Le cerveau reconnaît la douleur avant le genre

Tout individu perçoit la douleur sur le visage d’un autre de façon quasiment instantanée, bien avant le genre. Un réflexe inconscient qui permettrait de mieux réagir pour fuir en cas de danger, ou d’aider si besoin.

La douleur sur le visage d’un autre est remarquée de façon inconsciente en quelques millisecondes, avant même de savoir s’il s’agit d’un garçon ou d’une fille ou de pouvoir décrire son visage. C’est ce que montre une équipe Inserm* qui a cherché à évaluer la perception de la douleur, comme d’autres l’ont fait précédemment pour la peur. 

« Des travaux ont montré que la peur est captée par le cerveau de façon inconsciente en observant l’autre. Cela permet de s’adapter le plus vite possible à la situation et de fuir si nécessaire : un héritage de l’évolution. Nous voulions savoir ce qu’il en était pour la douleur. Les soignants sous-estiment souvent les maux des patients mais cette attitude est probablement liée à l’expérience : elle peut modifier leur perception, peut-être pour se protéger eux mêmes. Nous avons donc vérifié ce qu’il en était chez des personnes lambdas », explique Claire Czekala, coauteur de ces travaux. 

Une perception inconsciente

Pour cela, les chercheurs ont recruté 80 personnes, âgées de 24 ans en moyenne. Ils leur ont montré des séries de visages sur un écran d’ordinateur. Les visages apparaissaient pendant quelques millisecondes et les participants devaient dire s’ils voyaient de la douleur et s’ils reconnaissaient le genre. Entre chaque portrait, des masques de visages flous étaient diffusés de manière à bien contrôler le temps de présentation des portraits à l’écran et à « enlever » la persistance rétinienne qui corrige une image en fonction de la précédente. « L’objectif était de savoir si la perception de la douleur était prioritaire à la perception du genre du visage », rappelle Claire Czekala. Par ailleurs, les portraits présentaient plusieurs types d’émotions – colère, neutre ou douleur – afin de savoir si cette dernière était discernable parmi d’autres émotions négatives. 

Et la réponse est oui ! Il est apparu que la douleur est constatée quasiment instantanément et précède largement l’appréciation du genre. Avec une image divulguée pendant 100 millisecondes, 75% des participants reconnaissaient la douleur contre 20% pour le genre. Après 150 ms, ils étaient 80% à reconnaitre la douleur et 55% le genre. Après 200 ms, ces chiffres montaient à 85% pour la douleur et 60% pour le genre. 

Pour savoir si ces perceptions étaient conscientes ou non, les chercheurs ont utilisé une technique validée pour ce type d’évaluation, consistant à noter le degré de certitude des réponses. Une personne consciente et sûre d’elle attribue normalement une note élevée à ses réponses positives et une note basse à ses réponses négatives. Là, les degrés de certitude étaient très faibles, révélant le caractère inconscient des sensations visuelles évoquées par les participants. « Cette détection précoce de la douleur est probablement une capacité héritée de l’évolution, qui permet de détecter très rapidement un danger ou d’aider au plus vite un blessé », suggère Claire Czekala. 

Des mécanismes à l’étude

Les chercheurs tentent maintenant de découvrir les circuits cérébraux impliqués dans cette perception inconsciente de la douleur. Ils analysent pour cela l’activité cérébrale de patients épileptiques munis d’électrodes implantées pour traiter leur maladie. Ces électrodes permettent d’enregistrer les signaux électriques du cerveau dans des zones profondes, notamment au niveau de l’insula ou de l’amygdale.

Note :

unité 1028 Inserm/Université Claude Bernard Lyon 1, Centre de recherche en neuroscience de Lyon 

Source :

C. Czekala et coll. My brain reads pain in your face, before knowing your gender. Journal of Pain, édition en ligne du 29 septembre 2015. doi :10.1016/j.jpain.2015.09.006