Transplantation d’organes / Greffe

Le dernier recours en cas de défaillance d'un organe vital

Une transplantation (ou greffe) est une opération chirurgicale qui consiste à remplacer un organe vital défaillant par un organe sain prélevé à un donneur. Il s’agit d’une procédure lourde et associée à différents risques, en particulier celui du rejet de l’organe greffé. Si le risque de rejet à court terme est aujourd’hui assez bien maîtrisé, les mécanismes qui peuvent mener par la suite à la perte de fonction du greffon – et les moyens de prévenir ce phénomène – sont plus incertains. Néanmoins, la recherche avance et ouvre de nouvelles perspectives.

Dossier réalisé en collaboration avec Pierre Marquet (unité Inserm 1248, Limoges), avec la participation d’Antoine Durrbach (unité Inserm 1186, Villejuif) et de Luc Pellerin (unité Inserm 1313, Poitiers).

Comprendre la transplantation d’organes

Si les premières tentatives de greffes sur des humains remontent au début du 20e siècle, les premiers succès durables en la matière datent des années 1960, suite à la découverte du complexe majeur d’histocompatibilité, un ensemble de protéines à l’origine du rejet immédiat d’un greffon non compatible (voir encadré ci-dessus). Depuis, la transplantation d’organes a connu des avancées majeures grâce aux progrès de la chirurgie, de la médecine et de la pharmacologie. L’amélioration des connaissances relatives au fonctionnement de notre système immunitaire et l’utilisation optimisée de médicaments immunosuppresseurs permettent aujourd’hui la survie à long terme des patients greffés. Dès lors, la greffe est désormais un recours « usuel » en cas de défaillance grave d’un organe vital.


De l’importance du complexe majeur d’histocompatibilité

Le complexe majeur d’histocompatibilité (CMH), aussi appelé « système HLA » (pour Human Leucocyte Antigens), est un ensemble de molécules présentes à la surface des cellules qui permet au système immunitaire de reconnaître les cellules du « soi » et de les distinguer des cellules « étrangères ». Le CMH est donc différent d’un individu à l’autre. En cas de greffe, celui du donneur est a priori reconnu comme étranger par le système immunitaire du receveur, ce qui conduit au déclenchement d’une réaction de rejet du greffon.

Depuis la découverte de ce phénomène par Jean Dausset à la fin des années 50, on sait qu’il faut s’assurer de la proximité maximale des CMH du donneur et du receveur avant une transplantation. Toutefois, étant donné la complexité et la variabilité du CMH, la correspondance n’est jamais parfaite (sauf entre vrais jumeaux !). Aussi, le risque de rejet n’est jamais nul.


On distingue différents types de greffes en fonction de l’origine du greffon :

  • autogreffe : le greffon appartient au receveur, il s’agit le plus souvent d’un tissu (comme la peau) ou des cellules (comme celles de la moelle osseuse)
  • isogreffe (rarissime) : le greffon appartient au jumeau monozygote du receveur
  • allogreffe : le donneur et le receveur sont deux personnes distinctes (cas le plus fréquent)
  • xénogreffe : le donneur et le receveur ne sont pas de la même espèce animale (pour en savoir plus sur cette approche encore expérimentale)

La greffe en France, en chiffres

En France, l’Agence de la biomédecine gère la liste nationale des malades en attente de greffe et coordonne les prélèvements d’organes ainsi que la répartition et l’attribution des greffons (en France et à l’international).Son rapport annuel permet de chiffrer l’activité du domaine :

En 2022, 5 495 transplantations d’organes ont été réalisées en France, dont 275 chez des enfants. Les greffons provenaient de 1 459 donneurs (dont 536 donneurs vivants) prélevés dans 166 établissements autorisés. En lien avec le vieillissement de la population, on prélève et on greffe des patients de plus en plus âgés : 57,7 ans en moyenne pour les donneurs et 52,2 ans pour les receveurs en 2022. 

