Drépanocytose

La maladie génétique la plus fréquente en France

La drépanocytose affecte l’hémoglobine des globules rouges. Cette maladie génétique très répandue se manifeste notamment par une anémie, des crises douloureuses et un risque accru d’infections. Si les traitements actuels ont permis d’augmenter grandement l’espérance de vie des patients affectés, ils restent encore limités. La recherche poursuit donc ses efforts pour les améliorer, voire traiter la maladie à la source, là où naissent les globules rouges.

Dossier réalisé en collaboration avec Jacques Elion, professeur à la faculté de médecine de l’université Paris-Diderot, praticien hospitalier dans le département de génétique de l’hôpital Robert Debré (Paris) et chercheur dans l’unité Inserm 1134 à l’Institut national de la transfusion sanguine (Paris) et au CHU de Pointe-à-Pitre (Guadeloupe).

Comprendre la drépanocytose

Globule rouge d'un malade atteint de drépanocytose (ou anémie à cellules falciformes).
Globule rouge d’un malade atteint de drépanocytose (ou anémie à cellules falciformes). L’origine de la drépanocytose provient de la modification d’un seul acide aminé, ce qui entraîne une perte d’élasticité membranaire et produit des hémolyses. © Inserm, C. Féo 

La drépanocytose, aussi appelée anémie falciforme, est une maladie génétique héréditaire touchant les globules rouges (ou hématies). Elle est caractérisée par une anomalie de l’hémoglobine, principale protéine du globule rouge. 

L’hémoglobine transporte l’oxygène depuis les poumons vers les tissus et participe à l’élimination du dioxyde de carbone. Dans la drépanocytose, la forme anormale adoptée par cette protéine engendre des déformations des globules rouges qui deviennent fragiles et rigides. Ces anomalies favorisent l’anémie, des crises vaso-occlusives douloureuses et un risque accru d’infections.

La drépanocytose est une maladie génétique très répandue : elle concerne environ 300 000 naissances par an dans le monde. Apparue en Afrique et en Inde, elle est depuis devenue très présente en Amérique, tout particulièrement aux Antilles et au Brésil, ainsi qu’en Europe de l’Ouest du fait des mouvements de populations. 

Les derniers chiffres disponibles indiquent que 466 enfants drépanocytaires ont vu le jour en France en 2015, soit une prévalence d’un enfant atteint pour 1 736 naissances. Ce chiffre en fait la maladie génétique la plus fréquente en France. Toutefois cette prévalence est beaucoup plus importante dans les départements d’outre-mer (1/499) et en région parisienne (1/765) où se concentrent les populations à risque. 

La drépanocytose qu’est-ce que c’est ? – interview et reportage – 3 min – 1er épisode d’une série de court-métrages sur la drépanocytose (2018)

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Derrière la maladie, une altération génétique de l’hémoglobine

L’hémoglobine est un complexe protéique constitué de quatre protéines agencées entre elles : deux sous-unités d’alpha-globine et deux de bêta-globine. La drépanocytose est due à une mutation unique et ponctuelle dans l’ADN du gène codant pour la bêta-globine, situé sur le chromosome 11. Elle lui confère une structure modifiée qui permet à l’hémoglobine de former des chaînes (polymère) lorsque la concentration d’oxygène dans le sang est faible (hypoxie). Ces polymères forment de grandes fibres qui déforment les hématies et leur donnent cette forme caractéristique de faucille. L’hémoglobine des sujets drépanocytaires est dite « hémoglobine S », pour Sickle qui veut dire faucille en anglais. 

En réalité, il existe plusieurs types de drépanocytose. La forme la plus fréquente, qui est aussi celle responsable des cas les plus graves, est associée à la présence de deux copies du gène codant pour l’hémoglobine S, une sur chaque chromosomes 11 (forme homozygote SS). Dans les autres formes de la maladie, les patients ne sont porteurs que d’une seule copie du gène codant pour l’hémoglobine S : la seconde copie porte une mutation différente. 

La drépanocytose est une maladie génétique héréditaire à transmission dite autosomique récessive : chacun des parents doit transmettre le gène muté à l’enfant pour que la maladie se déclare chez ce dernier. Lorsqu’on a reçu un seul allèle muté, on est porteur sain. Ainsi, lorsque les deux parents sont porteurs sains, leur risque de concevoir un enfant souffrant de la maladie est de un sur quatre. Lorsqu’un couple comporte un porteur sain et un malade, le risque est de un sur deux. 

