Développement du médicament

De l’éprouvette à la pharmacie

Phase préclinique, clinique, obtention de l’autorisation de mise sur le marché… Près de 15 ans sont nécessaires pour qu’une molécule d’intérêt thérapeutique devienne un « vrai médicament » (hors dispositifs médicaux).

Un parcours long et très réglementé qui aura raison de nombreuses molécules candidates se révélant finalement mal tolérées ou insuffisamment efficaces.

Dossier réalisé en collaboration avec Bernard Bégaud, directeur de l’unité 657 Inserm/Université Bordeaux Segalen, Céline Cortot, directrice de la communication d’Inserm Transfert, Jean-Christophe Hébert, directeur du département des affaires juridiques de l’Inserm, François Hirsch, adjoint au directeur de l’Institut thématique multi-organismes Technologie pour la santé (Aviesan) et François Lachapelle, chef du Bureau de l’expérimentation animale de l’Inserm et président du Gircor. 

Comprendre les grandes étapes du développement d’un médicament

Parmi les étapes clés du développement d’un médicament, la phase préclinique permet d’évaluer une molécule sur des cellules en culture (in vitro) et chez l’animal (in vivo). La phase clinique permet ensuite de passer chez l’homme, pour tester la molécule chez des personnes saines puis évaluer sa sécurité et son intérêt chez des malades. 

Si le médicament s’avère sûr et efficace, l’entreprise qui souhaite le commercialiser doit encore patienter un à trois ans pour obtenir une autorisation de mise sur le marché par les autorités sanitaires ainsi qu’un prix et un taux de remboursement si le médicament y est éligible. 

Alors seulement, le médicament gagnera les rayons des pharmacies. La pharmaco-épidémiologie qui inclut la pharmacovigilance prend alors le relais pour évaluer la sécurité du médicament et son bénéfice thérapeutique en situation « réelle ». 

BD sur les différentes étapes du développement d'un médicament qui sont listées ci-dessus

Inserm Transfert, révélateur d’innovations thérapeutiques 

Inserm Transfert permet à de nouveaux médicaments de voir le jour à partir des découvertes des chercheurs de l’Inserm. Cette filiale de l’Inserm détecte les projets à fort potentiel médical et industriel, dépose et gère les brevets destinés à les protéger et conseille les chercheurs dans leur valorisation. Certains se lancent dans la création d’entreprise pour valoriser leur découverte, d’autres développeront leur projet à travers un partenariat avec un laboratoire pharmaceutique. Inserm Transfert accompagne alors les futurs entrepreneurs dans leurs démarches ou négocie et gère les contrats avec les industriels. L’objectif est toujours de valoriser les découvertes des chercheurs en préservant leurs intérêts et ceux de l’Inserm. 

En 2012, Inserm Transfert accompagnait une trentaine de projets entreprenariaux, 140 nouvelles demandes de brevets et générait plus de 30 millions d’euros de revenus issus de contrats de licence et de partenariats de recherche. Des sociétés comme Innate Pharma, Transgène, Genfit ou encore Hybrigenics, aujourd’hui cotées en bourse, ont par exemple été créées à partir de technologies de l’Inserm. Plusieurs médicaments ont vu le jour dont le célèbre Tiorfan® indiqué en cas de diarrhée aigüe mais également Ablatherm HIFU® contre le cancer localisé de la prostate ou encore Catena® contre l’ataxie de Friedreich. 


Les enjeux, étape par étape

Évaluation préclinique : les premiers pas du développement

Les études précliniques marquent les premiers pas du développement d’un médicament. Elles apportent les données préliminaires sur le comportement d’une molécule dans des cellules mises en culture et au sein d’organismes animaux vivants.

Lors de son évaluation préclinique, la molécule d’intérêt est testée sur trois espèces différentes, dont un rongeur. Les données étudiées sont d’ordre pharmacologique, pharmacocinétique et toxicologique : mécanisme d’action, vitesse de diffusion dans l’organisme, distribution de la molécule dans les tissus, dose active, mode de transformation et d’élimination par l’organisme, devenir du composé et impact environnemental, toxicité... Toutes ces données sont obligatoires pour constituer le dossier de demande de commercialisation. En outre, cette étape permet d’estimer la dose à administrer chez l’homme, à partir de la dose sans effet toxique chez l’animal convertie en équivalent-homme. 