Au 1er janvier 2023, 10 829 personnes étaient en attente de greffe (inscrites sur liste d’attente active), contre 7 357 dix ans plus tôt. En 2022, 1 015 personnes en attente d’un organe sont décédées, contre 602 dix ans plus tôt.

Quels organes peut-on greffer ?

Le rein

La transplantation rénale reste de loin la plus fréquente avec 3 377 greffes réalisées en France en 2022. Qu’elle soit due au diabète ou à d’autres maladies, l’insuffisance rénale condamne les patients à se rendre régulièrement à l’hôpital pour subir une dialyse, ou à recevoir une transplantation. Cette dernière améliore leur survie et restaure un mode de vie quasi normal. Malgré sa lourdeur initiale, elle coûte finalement trois à quatre fois moins cher à la collectivité qu’une dialyse à vie.

Une personne en bonne santé pouvant vivre avec un seul rein, il arrive que des proches des malades donnent un des leurs. Ainsi, en 2022, plus de 536 transplantations rénales ont été réalisées en France à partir de reins prélevés à des donneurs vivants.

La survie globale à 10 ans des greffons rénaux est actuellement de 57 %, mais elle varie selon l’âge du donneur et celui du receveur. Elle est en outre supérieure si le donneur est vivant.

Le foie

Dans plus de la moitié des cas, la décision de procéder à une transplantation hépatique fait suite à une cirrhose, qu’elle soit d’origine alcoolique ou métabolique, due à des maladies comme l’hépatite B ou C, ou encore à des pathologies des voies biliaires. Une autre grande indication est le carcinome hépatocellulaire (cancer du foie) non métastasé, dont la fréquence est en augmentation.

Malgré l’arrivée de traitements efficaces contre les hépatites virales, le nombre de transplantations hépatiques réalisée en France reste stable : 1 294 en 2022. Dans de très rares cas, le greffon utilisé est issu d’un donneur vivant, généralement un parent qui cède un lobe de son foie à son enfant.

Au total, le nombre de personnes porteuses d’un greffon hépatique fonctionnel en France en 2022 est estimé à 15 467. La survie à 5 ans après une telle greffe est de 75 %, le décès pouvant être lié à un autre motif que la maladie hépatique qui a motivé la transplantation. 

Le cœur

La transplantation cardiaque est envisagée en cas d’insuffisance cardiaque sévère causée par un infarctus du myocarde, une hypertension artérielle sévère non traitée, des anomalies des valves cardiaques, la consommation de produits toxiques (certains médicaments, alcool…) ou, plus rarement, des maladies congénitales ou héréditaires.

Malgré le développement de systèmes de circulation artificielle, extérieurs ou implantés, le nombre de transplantations cardiaques n’a pas diminué, avec 419 opérations réalisées en 2022. On greffe des patients plus âgés et dans des états plus graves qu’auparavant. La probabilité de survie du receveur est d’environ 68 % à 5 ans et 55 % à 10 ans.

Le poumon

La greffe de poumon est proposée en cas de fibrose pulmonaire (première indication), de mucoviscidose ou de maladies obstructives des voies aériennes souvent dues au tabagisme. En 2022, 334 greffes pulmonaires ont été réalisées. Des affections beaucoup plus rares, comme l’hypertension artérielle pulmonaire, peuvent nécessiter la transplantation du bloc cœur-poumons (8 patients en 2022).

Grâce aux progrès thérapeutiques dont bénéficient les patients atteints de certaines formes de mucoviscidose, le nombre de greffes pour cette indication diminue (de 21 % en 2019 à 3 % en 2022). En revanche, il augmente chez les personnes atteintes de fibrose pulmonaire (passant de 23 % à 38 % des greffes pulmonaires pratiquées sur la même période). Les taux de survie un an après la greffe d’un seul ou des deux poumons sont respectivement de 72 % et 81 %. À cinq ans, ces taux chutent à 48,5% et 63%. 