Des symptômes très variables et souvent imprévisibles

Les symptômes de la maladie sont variables et dépendent non seulement de l’âge, mais aussi de la sévérité de la drépanocytose. 

Dans les tous premiers mois, les nourrissons sont généralement asymptomatiques car ils bénéficient de la présence d’hémoglobine fœtale, la forme d’hémoglobine produite chez le fœtus durant la période in utero, qui n’est pas mutée quant à elle. Elle disparaît hélas ensuite, au profit de l’hémoglobine S. Par la suite, les patients ont un risque accru de développer une anémie ou des infections parfois graves (pneumonies, méningites ou septicémies...). Avec l’avancée en âge, ces risques de complications persistent et d’autres apparaissent, plus spécifiques, liés à l’évolution à long terme de la maladie. 

L’anémie

L’anémie est souvent le premier signe de la maladie. Elle se traduit par une pâleur et une fatigue chronique, parfois par une jaunisse (ictère). 

L’anémie chronique associée à la drépanocytose est causée par les polymères d’hémoglobine S qui fragilisent les globules rouges et favorisent leur destruction précoce (hémolyse). Alors que la durée de vie moyenne des hématies est normalement de 120 jours, elle tombe à une vingtaine de jours seulement chez les personnes atteintes de drépanocytose. 

L’anémie est susceptible de s’aggraver brutalement en cas de suractivité de la rate dans la destruction des globules rouges anormaux. On parle alors de séquestration splénique aiguë.

Par ailleurs, l’infection par le parvovirus B19 peut provoquer un arrêt transitoire de la production des globules rouges, normalement bien toléré, mais qui peut aggraver l’anémie de façon importante en cas de drépanocytose. On parle alors de crises aplasiques.

Malgré ces complications possibles, l’anémie chronique est généralement assez bien tolérée par les patients drépanocytaires. 

Les crises vaso-occlusives

Les crises dites « vaso-occlusives » sont déclenchées par les globules rouges rigidifiés par les polymères d’hémoglobine S, qui finissent par obstruer la circulation sanguine dans les petits vaisseaux sanguins. Ces crises entraînent des douleurs aiguës souvent extrêmement violentes. Elles affectent particulièrement les os, les articulations des bras et des jambes, le dos ou la poitrine. Chez les tout petits, la crise se manifeste généralement par un gonflement douloureux des mains et des pieds (syndrome pied-main).

Les occlusions vasculaires associées à la drépanocytose peuvent être à l’origine de complications majeures. Ainsi, le syndrome thoracique aigu constitue une complication fréquente dans les jours suivant l’installation d’une crise vaso-occlusive. Il correspond même à la première cause de décès des patients atteints de drépanocytose. Dans ce cas, la vaso-occlusion affecte le poumon et compromet l’oxygénation de tout l’organisme. Cela se traduit par des difficultés respiratoires et des douleurs dans la poitrine, parfois accompagnées d’une fièvre. 

Les accidents vasculaires cérébraux (AVC) sont également communs chez les drépanocytaires, surtout chez les enfants. Ces AVC se manifestent de façon très variable (paralysie, maux de tête, aphasie, trouble de l’équilibre…) et sont généralement transitoires. Dans certains cas, ils laissent toutefois de graves séquelles intellectuelles et/ou motrices. 

Enfin, la répétition des vaso-occlusions peut aboutir à la nécrose de certains tissus comme l’os (ostéonécrose de la tête fémorale) ou d’organes. Par ailleurs très sollicitée pour assurer l’hémolyse des hématies falciformes, la rate des patients drépanocytaires fait ainsi partie des organes précocement lésée par les vaso-occlusions. Elle n’assure alors plus complètement son rôle, ce qui peut favoriser la survenue d’infections bactériennes. 

La sensibilité aux infections

Les infections exacerbent les autres manifestations de la drépanocytose comme l’anémie et les occlusions vasculaires. D’autre part, elles représentent toujours un risque de mortalité (septicémie foudroyante), tout particulièrement chez les enfants aux mécanismes de défense affaiblis. 

