Grippe

Améliorer les moyens de lutte contre une maladie pas si banale

La grippe est une maladie virale très courante. Souvent bénigne, elle peut cependant entraîner des complications graves, voire un décès, chez les personnes âgées ou fragiles. L’épidémie saisonnière touche des millions de personnes chaque hiver.

De nombreux aspects de la maladie restent encore à explorer, concernant tant les mécanismes moléculaires de fonctionnement du virus que la réponse immunitaire des patients. Les chercheurs veulent aussi développer des vaccins plus efficaces et durables qu’aujourd’hui.

Dossier réalisé en collaboration avec Bruno Lina, responsable de l’équipe « VIRPATH : Influenza, de l’émergence au contrôle », Centre international de recherche en infectiologie (unité Inserm 1111 – CIRI), Lyon

Comprendre la grippe

Chaque hiver, plusieurs millions de personnes contractent la grippe en France. Cette maladie contagieuse, affectant les voies respiratoires, résulte d’une infection par un Influenzavirus.

Après une incubation d’un à trois jours, une forte fièvre – dépassant parfois les 39°C – apparaît brusquement. Elle est accompagnée d’une toux sèche, de maux de tête, de douleurs musculaires et articulaires, et d’une fatigue générale. Si la plupart des malades guérissent spontanément en une à deux semaines, la grippe peut se compliquer et entraîner une hospitalisation, voire un décès. 

Ces formes graves concernent les nourrissons et, surtout, les adultes de plus de 65 ans. Les personnes souffrant d’une maladie chronique, ou immunodéprimées, courent également un risque. Parmi les complications les plus fréquentes : 

L’OMS relève chaque année de 3 à 5 millions de cas graves de grippe dans le monde, entraînant de 250 000 à 500 000 décès. 


Ne confondons pas !

Une grippe n’est ni un rhume, ni une rhinopharyngite. En hiver, de nombreux virus respiratoires circulent : rhinovirus, coronavirus... Moins pathogènes qu’Influenzavirus, ils déclenchent toutefois des symptômes rappelant ceux de la grippe : toux, fièvre, « nez qui coule », fatigue... Ces maladies bénignes et très fréquentes – en moyenne 4 à 5 épisodes par personne chaque hiver – sont souvent considérées à tort comme des grippes. 


La grippe, une menace imprévisible – Documentaire – 14 min 02 – Film produit par l’OMS (2015) 

Chaque année, une vaste épidémie

Débutant en général fin décembre, l’épidémie dure de 4 à 12 semaines et touche de 2 à 8 millions de personnes en France. Les personnes âgées représentent l’immense majorité (90%) des cas mortels. En entraînant un arrêt de travail de 4 à 5 jours chez les personnes actives touchées, l’épidémie saisonnière peut désorganiser la vie économique et sociale. 

La grippe sévit toute l’année dans la zone intertropicale. Mais pourquoi survient-elle en l’hiver dans les zones tempérées ? Les spécialistes évoquent une combinaison de facteurs comportementaux et physiologiques liés au froid. D’une part, tout le monde tend à se regrouper à l’intérieur des bâtiments, où la promiscuité favorise la propagation du virus. D’autre part l’air froid, et souvent sec, fragilise muqueuse nasale, facilitant ainsi la pénétration des virus. Enfin, il semble que le virus lui-même résiste mieux à l’air froid que chaud. 

Le virus passe très facilement d’une personne à l’autre, véhiculé par les gouttelettes projetées par les malades toussant ou éternuant. Les lieux confinés et très fréquentés (métro, bus, écoles, entreprises…) sont donc propices à sa transmission. Le virus se retrouve également sur les mains des personnes infectées qui le déposent sur les poignées de portes, le linge de toilette, les jouets... D’où la nécessité de se laver très souvent les mains en période d’épidémie (voir le tableau des précautions). Les sujets atteints deviennent contagieux un jour avant l’apparition des premiers symptômes et le peuvent le rester pendant une semaine. 


Que faire en période d’épidémie ?

  • limiter, voire éviter, les contacts entre les personnes grippées et leur entourage, surtout pour les personnes à risque. Eviter d’emmener les nourrissons dans les lieux publics.
  • éviter de serrer les mains ou d’embrasser pour dire bonjour
  • se couvrir la bouche ou le nez à chaque toux ou éternuement. Porter un masque si vous êtes grippés.
  • utiliser des mouchoirs en papier à usage unique et les jeter dans une poubelle fermée
  • se laver les mains régulièrement : après chaque sortie, avant de cuisiner ou de manger, après s’être mouché, avoir éternué ou toussé en mettant sa main devant la bouche

Une maladie sous haute surveillance

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) surveille la grippe depuis 1952. Il s’agit d’une part d’identifier les souches virales circulantes, d’autre part de suivre la progression de l’épidémie et ses conséquences en termes de cas graves et de mortalité. Cinq centres mondiaux, situés à Atlanta, Londres, Melbourne, Pékin et Tokyo, collectent les informations provenant de 134 centres nationaux. 