Le pancréas

Certaines formes graves de diabète peuvent nécessiter une greffe de pancréas. En 2022, 70 greffes ont eu lieu chez des malades qui souffraient d’un diabète de type 1 dont le traitement par insuline était responsable d’hypoglycémies très sévères, ou qui présentaient des complications mettant en jeu leur pronostic vital.

L’âge moyen des receveurs est de 40 ans. Leur survie à 1 et 3 ans est en hausse : elle atteint désormais respectivement 81,1 % et 78,1 %. Depuis 2022, la greffe d’ilots de Langerhans (la région du pancréas productrice d’insuline) a été développée et autorisée dans plusieurs centres hospitaliers à Montpellier, Lille, Paris, Lyon et Strasbourg. D’autres sont en attente de certification à Grenoble, Nantes et Toulouse.

L’intestin

Extrêmement rare, la greffe intestinale permet de suppléer la fonction de l’intestin grêle. Elle est indiquée en dernier recours lorsque la nutrition par voie intraveineuse (parentérale) prolongée ne suffit pas. Depuis 1993, 150 greffes intestinales ont été réalisées en France, dont une seule en 2022. 

L’utérus

L’implantation provisoire d’un utérus afin de mener à bien une grossesse est exceptionnelle. La première greffe a eu lieu en 2012 en Suède et quelques autres ont été réalisées depuis. En France, une première naissance issue de ce procédé a été obtenue en 2021.

Les greffes multiples

Des greffes multiples, associant plusieurs organes qui proviennent d’un même donneur, peuvent être réalisées pour pallier la défaillance chronique de plusieurs organes au cours d’une même maladie ou à la suite de traitements. Au moins douze combinaisons sont possibles : cœur-foie, cœur-foie-rein, cœur-rein, foie-intestin, foie-intestin-rein, foie-pancréas, foie-rein, greffe multiviscérale, pancréas-rein, poumon-foie, poumon-rein, poumon-ilots de Langerhans. Ces combinaisons sont extrêmement rares, les plus fréquentes étant pancréas-rein (68 greffes en 2022), foie-rein (54 en 2022) et cœur-rein (17 en 2022).

Les greffes de tissus

Des cellules cutanées, des fragments de cornée, de cartilage, d’os et bien d’autres tissus peuvent être prélevés et greffés. Cette activité augmente en France, avec 41 465 personnes qui ont fait un don de tissus de leur vivant en 2022 (+7 % par rapport à 2018), généralement suite à une intervention chirurgicale réalisée pour leur bénéfice (don de résidus opératoires). S’y ajoutent les prélèvements réalisés sur des personnes décédées. Les tissus donnés sont confiés à des banques qui les préparent, les conservent, les cèdent ou les distribuent.

La greffe de tissu la plus fréquente est celle de cornée. En 2022, 4 602 patients ont pu être greffés grâce aux 500 dons réalisés chaque mois, essentiellement sur des personnes décédées.

Plus de 800 personnes ont bénéficié d’une greffe de tendon (plus de deux fois plus que cinq ans auparavant) et 333 d’une greffe d’os (entier ou partiel). Au total, 66 199 patients ont en outre reçu un greffon osseux de comblement, essentiellement en orthopédie (greffe de têtes fémorales notamment) et en dentisterie.

Grâce aux dons d’épiderme, 181 greffes ont été réalisées dans les centres de traitement des grands brûlés.

Dans le domaine cardiovasculaire, des fragments d’artères (602 greffes en 2022), de veines (1 470) et des valves cardiaques (219) ont également été greffés.

Enfin, les dons de placenta réalisés à l’issue d’un accouchement permettent la préparation de membranes amniotiques, utiles à des traitements en ophtalmologie : 3 787 membranes amniotiques ont être préparées en 2022, à partir de 400 dons de placenta.

