Pré-éclampsie

Une maladie de la grossesse fréquente et parfois gravissime

La pré-éclampsie est une maladie fréquente de la grossesse, notamment associée à une hypertension artérielle et à l’apparition de protéines dans les urines. La plupart des patientes accoucheront d’un bébé en bonne santé et se rétabliront rapidement. Mais s’il n’est pas traité, ce syndrome entraîne de nombreuses complications pour la mère et son enfant. Les recherches en cours devraient permettre de mieux comprendre comment et pourquoi survient cette maladie, de manière à la détecter et à la traiter le plus précocement possible.

Dossier réalisé en collaboration avec Daniel Vaiman, directeur de recherche à l’Inserm, responsable de l’équipe Génomique, épigénétique et physiopathologie de la reproduction (unité 1016 Inserm/CNRS, Hôpital Cochin, Paris) 

Comprendre la pré‐éclampsie

La pré‐éclampsie est une pathologie de la grossesse caractérisée par une élévation de la pression artérielle (hypertension dite « gravidique » ou « gestationnelle »), accompagnée d’une élévation de la quantité de protéines présente dans les urines (protéinurie) et/ou, selon une définition plus récente, d’autres symptômes comme de la dysfonction d’un organe maternel (foie, rein...) ou encore un œdème pulmonaire. Son déclenchement ne survient pas avant le milieu du second trimestre de la grossesse (après vingt semaines d’aménorrhée). Dans certains cas, les symptômes apparaissent plus tardivement, peu de temps avant l’accouchement ou parfois même après, lors du postpartum.

Responsable d’un tiers des naissances de grands prématurés en France, ce syndrome est une cause majeure de retard de croissance intra‐utérin. Il reste en outre une cause de décès maternels, désormais rare en France, mais encore bien trop fréquente dans les pays où les systèmes de soins sont fragiles. 

Environ 5% des grossesses s’accompagnent de pré-éclampsie. Dans la plupart des cas, un suivi permet d’éviter les complications graves. Mais dans 1 cas sur 10, une forme sévère survient. La façon définitive de protéger la mère est alors d’extraire le fœtus et le placenta, que le fœtus soit déjà viable ou non.

Une maladie du placenta

La pré-éclampsie est le résultat d’un dysfonctionnement du placenta. Cet organe éphémère permet un dialogue immunologique précoce lors des premières étapes de l’implantation de l’embryon dans l’utérus, puis les échanges entre le fœtus et la mère. Il assure en outre la production d’hormones et d’autres facteurs nécessaires au maintien et au déroulement de la grossesse, et donc à la naissance d’un enfant en bonne santé.

Chez les femmes qui développent une pré-éclampsie, le placenta paraît se former et fonctionner normalement pendant le premier trimestre de grossesse. Mais après la 20e semaine (dans le cas des pré-éclampsies précoces), des défauts apparaissent dans le gigantesque réseau vasculaire formé entre le placenta et la paroi de l’utérus, en particulier en relation avec l’invasion des artères spiralées utérines maternelles par des cellules d’origine placentaire (trophoblastes). Or à partir de cette période de la grossesse, la croissance fœtale – en particulier celle du cerveau du futur bébé – nécessite un flux sanguin considérable. 

La grossesse se poursuit, mais les anomalies du flux sanguins entre la mère et son fœtus ont des répercussions sur la croissance fœtale et sur le fonctionnement de l’organisme maternel. En effet, le placenta « imparfait » relargue de nombreuses substances dans le sang maternel, notamment certaines protéines aux propriétés inflammatoires, anti-angiogéniques et vasoconstrictrices. Ces composés agressent les vaisseaux sanguins et altèrent la fonction rénale maternelle, déclenchant ainsi les principaux symptômes de la pré-éclampsie : l’hypertension artérielle et la protéinurie.

L’hypertension artérielle et la protéinurie, deux signes d’alerte

Selon sa définition clinique d’avant 2015 que nous utiliserons ici, la pré-éclampsie est associée à : 

  • une concentration de protéines dans les urines supérieure à 300 mg/24h
  • une pression artérielle systolique supérieure à 140 mmHg
  • une pression artérielle diastolique supérieure à 90 mmHG

Ces manifestations peuvent s’accompagner de divers symptômes comme des céphalées violentes, des troubles visuels (hypersensibilité à la lumière, « mouches », taches ou brillances devant les yeux), des acouphènes, des douleurs abdominales, des vomissements ou encore la diminution ou l’arrêt des urines. Des œdèmes massifs peuvent apparaître et s’accompagner d’une prise de poids brutale (plusieurs kilos en quelques jours). 