Complications à long terme

Au fil des ans, toutes ces manifestations de la maladie mettent l’organisme à rude épreuve. Les patients ont souvent un retard de croissance et une puberté plus tardive, puis diverses complications chroniques peuvent se déclarer chez l’adulte. Elles sont susceptibles de toucher presque tous les organes notamment le rein (insuffisance rénale), le système ostéo-articulaire (arthrose, ostéoporose), l’œil (hémorragies intraoculaires), le foie, les poumons (hypertension artérielle pulmonaire) ou encore la vésicule biliaire (calculs).

Un diagnostic aussi précoce que possible

Les progrès dans la prise en charge de la maladie ont permis d’accroître significativement l’espérance de vie moyenne des personnes atteintes de drépanocytose : elle est aujourd’hui de plus de 40 ans alors qu’elle était inférieure à 20 ans avant les années 1980. Cependant, il reste encore beaucoup à faire pour améliorer le quotidien et l’espérance de vie des malades. Outre les progrès thérapeutiques (cf plus bas), il apparaît que la précocité du diagnostic conditionne le pronostic des patients. 

Ce diagnostic est aujourd’hui réalisé en premier lieu à partir d’un simple échantillon de sang analysé par différentes méthodes (électrophorèse, isoélectrofocalisation ou chromatographie) aptes à distinguer l’hémoglobine S de l’hémoglobine normale et des autres variants de l’hémoglobine, sur la base de leurs différences physico-chimiques. Des tests rapides sont depuis peu disponibles : ils permettent d’obtenir un diagnostic en moins de 30 minutes et sans passer par un laboratoire. 

Des tests génétiques révélant la présence du gène muté responsable de la maladie sont utilisés pour résoudre certains cas plus complexes, ou lorsqu’un couple de porteurs souhaite un diagnostic prénatal au cours d’une grossesse (cf plus bas). 

Le dépistage néonatal

La France déploie un dépistage néonatal systématique chez tous les enfants nés de parents issus des populations les plus concernées par la maladie. Il est réalisé à la maternité à la 72ème heure de vie du nourrisson (dans le cadre plus large du dépistage des maladies rares), à partir d’un échantillon sanguin prélevé au niveau du talon du nouveau-né. 

Le diagnostic prénatal

Chez un couple à risque, le dépistage prénatal est proposé dans le cadre d’un conseil génétique. Il consiste à rechercher la mutation responsable de la maladie dès la 12e semaine de grossesse à partir d’un prélèvement placentaire, ou dans le liquide amniotique obtenu par amniocentèse vers la 16e semaine. Il existe cependant un faible risque de fausse couche inhérent à la pratique de l’amniocentèse. Des travaux récents ont permis de développer une approche de diagnostic prénatal non invasif à partir d’une simple prise de sang. Elle permet de rechercher la mutation dans l’ADN fœtal circulant en petite quantité dans le sang de la mère. Ce test devrait être bientôt disponible à partir de la 8e semaine de grossesse. 

Le diagnostic préimplantatoire

Mené dans le cadre d’une fécondation in vitro, le diagnostic préimplantatoire (DPI) reste un processus long, très lourd et très encadré. Il n’est envisagé que pour les couples présentant « une forte probabilité de donner naissance à un enfant atteint d’une maladie génétique d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic », dont ceux ayant déjà un enfant atteint ou, chez ceux sans enfant, lorsque les deux partenaires sont connus comme porteurs sains et sont opposés à une interruption de grossesse dans le cas où un diagnostic prénatal « classique » révélerait un fœtus atteint. Dans ce cas, des embryons sont produits in vitro à partir des cellules reproductrices des deux parents, puis l’ADN de ces embryons est analysé pour sélectionner ceux exempts de la mutation. Ils seront ensuite implantés chez la mère. 

En l’absence de diagnostic périnatal, la maladie est le plus souvent découverte dans l’enfance, rarement au-delà, hormis pour les patients présentant des formes donnant peu de symptômes ou pour des personnes provenant de pays médicalement moins équipés. 