En France, la surveillance est coordonnée par Santé publique France qui s’appuie sur divers réseaux. Côté « médecine de ville », le réseau Sentinelles rassemble plus de 1 300 médecins généralistes, volontaires, répartis sur le territoire. Ce réseau animé par l’équipe Surveillance et modélisation des maladies transmissibles de l’Institut Pierre Louis d’épidémiologie et de santé publique (Unité 1136 Inserm/Université Pierre et Marie Curie), assure la surveillance de 7 maladies, dont la grippe. 

Les réseaux de surveillance de la grippe en France

GrippeNet : Participez à la surveillance et à la recherche sur la grippe

GrippeNet.fr a pour objectif de recueillir des données épidémiologiques sur les syndromes grippaux directement auprès de la population française, grâce à Internet. Lancée en janvier 2012, cette étude a été mise en place par le réseau Sentinelles (unité mixte de recherche Inserm – Sorbonne université) et Santé publique France. Les données recueillies sont utilisées à des fins de recherche, pour mieux comprendre la grippe et étudier : 

  • les facteurs de risque liés à la maladie
  • sa diffusion à l’échelle française et européenne
  • l’impact de la vaccination
  • ou encore le comportement de la population vis-à-vis de la maladie (en particulier le recours au soin).

GrippeNet.fr permet en outre de suivre l’évolution de l’épidémie : les données recueillies grâce à cette étude complètent les systèmes de surveillance traditionnels de la grippe, alimentés par des informations collectées dans les cabinets de médecins libéraux et les hôpitaux. GrippeNet.fr apporte notamment des informations relatives aux personnes qui ne consultent pas de services de santé lorsqu’elles sont atteintes par un syndrome grippal. 

Pour participer, rendez-vous sur www.grippenet.fr. Seule une adresse email est requise.

Présentation de GrippeNet.fr – animation – 2 min 24 


Portrait du coupable

Trois genres d’Influenzavirus, appelés A, B et C, infectent l’espèce humaine. Des Influenzavirus A circulent également chez les oiseaux aquatiques (dont les canards), les poulets, les porcs ou les chevaux, alors que les Influenzavirus B sont propres à l’homme. L’Influenzavirus C, rarement détecté, ne provoque que des infections bénignes. 

Ces virus à ARN portent deux protéines antigénique sur leur surface : l’hémagglutinine (H) et la neuraminidase (N) (voir infographie). Les virus A, seuls à déclencher des graves pandémies, sont classés en sous-types selon les variantes de H (de 1 à 18) et de N (de 1 à 11) présentes à leur surface. Les virus B sont simplement divisés en deux lignées : Yamagata et Victoria. 

Le virus de la grippe
Représentation du virus de la grippe, Influenzavirus A

Extrêmement instables, les Influenzavirus mutent en permanence, conduisant à l’émergence de nouvelles souches. Ces virus inédits peuvent déjouer les défenses immunitaires, qui sont dirigées contre les souches déjà circulantes. Tous les ans, les souches humaines subissent ainsi au moins un glissement génétique, c’est-à-dire une modification mineure. Quelques fois par siècle, le matériel génétique du virus subit une véritable cassure. Il en résulte une nouveauté majeure qui peut entraîner des pandémies ravageuses (voir encadré). Il arrive aussi, exceptionnellement, qu’un virus A émerge d’un réservoir animal et infecte l’homme. C’est ce qui s’est produit en 2004 avec un virus H5N1 (grippe aviaire) et en 2009 avec un virus H1N1 combinant des éléments porcins, aviaires et humains. 


Des pandémies dévastatrices

Le 20e siècle a connu trois pandémies grippales majeures : 

  • la grippe espagnole de 1918 (virus H1N1) a fait des dizaines de millions de morts
  • a grippe asiatique de 1957 (virus H2N2) a fait environ 2 millions de morts
  • la grippe de Hong Kong de 1968 (virus H3N2) a fait un million de morts dont 40 000 en France.

Les moyens de lutte

Un traitement symptomatique

La grippe guérissant en général spontanément, son traitement consiste à soulager les symptômes. Il repose sur l’hydratation et des médicaments contre la fièvre, les douleurs et la toux. En cas de forme grave, ou pour les personnes à risque de complication, le médecin peut prescrire un traitement spécifique à base d’antiviraux comme l’oseltamivir (Tamiflu ®) ou le zanamivir (Relenza ®). Ils doivent être administrés dans les deux premiers jours des symptômes. Les antibiotiques, qui tuent les bactéries, sont inutiles contre une maladie virale comme la grippe. 