De gros efforts ont été entrepris depuis les années 80 pour limiter le recours aux animaux et améliorer leurs conditions de traitement. Entre 1984 et 1999, le nombre d’animaux utilisés pour le développement de médicaments a diminué de moitié et reste stable depuis. De nouveaux modèles de cellules en culture, ou encore des programmes informatiques de simulations d’effets thérapeutiques sur des cibles données, permettront de réduire encore le recours aux animaux dans les années à venir ou de renoncer à certaines pratiques invasives. Néanmoins, l’expérimentation animale sur des organismes vivants et entiers reste incontournable avant de passer chez l’homme.

Pour en savoir plus sur les recherches conduites sur des modèles animaux

Évaluation clinique chez l’homme : sécurité et efficacité

L’évaluation clinique d’un candidat médicament marque le début de son expérimentation chez l’homme. L’objectif est d’évaluer la sécurité du médicament et son efficacité chez des volontaires sains ou malades. Le médicament pourra arriver sur le marché si sa balance bénéfice/risque est positive, c’est-à-dire si son bénéfice pour la santé est supérieur à ses inconvénients potentiels. 

L’évaluation clinique repose sur trois phases : 

  • La phase I est menée sur une vingtaine de volontaires, sains ou malades en fonction de la molécule évaluée. Il s’agit de la tester pour la première fois chez l’homme afin d’observer son évolution dans l’organisme en fonction du temps (cinétique) et d’évaluer sa toxicité. Pour cela les volontaires sont en général hébergés pendant quelques jours dans un centre spécialisé afin de subir une batterie d’examens permettant de vérifier de très nombreux paramètres cardiaques, respiratoires, sanguins…
  • La phase II se déroule chez des volontaires malades. L’objectif est de déterminer la dose minimale efficace du médicament et ses éventuels effets indésirables. Une première étape permet de déterminer la dose minimale efficace pour laquelle les effets indésirables sont inobservables ou minimes. Une seconde phase consiste à administrer cette dose à 100 à 300 malades, si possible pour rechercher un bénéfice thérapeutique.
  • La phase III est la phase finale avant la mise sur le marché. Elle permet d’évaluer l’efficacité du médicament sur une cohorte de patients plus importante : de quelques centaines en cas de cancer, à des milliers pour des maladies très fréquentes comme l’hypertension. Les volontaires sont le plus souvent répartis en deux groupes afin de comparer l’efficacité du candidat médicament à un traitement de référence (s’il en existe un) ou à un placébo. Cette phase dure souvent plusieurs années, le temps de recruter les patients et de suivre l’évolution de leur état de santé.

Une phase IV existe après la mise sur le marché. Elle permet de suivre l’utilisation du médicament à long terme dans des conditions réelles d’utilisation afin de détecter des effets indésirables rares, des complications tardives ou encore des biais de prescription. (Voir plus loin) 


Participer à un essai clinique

Toute personne, malade ou non, peut être sollicitée pour participer à une recherche biomédicale lors d’une consultation médicale, par voie d’affichage ou même par petite annonce. Chacun peut également se porter volontaire en prenant contact avec son médecin, une association de patient ou encore des structures dédiées telles que les centres d’investigation clinique (CIC) de l’Inserm. 

Pour en savoir plus consultez la page Être volontaire à un essai clinique


Le droit et l’éthique au cœur des essais thérapeutique

Le développement d’un nouveau médicament répond à un cadre législatif et réglementaire précisément défini. Ce dispositif s’appuie sur une réflexion éthique approfondie visant à protéger la personne participant à un essai clinique. L’intérêt des personnes prime toujours sur ceux de la science et de la société. 

Pour démarrer un essai clinique doit recevoir : 

  • l’avis favorable d’un comité consultatif de protection des personnes (CPP)
  • une autorisation de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM)

Les recherches doivent être menées sous la direction d’un médecin compétent et expert dans le domaine concerné par la recherche. Il doit 

  • informer la personne sollicitée
  • recueillir son consentement éclairé par écrit

Pour en savoir plus, consultez notre page : Les essais cliniques

L’autorisation de mise sur le marché (AMM) : feu vert pour la commercialisation

Un laboratoire qui souhaite commercialiser un médicament doit déposer une demande d’autorisation de mise sur le marché auprès d’une agence du médicament. Elle repose sur un dossier d’évaluation établi à partir des données précliniques et cliniques issues des précédentes phases de développement. 

Pour chaque médicament, l’agence du médicament : 

  • examine les propositions d’indication de traitement
  • vérifie l’efficacité et la sécurité de la molécule active et du produit fini

Une partie qualité renseigne sur la fabrication industrielle du médicament : la production des matières premières, du produit fini, et les procédures de contrôle garantissant une parfaite reproductibilité du procédé de fabrication. Une partie sécurité compile les données de pharmacologie, toxicologie et pharmacocinétique issues des essais précliniques et cliniques. La partie efficacité correspond à l’ensemble des résultats des essais menés chez l’Homme qui permettent de définir les conditions exactes d’utilisation du médicament et d’établir son rapport bénéfice / risque. 