Une prévention active et des traitements symptomatiques

Pour la plupart des patients, la prise en charge de la drépanocytose s’articule autour d’une prévention des complications et d’un suivi médical régulier. Plus cette prévention est précoce, plus elle permet de retarder la survenue et de réduire la fréquence des évènements de santé délétères. En conséquence, le dépistage néonatal constitue un outil indispensable. 

La prévention des complications

La prophylaxie du risque infectieux consiste à administrer préventivement des antibiotiques et à renforcer le programme vaccinal, tout particulièrement chez les nourrissons et les jeunes enfants. Un supplément en acide folique et en fer est aussi prescrit pour renforcer la production des globules rouges et prévenir l’anémie. 

Une bonne hygiène de vie et une alimentation équilibrée sont essentielles. Pour diminuer le risque de crises douloureuses, une bonne hydratation est nécessaire. Il faut aussi éviter l’exposition à des températures extrêmes ou à des variations importantes de température. Les efforts trop intenses liés à la pratique de sports extrêmes et d’endurance sont à proscrire. Pour assurer un apport suffisant en oxygène, il est aussi recommandé aux patients d’éviter les pièces mal aérées et les séjours à plus de 1 500 mètres d’altitude où l’oxygène se raréfie. Les drépanocytaires doivent en outre porter des vêtements amples ne coupant pas la circulation sanguine. 

Un suivi médical régulier permet d’évaluer l’évolution de la maladie et les dégâts qu’elle cause sur les organes. Les fonctions rénale et respiratoire sont particulièrement suivies ainsi que l’état de l’œil. Une échographie cérébrale (Doppler transcrânien) est régulièrement réalisée pour suivre les flux sanguins dans les artères du cerveau. Des flux trop rapides indiquent un risque d’AVC et entraînent la mise en place d’un programme transfusionnel de prévention. 

Les transfusions sanguines

La transfusion sanguine est un outil important dans la prise en charge des patients drépanocytaires. Elle consiste à transfuser le malade avec le sang d’un donneur sain compatible, permettant ainsi de rétablir un taux acceptable de globules rouges en cas d’anémie aggravée et de « diluer » les globules rouges falciformes avec des globules rouges normaux. En cas de complications graves, des échanges transfusionnels, aussi appelés échanges érythrocytaires, peuvent être mis en place : le sang du malade est partiellement « remplacé » par celui d’un donneur sain. Ces transfusions réduisent notamment le risque d’AVC. 

Cependant, les transfusions répétées peuvent entraîner une alloimmunisation érythrocytaire : le système immunitaire du malade se met à réagir contre le sang du donneur, considéré comme étranger. L’effet bénéfique de la transfusion (et des transfusions futures) est alors compromis. Ce phénomène se produit surtout lorsque les malades et les donneurs sont d’ethnies différentes, situation fréquente en France. 

Drépanocytose, échange transfusionnel – reportage et interview – 3 min (2018)

La prise en charge des crises douloureuses

En cas de crise vaso-occlusive, les antalgiques soulagent la douleur. Si la douleur persiste, une hospitalisation est nécessaire. La force des antalgiques sera alors augmentée jusqu’à l’administration de morphine ou de dérivés opioïdes pour les douleurs les plus résistantes. La prise d’antalgiques est parfois complétée par une oxygénothérapie.

Pour diminuer l’occurrence de crises douloureuses, l’hydroxycarbamide (ou hydroxyurée) peut être prescrite. Ce médicament agit à plusieurs niveaux dans la prévention des vaso-occlusions. Il permet notamment d’augmenter la production de l’hémoglobine fœtale, exempte de mutation et présente en faible concentration chez l’adulte, et réduit la polymérisation de l’hémoglobine S. Ce traitement a permis de grandement améliorer la qualité de vie des patients drépanocytaires. Cependant son efficacité peut diminuer avec l’âge et tous les adultes n’y répondent pas. Par ailleurs, l’hydroxycarbamide peut conduire à des problèmes (réversibles) de fertilité chez les hommes. 

