser un produit chimique (parfum, colorant, détergent...) pour voir sa peau rougir, gonfler, voire se mettre à suinter : c’est la dermatite de contact, une réaction exacerbée à de petites molécules irritantes ou allergisantes, les haptènes*. Or l’absorption de l’allergène par voie orale peut suffire à prévenir cette réaction, à l’instar des Indiens d’Amérique insensibles à une plante aussi irritante que le sumac (Rhus toxicodendron) car ils en mangent. C’est ce que rappelle Dominique Kaiserlian, du Centre international de recherche en infectiologie de Lyon**. 

De fait, le tractus digestif est en permanence confronté à une multitude d’antigènes, pour la plupart issus de l’alimentation ou de la flore intestinale, sans que cela induise de réponse inflammatoire. A quels mécanismes est due cette insensibilité locale, et comment se transmet-elle à l’organisme entier, provoquant ce que l’on appelle une tolérance orale ?

De nombreux acteurs

Pour répondre à ces questions, l’équipe lyonnaise a utilisé des souris dont la peau de l’oreille réagit au contact du dinitrofluorobenzène (DNFB)... sauf si leur nourriture en contient. « Nous avions déjà démontré la contribution de l’axe intestin-foie dans le blocage de la réponse immunitaire allergique, et en particulier le rôle des cellules dendritiques. D’autres équipes ont pour leur part souligné le rôle régulateur du microbiote intestinal » souligne la chercheuse. Il s’agissait donc de déterminer les rôles respectifs de ces différents acteurs, et en particulier l’implication de récepteurs cellulaires appelés TLR4. Ces derniers sont connus pour leur sensibilité à des ligands issus de la flore. En utilisant différentes lignées de souris (dont certaines dépourvues de flore intestinale ou du gène de TLR4) et méthodes de visualisation, l’équipe a déroulé sa démonstration point par point. 

Résultat : pour que le gavage au DNFB rende les souris insensibles à l’application de l’allergène sur les oreilles, il faut que ces animaux soient pourvus d’un microbiote et possèdent le gène de TLR4. Ce récepteur doit être exprimé sur les cellules d’origine hématopoïétique (nées dans la moelle osseuse), telles que les cellules dendritiques. TLR4 se révèle indispensable à la migration de cellules dendritiques tolérogènes de la muqueuse intestinale vers les ganglions lymphatiques mésentériques. Il permet en particulier d’assurer la dernière phase de la mission de ces cellules : la présentation de l’allergène à des lymphocytes régulateurs (Treg) qui vont alors modérer la réponse immunitaire allergique cutanée. 

Une possibilité d’intervention

Un mécanisme se dessine donc, même s’il reste des zones d’ombre. Ces dernières concernent en particulier la localisation des indispensables récepteurs : doivent-ils être présents sur les cellules dendritiques elles-mêmes ou sur d’autres cellules de la lignée hématopoïétique, participant elles aussi à la réponse immunitaire ? Et par quels mécanismes le microbiote intervient-il ? 

Au-delà de ces questions d’ordre fondamental, ces résultats suggèrent la possibilité de traitements oraux contre la dermatite de contact, utilisant des molécules capables de se lier à TLR4. « Il ne faut pas oublier que la dermatite de contact est une maladie professionnelle assez fréquente, par exemple chez les coiffeurs manipulant des teintures ou les maçons exposés au chrome du ciment » rappelle Dominique Kaiserlian. 

L’équipe a testé en parallèle un modèle de tolérance orale à une autre catégorie d’allergènes, les protéines. Ces dernières provoquent parfois une réponse immunitaire exacerbée, l’hypersensibilité retardée. Dans ce cas, la présence de TLR4 n’est pas indispensable : un autre mécanisme de protection serait donc à l’œuvre.

Notes

*à la différence des antigènes « classiques » que sont les macromolécules biologiques de type protéines
**unité mixte 1111 Inserm/CNRS/Ecole normale supérieure/université Claude Bernard Lyon 1. Dominique Kaiserlian travaille aujourd’hui à l’unité 1060 CarMeN (Lyon)

Source

F Hacini-Rachninel et al., Intestinal dendritic cell licensing through TLR4 is required for oral tolerance in allergic contact dermatitis, Journal of Allergy and Clinical Immunology (2017), doi : 10.1016/j.jaci.2017.02.022.