Il faut compter minimum un an entre le dépôt du dossier d’enregistrement et l’obtention de l’AMM.


Le cas spécial de l’Autorisation temporaire d’utilisation

Dans certains cas exceptionnels, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé peut délivrer une autorisation temporaire d’utilisation (ATU) nominative, en attendant l’examen du dossier d’AMM. Cela concerne des médicaments destinés à soigner des pathologies graves, sans alternative thérapeutique, pour lesquels les besoins sont cruciaux. Le médicament peut alors être délivré par un médecin spécialiste à l’hôpital si l’état de santé du patient l’exige en attendant son arrivée officielle sur le marché. 


L’autorisation de mise sur le marché atteste que le rapport bénéfice/risque, tel que rapporté dans le dossier d’AMM, est satisfaisant, indépendamment de toute considération économique (coût du médicament pour la collectivité notamment). 


A chacun son agence du médicament

En France, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) s’est substituée en 2012 à l’Agence française de sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé (Afssaps). Il s’agit d’un établissement public sous la tutelle du Ministère chargé de la santé et financé par l’Etat (131 Millions d’euros pour 2012). Au niveau de l’Union européenne, c’est l’European Medicines Agency (EMA). Aux Etats-Unis, c’est la Food and Drug Administration (FDA).
Il existe certaines différences concernant les données à fournir entre les différentes agences, mais de nombreuses parties du dossier d’AMM sont aujourd’hui harmonisées à l’international pour permettre une soumission rapide aux différentes agences de santé et faciliter l’examen des dossiers. 

Au niveau européen, dans le cadre d’une procédure centralisée, les sociétés pharmaceutiques soumettent une demande de commercialisation à l’EMA. Une fois accordée par la Commission européenne, cette autorisation est valide dans tous les États membres l’Union Européenne, ainsi que dans l’Espace économique européen (EEE), l’Islande, le Liechtenstein et la Norvège. 


Les médicaments hors prescription ou non remboursés sont vendus à un prix libre fixé par le laboratoire et commercialisés dès l’obtention de leur AMM. Pour les médicaments qui font l’objet d’une demande de remboursement, une nouvelle bataille s’engage !

Le remboursement et le prix négocié des médicaments de ville sous prescription

Le remboursement et le prix d’un médicament dépend de son niveau de service médical rendu et d’une « note » d’amélioration du service médical rendu attribués par la Commission de transparence de la Haute autorité de santé.

Le niveau de service médical rendu (SMR) tient compte de l’efficacité du médicament et de ses effets indésirables, de sa place dans la stratégie thérapeutique, de la gravité de l’affection à laquelle il est destiné, du caractère préventif, curatif ou symptomatique du traitement et de son intérêt pour la santé publique. Le taux de remboursement accordé par l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (UNCAM) est corrélé au niveau de SMR.

Niveau de service médical rendu (SMR) et taux de prise en chargeSMR insuffisant : prise en charge = 0% SMR faible : prise en charge = 15% SMR modéré : prise en charge = 30%SMR important : prise en charge = 65%

Pour les trois niveaux de SMR important, modéré et faible, la décision d’inscription du médicament sur la liste des spécialités pharmaceutiques remboursables est prise par le Ministre chargé de la santé et l’inscription est accordée pour cinq ans. 

La « note » d’amélioration du service médical rendu (ASMR), attribuée en fonction du bénéfice apporté pour les malades par rapport aux thérapies existantes, sert de base de négociation du prix de vente du médicament. Ce prix dépendra également des tarifs des médicaments à même visée thérapeutique, des volumes de ventes prévus, des conditions prévisibles et réelles d’utilisation. Le prix fait l’objet d’une négociation entre le laboratoire qui le commercialise et le Comité économique des produits de santé qui dépend du Ministère de la santé. Il est fixé pour cinq ans. 

Pour être vendu à l’hôpital, les médicaments doivent être inscrits sur la liste des spécialités pharmaceutiques agréés à l’usage des collectivités et divers services publics. Le prix des médicaments vendus aux hôpitaux sont libres depuis 1987. 