La greffe de moelle osseuse

Le seul traitement curatif actuellement disponible contre la drépanocytose est la greffe de moelle osseuse. Cette moelle contient en effet les cellules souches qui donnent naissance aux cellules sanguines, dont les globules rouges. Concrètement, les cellules souches de la moelle du patient sont détruites et remplacées par celles d’un donneur sain compatible, souvent un frère ou une sœur. Cette procédure offre plus de 95% de succès et il est possible de trouver un donneur compatible dans 70% des cas. Elle reste néanmoins très lourde et coûteuse. Elle est donc réservée aux formes les plus sévères de la maladie, notamment chez l’enfant. En France, une vingtaine de patients bénéficient d’une telle greffe chaque année. 

Les enjeux de la recherche

Bien que la situation des malades drépanocytaires se soit considérablement améliorée dans les pays développés, surtout grâce au dépistage néonatal et à la prise en charge précoce de la maladie, les traitements disponibles restent limités. La recherche s’efforce donc à trouver des alternatives thérapeutiques. 

Une vague de nouveaux médicaments

La meilleure compréhension de la maladie a permis de décrire plusieurs mécanismes importants dans la physiopathologie de la drépanocytose : la destruction des globules rouges malformés conduit à la présence d’hémoglobine libre et de ses produits de dégradation dans le sang. Ces molécules dégradent le monoxyde d’azote (NO), nécessaire à la dilatation des vaisseaux et donc au bon flux sanguin ainsi qu’à la lutte contre le stress oxydatif. L’hémolyse des globules rouges libère aussi de l’hème, un composant délétère pour la paroi des vaisseaux (endothélium vasculaire). Par ailleurs, il est apparu que la drépanocytose n’est pas seulement une maladie du globule rouge : l’endothélium vasculaire, les globules blancs (notamment les neutrophiles) et les plaquettes jouent aussi un rôle dans les phénomènes d’occlusion vasculaire. Les globules rouges déformés entraînent en effet l’activation des plaquettes et de l’endothélium, favorisant un ensemble d’événements (inflammation, adhésion, coagulation) délétères pour le vaisseau. 

Cette meilleure compréhension a mené au développement de nouveaux médicaments ou à l’évaluation de médicaments prescrits dans d’autres indications. Certains visent à augmenter l’affinité de l’hémoglobine pour l’oxygène ou à stimuler la production d’hémoglobine fœtale, comme l’hydroxycarbamide. D’autres cherchent à réduire les altérations de la membrane des globules rouges, l’expression de molécule d’adhésion (CAM) aux membranes des vaisseaux sanguins, l’hémolyse intravasculaire, l’impact des produits de dégradation de l’hémoglobine ou encore l’activation des plaquettes, du système de la coagulation et des différents mécanismes inflammatoires liés à la destruction des hématies. 

Ces différentes pistes de recherche ont abouti à trois nouveaux médicaments qui ont fait l’objet d’études cliniques probantes : 

  • le voxelotor, qui inhibe la polymérisation de l’hémoglobine S en favorisant la fixation de l’oxygène sur l’hémoglobine
  • le crizanlizumab, un anticorps monoclonal thérapeutique qui réduit le phénomène d’agrégation cellulaire lors des crises vaso-occlusives en inhibant la P‑Selectine, une molécule d’adhésion cellulaire 
  • la L‑glutamine qui vise à réduire le stress oxydatif

La commercialisation de ces trois médicaments est autorisée aux Etats-Unis et pourrait prochainement le devenir en France. 


Une recherche sans frontière

La recherche sur la drépanocytose s’appuie beaucoup sur des collaborations avec les régions les plus affectées par la maladie. L’Inserm est ainsi présent depuis plus de 30 ans en Guadeloupe. L’expérience acquise là-bas au sujet du dépistage néonatal a été décisive pour sa généralisation à l’ensemble des territoires français en 2005. Le travail du groupe Guadeloupe a aussi permis la mise en évidence d’un type particulier d’hémoglobine S, dite « super-polymérisante » (S Antilles). Cette découverte a été cruciale pour la mise au point des premiers modèles animaux de drépanocytose. 