Besoins et disponibilité des greffons : un écart croissant

Le nombre de malades en attente de greffe ne cesse de progresser au cours des années et les délais d’attente sont globalement en augmentation. Aussi, plus de 1 000 malades par an décèdent au cours de ce délai, soulignant le déficit d’organes disponibles.

Les organes greffés proviennent en grande majorité de personnes en état de mort cérébrale, dont la circulation et la respiration sont maintenues artificiellement par des procédures de réanimation. La mort cérébrale (ou encéphalique) correspond à l’arrêt total de l’activité du cerveau (par compression liée à un œdème ou en raison d’une hémorragie cérébrale due à accident vasculaire cérébral, un traumatisme crânien…). Elle représente environ 1 % des décès à l’hôpital, soit « seulement » 5 000 cas par an en France. Mais ces décès représentent jusqu’à 80 % des possibilités de prélèvement d’organes grâce au maintien artificiel de l’activité cardiaque après la mort : cette pratique permet de perfuser et d’oxygéner les organes, pour les garder en état en vue d’une éventuelle transplantation. Depuis 2006, le prélèvement à partir de donneurs « à cœur arrêté » est également autorisé en France, à condition qu’une circulation artificielle soit rapidement établie et en respectant des critères très stricts.


Le don d’organes, un consentement présumé

Par défaut, nous sommes tous donneurs d’organes après notre mort, lorsque cela est possible. Instaurée en 1976 par la loi Caillavet, la règle du consentement présumé a été réaffirmée par la loi de bioéthique de 1994, réactualisée en 2004 et 2011. L’Agence de la biomédecine tient un registre national où les personnes qui s’opposent au prélèvement de leurs organes après leur mort peuvent s’inscrire. Néanmoins, en pratique, les médecins s’adressent aux proches et leur demandent l’autorisation de prélever immédiatement après l’annonce du décès, au pire moment. 

Le don repose sur deux principes. La gratuité (la loi interdit toute rémunération en contrepartie de ce don), et l’anonymat (la famille du donneur peut cependant être informée des organes et tissus prélevés ainsi que du résultat des greffes, si elle le demande).


Le taux global de prélèvement à partir de donneurs décédés au niveau national est en régression depuis plusieurs années. Seule la moitié des donneurs potentiels recensés sont prélevés. Dans un tiers des cas, la famille du défunt s’oppose au prélèvement. La seconde cause de renoncements est liée à des antécédents médicaux du donneur potentiel (tumeurs, maladies infectieuses ou autres), de plus en plus fréquents en raison de leur vieillissement.

Concrètement, en 2022, 2 986 sujets en état de mort cérébrale et 612 sujets décédés d’un arrêt cardiocirculatoire ont été recensés, mais seulement 1 459 et 235 ont pu être prélevés, respectivement. Avec une moyenne de trois organes prélevés sur chacun de ces donneurs décédés, auxquels il faut ajouter ceux reçus de 536 donneurs vivants, il a été possible de réaliser 5 495 greffes au total. Or, dans le même temps, plus de 20 000 personnes étaient inscrites sur les listes d’attente ! Et cet écart ne fait que croître, en raison de l’élargissement des indications de greffe qui conduit à une augmentation du nombre de patients en attente d’un organe.

Dons et risques infectieux

Dans tous les cas, les donneurs sont soumis à des batteries de tests afin d’éviter la transmission de maladies infectieuses par le greffon. Cependant, l’immense majorité de la population a rencontré le cytomégalovirus (CMV), responsable d’infections pulmonaires généralement silencieuses : la séropositivité au CMV ne constitue donc pas un obstacle à la transplantation. Le prélèvement de donneurs qui ont été en contact avec les virus de l’hépatite B ou C est par ailleurs autorisé sous certaines conditions : leurs organes peuvent être transplantés après information et obtention du consentement du receveur. De même, depuis 2021, les organes issus de donneurs séropositifs pour le VIH, vivants ou décédés, sous traitement antirétroviral stable avec un dépistage génomique du VIH négatif dans les douze derniers mois, peuvent être greffés à des receveurs séropositifs pour le VIH dont l’infection est contrôlée, informés et consentants.