Pas de relâche après la mise sur le marché

Une fois son autorisation de mise sur le marché (AMM) en poche et son prix de vente fixé, le médicament peut commencer sa vie. Mais il n’a pas pour autant la paix ! Le suivi post-AMM est obligatoire et se fait grâce à la pharmacovigilance et la pharmaco-épidémiologie, réalisées par les laboratoires pharmaceutiques eux-mêmes ou par des organismes de recherche comme l’Inserm. 

En cas d’effet indésirable suspecté d’être dû à un médicament, médecins, patients et associations agréées de patients peuvent faire une notification spontanée auprès de leur centre régional de pharmacovigilance. Ce dispositif permet de mieux connaître la tolérance du médicament en situation réelle, mais il sous-estime probablement la prévalence de ces événements car un patient ou un médecin n’associe pas forcément un symptôme ressenti au médicament. 

Dans certaines situations, par exemple pour une nouvelle thérapie, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) et des produits de santé demande le plus souvent une étude post-AMM ciblée au laboratoire, pour évaluer l’impact du traitement sur une population particulière. Dans ce cas, le laboratoire peut solliciter directement des médecins prescripteurs pour participer à cette étude, des centres d’investigations clinique, des équipes de recherche de l’Inserm, ou encore des sous-traitants spécialisés dans les études cliniques (les Clinical Research Organization – CRO). 

Par ailleurs, la pharmaco-épidémiologie tente d’évaluer l’efficacité et la sécurité d’un médicament dans la « vraie vie ». En situation réelle, par rapport à la population incluse dans les essais cliniques, la population qui prend le médicament est plus large, plus diversifiée, plus à risque (tabac, alcool…), prend parfois plusieurs médicaments, est moins respectueuse des posologies... A ce titre, des équipes de pharmaco-épidémiologie comme celle de l’Inserm s’efforcent d’étudier :

  • comment les médicaments sont réellement utilisés (doses, durée, indications…)
  • quel est leur bénéfice thérapeutique réel sur toute la population éligible (diminution des symptômes, des rechutes, des hospitalisations…)
  • quels sont les effets indésirables à l’échelle d’un individu ou d’une population

A partir de l’étude de cohortes, de données de remboursement de l’Assurance maladie ou encore de modèles statistiques, les chercheurs parviennent par exemple à travailler sur le risque de démence en cas de prise de benzodiazépine chez les personnes âgées ou encore sur le risque de résistances bactériennes vis-à-vis de certains antibiotiques.

Enfin, l’ANSM réévalue régulièrement les AMM des médicaments disponibles en France, avec une priorité donnée à ceux qui présentent un danger potentiel : effet indésirable inattendu, détournement d’usage, risque pour une population donnée. 

James ou le roman d’un médicament – film d’animation pédagogique – 4 min – 2010

Quand les génériques prennent le relai

Dès qu’un organisme ou un laboratoire identifie une molécule prometteuse, il dépose un brevet qui protège sa trouvaille pendant 20 ans. Mais compte tenu de la durée du développement clinique et des procédures administratives pour commercialiser un médicament, la durée de protection du médicament se trouve réduite à peau de chagrin, ne dépassant pas 8 à 10 ans après l’autorisation de mise sur le marché (AMM). Pour compenser ces années perdues, un certificat complémentaire de protection est parfois délivré pour une durée de cinq ans. Au final, la commercialisation d’un médicament princeps exclusif est donc garantie pendant 10 à 15 ans après sa mise sur le marché. Les données administratives du dossier d’AMM tombent quant à elles dans le domaine public huit ans après l’obtention de l’AMM : cela permet à des laboratoires de génériques de préparer leur copie en vue d’une commercialisation ultérieure, dès la chute du brevet du princeps. 

Le médicament générique est une copie du médicament original, mais pas nécessairement une copie stricte. Il doit : 

  • avoir la même composition qualitative et quantitative en principes actifs,
  • avoir la même forme pharmaceutique que la spécialité de référence (gélule, comprimé, sirop…)
  • démontrer la bioéquivalence avec cette dernière, c’est à dire la même biodisponibilité (vitesse et quantité de principe actif libéré dans l’organisme)

Aucune obligation juridique ou technique n’exige une identité de la composition en excipients entre la spécialité générique et la spécialité de référence. 

Le laboratoire à l’origine de la production d’un médicament générique fait une demande d’AMM auprès d’une agence du médicament et procure un dossier permettant de garantir la reproductibilité industrielle et la bioéquivalence du médicament par rapport à l’original. Il peut s’agir d’une demande centralisée auprès de l’agence européenne du médicament (obligatoire pour certains types de médicaments) ou d’une procédure de reconnaissance mutuelle, comme pour les médicaments princeps. 

Pour aller plus loin