CRISPR-Cas9 : vers un outil plus sûr pour éditer les génomes

CRISPR-Cas9 est un outil moléculaire qui permet d’effectuer des corrections géniques précises, mais dont l’utilisation n’est pas dénuée de risques. Dans environ 60% des cas, il entraîne en effet des modifications non souhaitées du gène cible et peut, dans certaines conditions, induire des pertes de morceaux de chromosomes. Pour remédier à ces différents problèmes, une équipe Inserm recommande l’utilisation d’un autre outil : CRISPR-nickase, légèrement moins efficace mais beaucoup plus sûr.

Alors que des premiers essais d’édition génomique avec CRISPR-Cas9 ont déjà eu lieu chez des embryons humains implantés, une nouvelle étude Inserm montre que la sécurité d’utilisation de cette technique est loin d’être maîtrisée. En s’essayant à cette méthode pour corriger le gène UROS dont la mutation confère une maladie hématopoïétique rare et sévère (la porphyrie érythropoïétique congénitale), l’équipe de François Moreau-Gaudry* a constaté de nombreuses anomalies liées à cette technique. 

CRISPR-Cas9, c’est ce fameux outil moléculaire qui permet d’invalider un gène ou de le corriger. Il est composé d’un fragment d’ARN (CRISPR) qui reconnait une séquence spécifique sur l’ADN, auquel vient se fixer une nucléase (Cas9) qui coupe les deux brins d’ADN à cet endroit précis. Les chercheurs peuvent y ajouter un brin d’ADN présentant la séquence qu’ils désirent introduire (appelé matrice) : elle servira de modèle au moment de la réparation de l’ADN clivé. Mais la prise en compte de ce modèle par la cellule n’est pas systématique, loin de là : seulement 40% des cellules sont correctement corrigées. Pour les 60% autres, c’est un autre mécanisme de réparation de l’ADN qui se déclenche. Il ne tient pas compte du modèle fourni et permet simplement de « raccrocher » les extrémités coupées entre elles. Appelé jonction d’extrémités non homologues, ce mécanisme entraine une perte ou au contraire l’ajout de bases à l’ADN et modifie définitivement la séquence du gène ciblé, notamment au niveau du site de reconnaissance par CRISPR. La cellule devient donc « résistante » à CRISPR et l’activité de la protéine codée par ce gène est altérée. 

Une perte d’extrémité de chromosome

Mais surtout, François Moreau-Gaudry et ses collaborateurs ont montré que l’utilisation de CRISPR-Cas peut être associée à la perte de gigantesques fragments d’ADN à l’extrémité du chromosome modifié si la cellule a une activité p53 altérée. Cette dernière est souvent surnommée la gardienne du génome car elle veille à son intégrité. Or, de précédents travaux ont montré que les cellules modifiées par CRISPR-Cas présentent souvent un « faible statut en p53, c’est-à-dire une production réduite, sans que l’on sache expliquer pourquoi » , explique le chercheur. 

Dans un modèle de cellules déficientes en p53, les chercheurs ont observé des pertes de morceaux de chromosome pouvant atteindre jusqu’à une cinquantaine de gènes. Dans certaines cellules, toute la partie distale du chromosome modifié en amont du gène ciblé par CRISPR, a disparu. « A priori, cette anomalie devrait être rarissime. Mais si parmi les gènes perdus se trouve un suppresseur de tumeur ou des gènes impliqués dans la réparation de l’ADN, le déclenchement d’un processus tumoral est probable », illustre François Moreau-Gaudry pour évaluer les conséquences possibles de cette perte. 

Pour écarter ce risque, mais aussi pour éviter les modifications génétiques non désirées causées par l’utilisation de CRISPR-Cas9, le chercheur propose de remplacer la nucléase qui coupe les deux brins de l’ADN par une nickase qui coupe seulement un des deux brins. « Le risque de perte de matériel génétique aux extrémités des chromosomes devient alors quasiment nul. En outre, la réparation par jonctions des extrémités non homologues ne se déclenche pas : la séquence du gène cible n’est donc pas altérée en cas d’échec et le matériel CRISPR-Cas9 peut être administré plusieurs fois de suite pour augmenter le taux de succès de l’édition. Cela peut s’avérer nécessaire car l’efficacité est moins bonne qu’avec l’utilisation d’une nucléase : la cellule a en effet tendance à utiliser le brin non coupé comme modèle plutôt que la matrice que l’on fournit », explique le chercheur. Néanmoins, grâce à son protocole, François Moreau-Gaudry a fini par atteindre un taux de modification de 20 à 30% des cellules en augmentant la concentration de la matrice, en améliorant sa stabilité et en renouvelant plusieurs fois de suite ces manipulations. Et surtout, dans toutes les autres cellules, le gène cible est resté intact. « Ce travail alerte sur les risques d’utilisation à tous vas de la nucléase dans les essais cliniques et montre que le recours à la nickase est une option très sérieuse et plus sûre », conclut le chercheur. 

Julian Boutin, Aurélie Bedel, Grégoire Cullot et François Moreau-Gaudry (Unité Inserm 1035, Bordeaux)

Note :
*unité 1035 Inserm/Université de Bordeaux, Biothérapie des maladie génétiques, inflammatoires et du cancer, équipe Biothérapie, Bordeaux

Source : G Cullot et coll. CRISPR-Cas9 genome editing induces megabase-scale chromosomal truncations, Nature Communications, édition du 8 mars 2019. https://doi.org/10.1038/s41467-019–09006‑2