Après la greffe

Rejets hyperaigu, aigu et dysfonction chronique

Après une greffe, le système immunitaire du receveur tend à détruire le greffon – élément étranger à l’organisme – et ce avec d’autant plus de force que les groupes tissulaires (CMH/HLA) du donneur et du receveur sont éloignés. Cette réaction immunitaire appelée rejet « hyperaigu » survient dans les minutes qui suivent la greffe. Elle est due à des anticorps préformés qui circulent dans l’organisme du receveur, dirigés contre le système HLA du donneur. Ce risque majeur est aujourd’hui évité par l’examen préalable de la compatibilité tissulaire du donneur et du receveur et par la réalisation d’un test de compatibilité appelé Cross-Match. Si ce test est négatif, le greffon est compatible. Toutefois, ces vérifications n’écartent pas le risque de rejet du greffon à distance : ce risque nécessite un traitement immunosuppresseur à vie.

Durant les premières semaines ou premiers mois après l’opération, le greffon peut subir un rejet aigu causé par deux phénomènes. Le premier est lié à l’immunité cellulaire de l’organisme du receveur : certains lymphocytes T, des cellules « tueuses », s’infiltrent dans le greffon et finissent par le détruire. L’administration d’immunosuppresseurs permet de relativement bien maîtriser ce risque :  la survie des greffons à un an est aujourd’hui de l’ordre de 90 %, avec des différences selon les organes. Cependant, la nécessité de réduire les traitements immunosuppresseurs, ou l’oubli des traitements, même ponctuellement, peuvent favoriser un second phénomène délétère : une immunisation des malades contre le greffon, qui implique la synthèse d’anticorps anti-HLA. Une fois formés, ces derniers reconnaissent les cellules du greffon, s’y fixent et déclenchent une cascade de réactions responsables de lésions directes sur ces cellules, ainsi que le recrutement de cellules immunitaires qui mènent à la destruction du greffon. Ce mécanisme de rejet représente la principale difficulté en cas de greffe. Toutefois, l’association de plusieurs médicaments – utilisés pour supprimer les anticorps anti HLA et bloquer (bien qu’imparfaitement) leur synthèse ainsi que les réactions qu’ils déclenchent – permet de contenir et parfois de guérir le rejet aigu. Au final, la durée moyenne de fonctionnement des greffons varie en fonction des organes greffés. Pour le rein par exemple, elle est de 12 ans.

Les dommages causés aux greffons peuvent se poursuivre dans le temps et provoquer une dysfonction chronique, face à laquelle les médecins restent désarmés. Sur une durée de plusieurs mois ou années, les greffons subissent des lésions répétées et perdent progressivement leur fonctionnalité. Les mécanismes en cause associent la réponse immunitaire du receveur, la toxicité des médicaments et d’autres phénomènes biologiques ou infectieux qui sont à l’étude.

La toxicité des immunosuppresseurs

La prévention du rejet aigu, essentiel pour permettre à l’organe greffé de fonctionner, repose sur l’association de plusieurs traitements immunosuppresseurs au long cours : en général un corticoïde, de l’acide mycophénolique et un inhibiteur de la calcineurine (comme le tacrolimus ou la ciclosporine). Mais leur efficacité est associée à une toxicité, notamment rénale. À long terme, ces médicaments induisent une insuffisance rénale aiguë ou chronique quasiment inévitable (néphrotoxicité). Ils peuvent également entraîner des atteintes osseuses, un diabète ou une obésité, une diminution des leucocytes (globules blancs), une hypertension, des lésions cardiovasculaires. L’équilibre entre une immunosuppression efficace à long terme et la limitation de la toxicité reste difficile à établir. Il suppose une stratégie adaptée en permanence à chaque patient.