Les chercheurs s’attachent en outre à développer des coopérations avec les pays à faible revenu où se concentre près de 80% des patients drépanocytaires. Objectifs : aider ces populations chez lesquelles à peine 10% des patients atteignent l’âge adulte (contre plus de 95% en France), et mieux comprendre la maladie et sa physiopathologie. Ainsi le projet CADRE, développé par des chercheurs Inserm (Brigitte Ranque et Xavier Jouven, unité Inserm 970 à Paris, et GR-Ex, Laboratoire d’excellence sur le globule rouge), s’intéresse à l’épidémiologie des complications cardiovasculaires de la drépanocytose dans plusieurs pays africains (Cameroun, Sénégal, Mali, Côte d’Ivoire et République Démocratique du Congo). Autre exemple, le réseau CAREST, piloté par l’Inserm-Guadeloupe (Marie-Dominique Hardy-Dessources, unité Inserm 1134), met en relation chercheurs et cliniciens de 12 pays et territoires des Caraïbes. L’unité Inserm 1134 (Jacques Elion) est également un des partenaires du programme Européen Marie Curie ARISE (African Research and Innovative Initiative for Sickle cell Education), avec le Nigéria, le Kenya, la Zambie et le Liban. 


Des pistes ouvertes grâce à la génétique et l’épigénétique

structure de l'hémoglobine S
Vue de deux molécules d’hémoglobine S. Cette hémoglobine anormale présente une mutation des chaînes bêta d’un acide aminé polaire (GLU) en un acide aminé apolaire (VAL) qui favorise l’agrégation des molécules d’hémoglobine S en longs filaments et entraîne une déformation des globules rouges en forme de faucille. Cette mutation est responsable de la drépanocytose. © Inserm, J‑C, Lambry 

Bien que la drépanocytose ne soit causée que par une seule mutation dans un seul gène, les manifestations de la maladie sont très variées d’un patient à l’autre : certains sont très peu symptomatiques alors que d’autres sont très affectés Des études sont en cours pour identifier des particularités génétiques responsables de ces variations. L’espoir est de mettre en évidence de nouvelles cibles sur lesquelles on pourrait agir pour améliorer la prise en charge des patients. 

Plusieurs locus associés au taux d’hémoglobine fœtale ont ainsi été identifiés. L’un d’eux correspond au gène codant pour le facteur de transcription BCL11A. Ce dernier joue un rôle majeur dans l’arrêt de la production d’hémoglobine fœtale peu après la naissance. Son inhibition chez les malades drépanocytaires pourrait permettre de rétablir la production de cette hémoglobine, au dépend de l’hémoglobine S. Par ailleurs, une collaboration internationale à laquelle a participé l’Inserm (Éric Soler, unité Inserm 967), a récemment mis en évidence certains mécanismes épigénétiques affectant le gène MYB et permettant la réactivation de l’hémoglobine fœtale.

Les gènes BCL11A et MYB pourraient donc représenter des cibles intéressantes pour développer des alternatives thérapeutiques à l’hydroxycarbamide. 

Les espoirs de la thérapie génique

De part la lourdeur des greffes de moelle osseuse et la difficulté à trouver des donneurs compatibles, les perspectives de guérison de la drépanocytose repose plus volontiers sur la thérapie génique. Cette approche vise à « greffer » un gène sain de la bêta-globine dans les cellules souches hématopoïétiques des malades drépanocytaires. Des essais encourageants ont été réalisés sur des modèles animaux de la maladie. Des essais cliniques ont été conduits en France (Philippe Leboulch, Yves Beuzard et Marina Cavazzana, unité Inserm 1163) comme à l’étranger, avec des résultats encourageants. Une cinquantaine de patients dans le monde est aujourd’hui incluse dans des protocoles de ce type. 

Par ailleurs, des perspectives intéressantes se précisent grâce aux outils d’édition du génome (tel le système CRISPR-Cas9, nobélisé en 2020) : l’idée est de les utiliser pour corriger directement la mutation responsable de la maladie, ou pour modifier les régions régulatrices, en particulier au niveau du gène BCL11A, afin d’inhiber la production de l’hémoglobine S au profit de l’hémoglobine foetale dont le gène est réprimé dès la naissance.

Concrètement, la mise en œuvre de ces approches passe par le recueil de cellules souches hématopoïétiques du patient, la réalisation la modification génétique thérapeutique (insertion du gène normal ou suppression d’un gène régulateur de l’hémoglobine fœtales), puis la réinjection des cellules modifiées dans l’organisme du patient après conditionnement (chimiothérapie myéloablative comme dans l’allogreffe).

Pour en savoir plus sur la thérapie génique

Pour aller plus loin

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