Une survenue plus probable chez les nullipares

Entre 70 et 75 % des pré-éclampsies survient lors de la première grossesse d’une femme. Néanmoins, il n’est pas exclu de présenter ce syndrome au cours d’une grossesse ultérieure, notamment en cas de changement de partenaire. La réduction du risque de pré-éclampsie lors d’une deuxième grossesse et des grossesses suivantes, lorsqu’elles impliquent le même partenaire, serait liée à une adaptation du système immunitaire de la mère aux antigènes du père, notamment via des cellules nommées « T régulatrices ». Cette plus grande tolérance immunologique permettrait une meilleure implantation du placenta, une structure d’origine fœtale et donc porteuse d’antigènes paternels. 

Plusieurs facteurs de risque de pré-éclampsie ont été identifiés : 

  • un antécédent de pré-éclampsie (qui multiplie le risque par 7)
  • une hypertension chronique, une pathologie rénale ou encore un diabète
  • des antécédents familiaux de pré-éclampsie (chez la mère, une grand-mère...)
  • une obésité (IMC supérieure à 30)
  • une grossesse multiple
  • un changement de partenaire sexuel ou une insuffisance à l’exposition du sperme de son partenaire (port prolongé du préservatif)
  • une première grossesse (nulliparité)
  • être âgée de plus de 40 ans ou de moins de 18 ans,
  • un syndrome des ovaires polykystiques,
  • une maladie auto-immune

Chez les femmes considérées comme à risque, un examen biologique peut être réalisé à partir de la 20e semaine de grossesse. Il s’agit du dosage de deux biomarqueurs : SFLT1, un récepteur soluble du facteur de croissance vasculaire VEGF, et PGF (Placenta Growth Factor), un facteur de croissance placentaire. Lorsque le rapport SFLT1/PGF est faible (inférieur à 38), le risque de survenue d’une pré-éclampsie peut être exclu avec une grande certitude (très bonne valeur prédictive négative du test). À l’inverse, un rapport SFLT1/PGF élevé (supérieur à 38) ne signifie pas que la patiente développera forcément le syndrome : autrement dit, la valeur prédictive positive du test est médiocre. Si cet examen a donc ses limites, il peut permettre d’écarter un risque de pré-éclampsie chez certaines patientes à risque, par exemple chez certaines femmes obèses.


Une susceptibilité génétique à la maladie

La pré-éclampsie est une maladie multifactorielle, mais le terrain génétique semble jouer un rôle important dans sa survenue avec une héritabilité estimée à 50 %. Les études jusqu’ici conduites semblent indiquer qu’il n’existe pas un « gène de la pré-éclampsie », mais plutôt de nombreuses variations qui affectent différents gènes et augmentent la susceptibilité au syndrome. Le premier gène qui a été identifié comme impliqué dans les formes familiales de pré-éclampsie, STOX1, code pour un facteur de transcription qui contrôle l’expression de milliers d’autres gènes dans les cellules de l’utérus et du placenta.

Des modifications épigénétiques, c’est-à-dire des modifications de l’ADN qui n’affectent pas la séquence des gènes, pourrait également intervenir dans la susceptibilité à la pré-éclampsie.


Prévenir la maladie chez les femmes à risque

Chez les patientes qui ont un antécédent de pré-éclampsie, un traitement préventif par aspirine à faible dose peut être prescrit. Il doit être commencé avant la 16e semaine d’aménorrhée.

Une progression rapide au troisième trimestre de grossesse

Après l’apparition des premiers symptômes, la pré-éclampsie peut évoluer rapidement et nécessite une prise en charge immédiate. Dans 10 % des cas, la maladie entraîne des complications graves qui mettent en jeu, à court terme, le pronostic vital de la mère et de son fœtus. Ces complications sont : 

  • l’éclampsie, qui correspond à des crises convulsives potentiellement fatales, probablement provoquées par des manifestations hypertensives artérielle intracrânienne chez la mère
  • le syndrome HELLP, caractérisé par une augmentation de la destruction des globules rouges dans le foie (hémolyse), une élévation des enzymes hépatiques liée à une inflammation du foie, ainsi qu’une diminution du nombre des plaquettes sanguines qui entraîne un risque accru d’hémorragie
  • l’hémorragie cérébrale qui est la cause principale de décès des mères
  • l’insuffisance rénale chez la mère
  • un décollement placentaire qui provoque une hémorragie intra-utérine (hématome rétroplacentaire)

La pré-éclampsie peut en outre avoir des conséquences à plus long terme sur la santé cardiovasculaire et rénale de la mère, et probablement celle de l’enfant. Sept ans après une grossesse compliquée par une pré-éclampsie, 20 % des femmes présentent une hypertension artérielle et une altération de la fonction rénale, soit 10 fois plus que dans la population générale. Leur risque de développer une pathologie cardiovasculaire chronique est également majoré.