En cas de greffe rénale, un nouveau traitement, le belatacept, présente un profil bénéfice-risque très différent : cette protéine recombinante qui bloque l’activation des lymphocytes T est associée à un risque de rejet et d’infection virale plus élevé, ainsi qu’à un risque de tumeur induite par certains virus (Epstein Barr Virus). Mais ce médicament est moins toxique et permet une meilleure préservation de la fonction des greffons à moyen et long terme.

D’autres risques à ne pas négliger

Dénués de spécificité, les traitements immunosuppresseurs inhibent indistinctement les réponses immunitaires des patients contre le greffon, des virus, des bactéries ou des antigènes tumoraux : dès lors, ils rendent les patients vulnérables aux agents infectieux et aux tumeurs. Malgré la panoplie d’antibiotiques et d’antiviraux disponibles, le traitement des infections contractées par les patients sous immunosuppresseurs reste délicat et fait l’objet de recherche.

Outre le cytomégalovirus, contrôlable par les antiviraux, les greffons peuvent porter des virus de la famille de l’herpès ou des papillomes. Par exemple, le virus Epstein Barr (EBV) étant présent chez 90 % de la population, sa détection ne peut constituer un motif de rejet du greffon. Or ces virus peuvent déclencher des cancers en quelques années : lymphomes pour l’EBV, sarcome de Karposi pour l’herpès 8, ou encore cancers génitaux et cutanés pour le papillomavirus humain. Les receveurs sont donc systématiquement surveillés.

Un autre risque à prendre en compte est celui lié à l’utilisation de nouvelles thérapies anti-cancéreuses qui peuvent avoir un effet antagoniste sur l’action des traitements immunosuppresseurs et entraîner la perte de fonction du greffon. Le développement de marqueurs biologiques permettant de prédire cet effet et de personnaliser les thérapies innovantes est en cours.

Les enjeux de la recherche

De très nombreuses équipes de recherche travaillent dans le domaine de la transplantation avec l’objectif d’améliorer les conditions de conservation et de transfert des greffons, et celui de développer des stratégies thérapeutiques postgreffe plus efficaces et mieux tolérées. D’autres travaillent sur la réhabilitation des greffons initialement considérés comme non optimaux, ou encore sur la xénogreffe qui consiste à utiliser des organes prélevés chez des animaux génétiquement modifiés.

Améliorer les greffons

L’âge des donneurs d’organe augmente : en 2022, il était de 57,6 ans en moyenne (contre 55 ans en 2013) et le pourcentage de donneurs de plus de 65 ans a atteint 40,9 % (contre 32,6 % neuf ans plus tôt). Or les organes des donneurs âgés sont plus « fragiles » lors du prélèvement. Ce problème s’additionne à ceux rencontrés avec tout organe prélevé dans le but d’être transplanté. Privé de sang (et donc d’oxygène) durant quelques heures, placé au froid, un organe prélevé se dégrade avant la transplantation. De plus, lors de sa réimplantation, d’importantes modifications biochimiques, inflammatoires, vont l’agresser.

Aussi, des recherches se poursuivent pour améliorer les liquides de conservation des greffons et développer des machines de perfusion afin de réduire les lésions liées à la séquence ischémie (privation en oxygène) / reperfusion (lors de la réimplantation). D’autres sont conduites pour permettre d’évaluer la fonctionnalité d’un futur greffon, voire de le « reconditionner », c’est-à-dire l’améliorer avant sa réimplantation. Cette dernière approche, dont l’intérêt est démontré pour le poumon depuis 2018, consiste à reperfuser et réoxygéner le greffon en laboratoire avant de le transplanter. Des approches similaires sont développées pour d’autres types de greffons. À Poitiers, le laboratoire Ischémie reperfusion, métabolisme et inflammation stérile en transplantation (IRMETIST, unité Inserm 1313) travaille par exemple à l’amélioration des conditions de la transplantation, principalement de greffons rénaux et hépatiques, ainsi que sur les lésions liées à l’ischémie/reperfusion. Cette équipe étudie aussi les mécanismes de réparation des greffons in vivo après leur transplantation, et développe des thérapies cellulaires à partir de cellules souches pour améliorer leur reprise de fonction. Elle met aussi au point de nouveaux modèles d’expérimentation pour réhabiliter des organes de donneurs qui présentent des facteurs de comorbidité comme la stéatose hépatique, de plus en plus fréquente dans la population générale.

