Dépendance aux jeux en ligne : des données personnelles qui en disent long...

L’analyse automatique des données sur un site de poker en ligne peut faciliter le repérage des joueurs à problème, comme le ferait un questionnaire médical. Une équipe de chercheurs parisiens a mis au point un outil permettant de réaliser cette analyse. Il pourrait être transposé à d’autres types de jeux en ligne, et aider les autorités régulatrices à identifier les personnes en difficulté pour mieux les protéger.

Les sites de jeux et de paris en ligne diffusent des messages de prévention vis-à-vis des joueurs, mais rien ne les oblige à repérer ceux qui ont ou qui développent une dépendance en fréquentant leur site ; ils peuvent ainsi continuer à les solliciter commercialement, et à les inciter à poursuivre leur pratique de jeu. Pourtant, les données des comptes joueurs enregistrées en routine sont très précises, et pourraient suffire à repérer les joueurs en difficulté. C’est ce que vient de montrer une équipe Inserm.

Avec un site web de poker, les chercheurs ont collaboré au développement d’un outil de repérage en ligne des comportements de jeu à risque, en couplant les données de compte joueurs à un outil de dépistage. Amandine Luquiens* qui a piloté ces travaux explique : « Nous avons ainsi construit et validé un modèle prédictif, qui permet d’identifier les personnes dont le comportement de jeu est problématique, sur la base de leurs données et de leur comportement en ligne ».

Le profil des joueurs en difficulté combine plusieurs données, notamment le fait d’être un homme, d’avoir moins de 28 ans, de déposer de l’argent dès l’inscription sur le site, de perdre en moyenne plus de 1.7 euros par session, et de participer à plus de 60 parties par mois. « Tous ces facteurs pris ensemble permettent d’identifier des personnes dont le comportement de jeu est problématique avec une sensibilité de 80% » précise-t-elle. Dans ce modèle, la question du montant des paris n’était pas particulièrement discriminante : « L’addiction n’est pas corrélée à la somme dépensée. D’ailleurs, seulement un tiers des personnes ayant un problème de jeu se retrouvent face à des difficultés financières. En réalité, c’est surtout l’envahissement temporel du jeu dans le quotidien qui illustre l’addiction, surtout dans le domaine du poker ». 

Un repérage automatique pour une action ciblée

Le modèle statistique a été développé en deux étapes : la première consistait à repérer les joueurs dont la pratique de jeu était considérée médicalement problématique. La seconde à trouver un algorithme qui permette de retrouver ces mêmes patients à partir des données personnelles issues du site web. 

« Nous avons envoyé un mail aux 170 063 personnes inscrites sur le site, en les invitant à décrire leur comportement de jeu à travers un questionnaire médical scientifiquement validé, comportant neuf questions » : avez-vous pariez plus que vous ne pouviez vous permettre de perdre, avez-vous besoin d’augmenter le montant de vos paris pour conserver le même plaisir à jouer, avez-vous déjà emprunté de l’argent pour jouer… Les chercheurs ont ainsi pu classer les joueurs en fonction de leur dépendance potentielle : parmi eux, 18% présentaient une addiction probable. 

Ensuite, les chercheurs ont exploité la base de données du site web : en France, les sites de jeux et de paris en ligne sont placés sous l’autorité de l’ARJEL (Autorité de régulation des jeux en ligne) qui délivre une licence aux opérateurs à condition qu’ils remplissent un ensemble d’exigences légales, parmi lesquelles l’obligation de collecter des données de jeux – notamment des mouvements financiers. Les opérateurs disposent donc d’une base de données fournie, potentiellement exploitable à des fins de prévention.

« Nous avons analysé la base de données de notre partenaire et en avons tiré un modèle prédictif fiable. Nous avons montré la faisabilité de ce type de dépistage. L’ARJEL pourrait reproduire cette méthodologie à des fins de prévention, afin de repérer les joueurs en difficulté, pour les informer et leur proposer un accompagnement sans que les joueurs n’aient à faire de démarche ». Les autorités de régulation pourraient par exemple proposer des e‑mails de sensibilisation ciblés ou une modération en ligne auprès de joueurs dépistés. Une façon de protéger les utilisateurs et de favoriser le recours aux soins, souvent tardif chez les personnes dépendantes. 

Note

* Unité 1178 Inserm/université Paris-Sud, « Santé Mentale et Santé Publique » 

Source

A Luquiens et al. Tracking online poker problem gamblers with player account-based gambling data only. International Journal of Methods in Psychiatric Research, 19 mai 2016, DOI : 10.1002/mpr.1510