La prise en charge à l’hôpital

Une hospitalisation est nécessaire pour permettre un suivi extrêmement régulier de la future maman. Ce suivi inclut l’évaluation de la gravité de la pré-éclampsie pour la mère : sa tension artérielle est-elle ou non contrôlable par des hypotenseurs, présente-t-elle des signes fonctionnels de la maladie, ses fonctions vitales (pouls, respiration, diurèse, conscience) sont-elles altérées ? 

Ce suivi permet en outre de mesurer le retentissement de la maladie sur le fœtus (via l’évaluation de ses mouvements actifs, son activité cardiaque, de la hauteur utérine…). Les médecins vont également régulièrement évaluer les mesures à mettre en œuvre s’il devient nécessaire d’extraire le fœtus et son placenta en urgence, par césarienne ou en déclenchant le travail (selon l’âge gestationnel, la présentation fœtale…). 

En cas de mauvais pronostic, le seul moyen de protéger la mère est en effet de mettre un terme à la grossesse. L’enjeu de la prise en charge consiste donc à prolonger la grossesse le plus longtemps possible, afin de libérer l’enfant à une période acceptable de son développement. Des corticoïdes sont administrés au fœtus pour accélérer la maturation pulmonaire. 

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Les enjeux de la recherche

Mieux comprendre la maladie grâce aux modèles précliniques

Mis au point à l’Inserm, un modèle de souris transgéniques qui surexpriment le gène STOX1 dans leur placenta a permis de progresser dans la connaissance de la maladie et de tester des voies thérapeutiques. Pour rappel, le gène STOX1 est impliqué dans des formes familiales de pré-éclampsie. Les souris qui le surexpriment au niveau placentaire développent exactement les mêmes symptômes que les patientes atteintes du syndrome. L’utilisation de ces animaux facilite ainsi l’étude des mécanismes pathologiques et l’exploration de nouvelles pistes thérapeutiques. Ce modèle a par exemple été utilisé pour tester et comprendre l’effet bénéfique de l’aspirine, de la tétrahydrobiptérine, de l’alpha1-microglobuline et, récemment, d’inhibiteurs du récepteur 2 de la prokinéticine. Il permet également d’étudier les conséquences de la maladie à long terme sur l’organisme.

Un deuxième modèle vient d’être créé et caractérisé : ces animaux surexpriment une version courte de STOX1, STOX1B (227 acides aminés vs 989 acides aminés). Chez les souris porteuses d’un placenta qui surexprime cette isoforme, on note un phénotype pré-éclamptique moins accentué que dans le cas des souris qui surexpriment l’isoforme STOX1A, en dépit d’altérations plus importantes de la structure de leur placenta. En outre, l’étude de l’expression des gènes placentaires révèle une activation massive de ceux impliqués dans la coagulation et des gènes du complément, normalement régulés négativement quand la pré-éclampsie est traitée par l’aspirine. La dynamique de la coagulation sanguine est donc activée chez ces souris. L’équipe de Daniel Vaiman (Unité Inserm 1016, Institut Cochin) a montré que ce phénomène passe par l’activation du facteur transcriptionnel HNF4a (résultats non publiés).

Aux données obtenues grâce aux modèles précliniques s’ajoutent celles issues des études de cohortes, qui font quant à elles progresser dans la compréhension des facteurs de risque associés à la pré-éclampsie et pourraient conduire à la découverte de marqueurs précoces de son apparition. 

Détecter précocement la maladie

Les cliniciens n’ont pas encore de moyen univoque pour détecter précocement le risque de pré-éclampsie au cours d’une grossesse. Or, la découverte de marqueurs précoces est un enjeu fondamental pour pouvoir utiliser un traitement préventif par l’aspirine : il est en effet inenvisageable d’administrer systématiquement ce médicament à toutes les femmes enceintes. 

Actuellement, les médecins disposent de marqueurs détectables à partir de 20 semaines de grossesse, c’est-à-dire avant l’apparition des symptômes, mais trop tardivement pour une administration précoce d’aspirine. Une piste intéressante se dessine néanmoins avec les cellules immunitaires « T régulatrices ». Ces cellules sont en effet présentes en plus faible quantité dans le sang maternel en cas de pré-éclampsie : leur taux pourrait éventuellement servir d’indicateur de risque. 