Le vaccin, base de la prévention

Chaque année, un nouveau vaccin est élaboré à partir des trois souches virales les plus courantes lors de l’épidémie saisonnière précédente. L’immunité est établie deux à trois semaines après l’injection : mieux vaut donc agir dès que le vaccin est disponible, soit en octobre dans l’hémisphère nord. La vaccination diminue d’environ 80% la morbidité chez les adultes en bonne santé. Un peu moins efficace (environ 60%) chez les personnes âgées, elle abaisse tout de même la mortalité de 70 à 80% dans cette population fragile. La variabilité du virus implique un renouvellement annuel de la vaccination. 

Constitué de particules virales inactivées (dépourvues d’ARN), le vaccin ne peut en aucun cas donner la grippe. 


La vaccination antigrippale : pour qui ?

L’assurance maladie prend en charge la vaccination d’environ 10 millions de personnes à risque, soit : 

  • les adultes de plus de 65 ans
  • les personnes atteintes de certaines maladies de longue durée
  • les personnes atteintes d’asthme ou de broncho-pneumopathie chronique
  • les femmes enceintes
  • les personnes immunodéprimées
  • les personnes obèses (indice de masse corporelle supérieur à 40 kg/m2)
  • les personnes séjournant dans un établissement de santé

De manière plus générale, les professionnels de santé, les personnes en contact régulier avec des sujets à risque, l’entourage familial des nourrissons, le personnel navigant des bateaux de croisière et des avions et les accompagnateurs de groupes ont tout intérêt à se faire vacciner. 


Pour en savoir plus sur les vaccins et la vaccination

Un vaccin efficace contre la grippe... vraiment ? – interview – 3 min 26 – vidéo extraite de la série Canal détox (2019)

Les enjeux de la recherche

Nos outils de lutte actuels ne suffisent pas à éliminer le problème de santé lié à la grippe. Nous avons un vrai besoin de connaissances dans tous les domaines.

Bruno Lina, Centre international de recherche en infectiologie de Lyon (CIRI, unité Inserm 1111).

Mieux comprendre le virus…

En ce qui concerne le virus lui-même, les chercheurs du CIRI étudient notamment son mode de variation génétique, ainsi que les très complexes mécanismes de réassortiment. Autrement dit ce qui permet, de temps en temps, à un virus animal de diffuser chez l’homme. 

Plusieurs équipes, en particulier à Grenoble, explorent au niveau moléculaire toutes les étapes de l’infection : interaction des protéines virales avec les composants de la cellule infectée, sortie des ARN viraux de la capside (l’enveloppe) du virus et leur migration dans la cellule, fonctionnement de la polymérase (une enzyme clé de la multiplication des génome viraux), reconstitution de nouvelles particules virales (bourgeonnement), coopération entre les protéines de surface du virus... Autant de cibles potentielles pour de nouveaux médicaments antiviraux. 

Par ailleurs, le virus de la grippe et certaines bactéries pathogènes peuvent coopérer et renforcer ainsi leur pouvoir pathogène respectif. Si l’on sait comment cela se passe pour le pneumocoque (Streptococcus pneumoniae), il reste à explorer la coopération d’Influenza avec les staphylocoques dorés (Staphylococcus aureus) ou le streptocoque A . 

… et pourquoi nous ne sommes pas tous égaux face à la grippe

Du côté des patients, l’infectiogénomique explore les gènes pour comprendre pourquoi certaines personnes, et pas d’autres, développent des formes graves de grippe. Il semble qu’une déficience de la réponse immunitaire innée soit impliquée (Centre d’immunologie et des maladies infectieuses – CIMI – unité Inserm 1135, Centre d’infection et d’immunité de Lille – CIIL – unité Inserm 1019). D’autres mécanismes immunologiques, ainsi que l’équilibre entre le microbiote (l’ensemble des microorganismes peuplant la lumière intestinale) et l’infection virale, font également l’objet de travaux.

Vers un vaccin universel

Enfin, plusieurs équipes dans le monde, en particulier celles de Yoshihiro Kawaoka (Tokyo) et d’Adolfo Garcia-Sastre (New-York), cherchent à créer un vaccin universel qui s’affranchirait de la variation du virus et pourrait donc n’être injecté que tous les cinq ans, par exemple. Pour cela, il faut réussir à rendre immunogènes les zones non variables du virus, en particulier certaines sections de l’hémagglutinine d’ores et déjà identifiées. Ce projet pourrait prendre encore une décennie. 

En attendant, plusieurs laboratoires (notamment au CIRI et au CIMI) veulent créer des vaccins combinés, induisant des réponses immunitaires à la fois humorale (comme aujourd’hui) et cellulaire. Leur efficacité dépasserait celle du vaccin actuel. Les sciences humaines et sociales ont aussi leur mot à dire, par exemple pour mieux comprendre et surmonter les réticences à la vaccination. 

Pour aller plus loin