Mieux comprendre et prévoir le rejet de greffe

D’autres équipes travaillent à l’identification des mécanismes du rejet de greffe. À Strasbourg, une équipe Inserm (unité 1109) a par exemple identifié un gène qui appartient au complexe d’histocompatibilité (CMH/HLA) et permet de mieux expliquer et prédire le succès ou l’échec d’une greffe de rein. Il s’agit du gène MICA. Une incompatibilité au niveau de ce gène entre donneur et receveur est à l’origine de la synthèse d’anticorps par le receveur, dirigés contre les protéines MICA du donneur.

Le diagnostic d’un rejet est parfois difficile à poser : il se fonde sur une classification internationale qui intègre des données complexes et très diversifiées (données histologiques, immunologiques, transcriptomiques...). Au Centre d’expertise de la transplantation multi-organes de Paris, une équipe Inserm (unité 970) a créé un assistant informatique automatisé qui intègre l’ensemble des données et permet de corriger 40 % des diagnostics erronés de rejet de greffe (rejet non prévu ou à l’inverse fausse prédiction d’un rejet), afin de mieux orienter la prise en charge des patients. À Limoges, des chercheurs d’une unité Inserm (unité 1248) ont quant à eux mis au point un algorithme d’intelligence artificielle pour interpréter les résultats des biopsies rénales, qui s’est également révélé plus efficace que l’interprétation humaine pour prévoir le risque de rejet.

Vers une immunosuppression « à la carte » ?

Puisque chaque individu a une réponse immunitaire propre, il convient d’adapter les traitements immunosupresseurs postgreffes à chaque patient, et de les moduler en permanence. Pour cela, il faut connaître à tout moment le statut immunitaire du patient, son risque de rejet et, dans l’idéal, l’état du greffon. À Limoges, une équipe Inserm (unité 1248) a mis au point et validé par des études cliniques des modèles et des outils d’individualisation de l’immunosuppression, en utilisant notamment l’intelligence artificielle (machine learning). Dans le cadre des greffes rénales, une équipe à l’Institut Necker Enfants Malades à Paris, a testé et validé une nouvelle équation d’estimation de la fonction rénale des patients, fondée sur le taux de filtration glomérulaire des reins et les caractéristiques du patient : elle permet d’évaluer la santé du greffon.

D’autres chercheurs travaillent sur la caractérisation des malades les plus éligibles aux nouveaux immunosuppresseurs de type bélatacept, dénués de toxicité rénale mais qui présentent un certain nombre d’effets indésirables. Les associations thérapeutiques les plus efficientes avec ces nouveaux traitements sont également étudiées.

Enfin, à Nantes, une équipe de l’unité Inserm 1064 étudie quant à elle le phénomène de tolérance à la greffe qui permet à certains receveurs de se passer de traitement immunosuppresseur. Elle recherche des marqueurs sanguins associés à cette tolérance. 

De l’immunosuppression à l’immunotolérance

Une stratégie alternative à l’immunosuppression consiste à « apprendre » au système immunitaire du receveur à considérer le greffon comme faisant partie du « soi », tout en préservant la défense de l’organisme. Il existe plusieurs approches :

La première consiste à détruire (par irradiation ou chimiquement) la moelle osseuse du receveur, c’est-à-dire le tissu qui engendre les lymphocytes, puis à la remplacer par celle du donneur. Dès lors, le greffon sera reconnu comme du « soi ». Le donneur devant être vivant, la méthode s’applique à la transplantation rénale. Un essai clinique est en cours aux États-Unis et les recherches s’accélèrent à Boston avec la création d’un centre dédié à cette approche.