Par ailleurs, une étude de grande envergure a été menée pour rechercher les facteurs de risque génétiques de la pré-éclampsie en population générale. Les auteurs ont analysé les variants génétiques dans le génome de 4 380 femmes touchées et dans celui de plus de 310 000 femmes témoins, sans grossesse pathologique. Un seul variant génétique a été retrouvé associé au risque de pré-éclampsie, dans le gène FLT1. Ce gène code pour un récepteur au facteur de croissance vasculaire VEGF, impliqué dans la formation des vaisseaux sanguins. La forme variante de FLT1 génère une protéine plus courte et soluble, nommée sFLT1. Cette dernière capture le VEGF et l’empêche de se fixer sur les récepteurs placentaires permettant le développement vasculaire. Il en résulte une mauvaise vascularisation du placenta et son mauvais fonctionnement. Mais dans cette étude génétique exhaustive, aucun autre marqueur génétique qui permettrait un dépistage génétique précoce des femmes à risque n’a pu être identifié. 

Aussi, une nouvelle analyse a été conduite, focalisée sur les gènes potentiellement impliqués dans une des étapes de la formation du placenta, la fusion trophoblastique. Parmi les 436 gènes étudiés, les chercheurs en ont identifié trois qui peuvent augmenter le risque de pré-éclampsie en modulant le processus de formation de la partie du placenta en direct contact avec le sang maternel (le syncytiotrophoblaste). Ces travaux se poursuivent, afin de caractériser les mécanismes mis en jeu.

Une nouvelle perspective thérapeutique

Des chercheurs français ont récemment développé un traitement potentiel pour la pré-éclampsie, fondé sur l’administration d’une molécule nommée tétrahydrobioptérine (BH4) pour restaurer la fonction placentaire et améliorer la croissance fœtale. Chez la souris, ils ont montré que le BH4 corrige l’hypertension artérielle, la protéinurie et les anomalies cardiovasculaires chez les mères. Si ces résultats prometteurs se confirment et s’avèrent transposables à l’humain, le BH4, associé à l’aspirine, pourrait offrir une nouvelle option thérapeutique.

Pré-éclampsie : quelles conséquences à long terme ?

Les chercheurs s’intéressent par ailleurs de plus en plus aux conséquences à long terme de la pré-éclampsie. Des travaux menés chez des souris qui modélisent la maladie montrent que, huit mois après la fin d’une gestation avec pré-éclampsie (soit l’équivalent de 20 ans pour une femme), environ 1 500 gènes sont durablement modifiés dans les cellules de la paroi vasculaire. Il s’agit notamment de gènes qui contribuent au développement d’une inflammation chronique. En outre, un remodelage cardiaque observé pendant l’épisode de pré-éclampsie (hypertrophie ventriculaire) persiste dans le temps, avec une fibrose détectable dans le myocarde. Par ailleurs, fonctionnellement, le cœur des souris réagit de façon impropre à un stress chimique mimant un test d’effort, avec des augmentations anormales de la vitesse et de la pression du sang aortique et pulmonaire. Il existe donc des altérations cardiaques, structurelles et fonctionnelles, à long terme après un épisode de pré-éclampsie. 

Une autre étude portant sur une cohorte de 1 178 005 femmes a établi un lien entre pré-éclampsie et démence vasculaire, avec un risque multiplié par 3 à 6 de développer cette maladie neurologique à un âge plus tardif. Ce lien ne peut pas être expliqué par la présence de maladies cardiovasculaires, d’hypertension ou de diabète, suggérant une susceptibilité ou des mécanismes communs entre les deux pathologies. Pour en savoir plus, l’équipe de Daniel Vaiman explore les dérégulations de l’expression des gènes dans des régions cérébrales très bien définies (cortex, hippocampe, gyrus denté...) par des méthodes bioinformatiques sophistiquées fondées sur de la transcriptomique in situ. Ces analyses portent sur des cerveaux de souris 6 à 8 mois après une gestation, ce qui correspondrait à 15 ou 20 ans après la grossesse chez la femme. Les données, encore en cours d’analyse, révèlent déjà des voies métaboliques spécifiquement altérées dans des zones précises du cerveau. Ces observations permettent de comprendre comment une pré-éclampsie induira des lésions dans le cerveau des mères, potentiellement longtemps après la grossesse.

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