Une deuxième voie consiste à « éduquer » des cellules immunitaires du receveur à accepter le greffon, avant de les lui réinjecter. Un consortium européen, The One Study, a développé des stratégies pour tester une grande partie des cellules immunitaires qui ont des propriétés immunorégulatrices. Une équipe du CHU de Nantes (unité Inserm 1064) participe à cette étude et utilise des cellules dendritiques cultivées de manière à les rendre inhibitrices de la réaction immunitaire. D’autres cellules lymphocytaires T régulatrices ont été testées par des équipes britanniques, lors de greffes de foie.

Certaines équipes testent en outre des médicaments qui pourraient permettre d’amplifier in vivo les lymphocytes T régulateurs qui freinent la réponse immunitaire. C’est le cas d’une équipe de l’Institut Mondor de recherche biomédicale (unité Inserm 955). Elle évalue l’efficacité de la combinaison d’un inhibiteur des lymphocytes T (la rapamycine) et de très faibles doses d’une cytokine (l’interleukine2) qui permet d’activer des cellules régulatrices sans activer le reste du système immunitaire.

Enfin, des équipes de Paris Saclay (unité Inserm 1186), de l’hôpital Henri Mondor et de l’hôpital Saint-Louis conduisent une étude clinique pour contrôler la dysfonction chronique en injectant des cellules stromales mésenchymateuses issues de cordons ombilicaux, douées de propriétés immunorégulatrices et réparatrices.

Mieux prioriser l’attribution des greffons

Les greffons sont prioritairement attribués aux candidats qui présentent le risque de décès le plus élevé, évalué selon des modèles mathématiques prédictifs de mortalité. Mais le modèle actuel en matière de transplantation hépatique date d’une vingtaine d’années. Pour améliorer la stratification des patients prioritaires et réduire la mortalité, le consortium LEOPARD, qui regroupe les principaux acteurs de la transplantation hépatique en Europe, travaille sur un nouvel algorithme prédictif qui sera applicable au niveau européen.

La xénotransplantation

Pour faire face à la pénurie de greffons, des équipes misent sur la xénotransplantation, une approche qui consiste à transplanter à des patients un organe provenant d’une autre espèce. Le porc est privilégié comme espèce donneuse, du fait de la proximité physiologique et morphologique de ses organes avec ceux des humains. Néanmoins, cette approche se heurte à des limites immunologiques interespèces, notamment par la présence naturelle dans la circulation sanguine humaine d’anticorps dirigés contre des protéines présentes à la surface des cellules porcines (des « xénoantigènes »). Ces anticorps sont responsables d’un phénomène de rejet hyperaigu qui aboutit inexorablement à la perte du greffon en quelques minutes. Afin de contourner ce problème, les animaux donneurs sont génétiquement modifiés pour produire des organes « humanisés », dépourvus des plus importants de leurs xénoantigènes. Fin 2021, les premières xénotransplantations de reins de porcs génétiquement modifiés ont été réalisées aux États-Unis avec succès, chez des receveurs humains en état de mort encéphalique (avec l’accord de leur famille et des comités éthiques). L’équipe Inserm de l’Institut de transplantation multi-organes et de médecine régénératrice de Paris a pu analyser des biopsies effectuées chez ces receveurs, pour étudier les mécanismes en jeu dans la réponse immunitaire qui survient après de telles greffes. Elle a pu identifier des solutions thérapeutiques pour prévenir le risque de rejet aigu dans ce contexte. En mars 2023, un premier receveur vivant a reçu un rein de porc génétiquement modifié au Massachusetts General Hospital, à Boston.

Pour en savoir plus sur la xénotransplantation

Nos contenus sur le même sujet

Actualités

Communiqués de presse

À découvrir aussi

Pour aller plus loin