Dépression

Mieux la comprendre pour la guérir durablement

Le trouble dépressif caractérisé touche tous les âges de la vie. Il concerne environ 15 à 20 % de la population générale, sur la vie entière. Il se présente comme une succession d’épisodes dépressifs caractérisés, se traduisant par de nombreux symptômes − parmi lesquels la tristesse pathologique, la perte de plaisir et les symptômes cognitifs −, avec un retentissement majeur sur la vie du patient et de son entourage. S’ils se pérennisent, les symptômes liés à la dépression vont avoir des répercussions importantes sur le plan socioprofessionnel. Le risque de suicide est particulièrement élevé et concerne 10 à 20 % de ces patients.

L’association de traitements biologiques (les médicaments antidépresseurs en première intention) et de traitements psychothérapiques bien conduits permet de soigner efficacement le trouble dépressif caractérisé et d’éviter la survenue de nouveaux épisodes dépressifs.

Les chercheurs tentent de comprendre pourquoi certaines personnes sont plus vulnérables que d’autres à la dépression. Au fur et à mesure de leurs découvertes sur les mécanismes de la maladie et des avancées neurobiologiques et épidémiologiques, de nouvelles pistes thérapeutiques se profilent.

Dossier réalisé en collaboration avec Alain Gardier et Emmanuelle Corruble, CESP (équipe Moods, unité 1178 Inserm), Université Paris-Saclay, Faculté de pharmacie de Chatenay-Malabry, Faculté de médecine Paris Sud, Mood Center Paris Saclay, Service hospitalo-universitaire de psychiatrie de l’Hôpital Bicêtre, AP-HP. 

Comprendre la dépression

« Dépression » (au sens trouble dépressif caractérisé) et « déprime » sont deux concepts qui sont trop souvent confondus, alors qu’ils distinguent deux réalités différentes. En effet, la déprime correspond à un moment de blues, de tristesse, de découragement, de manque d’entrain… La dépression est par définition associée à un dysfonctionnement social et à une souffrance personnelle majeurs, qui peut avoir des conséquences parfois lourdes en termes de fonctionnement social, de santé et même de décès, le risque de passage de suicide étant particulièrement élevé. Il est donc indispensable de diagnostiquer et de prendre en charge efficacement les épisodes dépressifs caractérisés. 

Une diversité de symptômes mais des critères diagnostiques précis

La dépression peut être caractérisée par : 

  • Une humeur dépressive, le plus souvent caractérisée par une tristesse pathologique quasi-permanente et intense, une anxiété marquée et parfois une indifférence affective. Cette humeur dépressive est associée à une douleur morale profonde, une perte de l’estime de soi et un pessimisme majeur, parfois associé à des idées de culpabilité inappropriées.
  • Une perte de l’élan vital, c’est-à-dire une perte d’intérêt et du plaisir à l’égard des activités quotidiennes, même celles qui étaient habituellement plaisantes (anhédonie).
  • Le sentiment que la vie ne vaut pas la peine d’être vécue, des idées de mort ou de suicide récurrentes, parfois des projets suicidaires, signant un risque suicidaire majeur.
  • Un sentiment d’angoisse quasi-permanent, notamment au réveil, qui peut favoriser le passage à l’acte.
  • Un ralentissement psychomoteur, observable par une modification de la marche, de la voix, des gestes, de l’initiative et de la fluidité idéiques.
  • Une fatigue (asthénie), souvent plus marquée le matin.
  • Une perte d’appétit, souvent associée à une perte de poids.
  • Des troubles du sommeil, avec souvent une insomnie en deuxième partie de nuit et un réveil matinal précoce.
  • Des troubles de l’attention, de la concentration et de la mémoire chez la plupart des malades.

Le diagnostic est posé lorsqu’une personne présente une humeur dépressive ou une perte de l’élan vital, associée à au moins quatre autres des symptômes décrits ci-dessus, tous les jours depuis au moins deux semaines, et ce en présence d’un retentissement des symptômes et d’une souffrance associée. L’intensité de l’épisode est le plus souvent associée au nombre de symptômes présents. Des échelles d’autoévaluation (évaluation par le patient lui-même) ou d’hétéro-évaluation (par le médecin) permettent d’évaluer plus précisément la sévérité de ces symptômes : échelle de dépression de Hamilton (HDRS), échelle de dépression de Montgomery et Asberg (MADRS)...

Une des difficultés dans le diagnostic de la dépression tient à la diversité de ses formes cliniques : la nature des symptômes prédominants varie d’un patient à l’autre. Par exemple, les dépressions mélancoliques sont caractérisées par une intensité sévère, de nombreux symptômes somatiques, mais également un sentiment de culpabilité, d’indignité et d’auto-accusation ainsi que par un risque suicidaire élevé, nécessitant une prise en charge immédiate. Dans d’autres cas, la dépression est masquée par des symptômes physiques – on parle alors de dépression masquée – ou encore par une irritabilité ou une hostilité – on parle alors de dépression hostile.

Le trouble dépressif caractérisé ne doit pas confondu avec le trouble bipolaire, dans lequel les épisodes dépressifs alternent avec des épisodes maniaques (excitation psychique et motrice, exaltation de l’humeur, euphorie, désinhibition, mégalomanie). 

Enfin, la dépression est souvent associée à d’autres troubles psychiatriques, comme les troubles anxieux ou les troubles addictifs, ainsi qu’à des maladies physiques. 

Une maladie aux multiples retentissements 

… sur l‘entourage

Il est parfois difficile de faire la différence entre une déprime et un authentique épisode dépressif caractérisé. Il n’y a pas d’épisode dépressif caractérisé sans retentissement sur l’entourage : la dépression constitue une charge psychologique importante pour les proches aidants du malade et engendre souvent des conséquences au niveau du fonctionnement familial. Les aidants peuvent avoir le sentiment d’un manque d’action et de réaction de la part de la personne déprimée, d’une volonté insuffisante de sa part à vouloir changer les choses… Ils tendent à vouloir la raisonner alors que sa pathologie ne lui permet justement pas de réagir. 

... sur la santé somatique

Sur le plan somatique, la dépression conduit fréquemment à négliger sa santé et à adopter une mauvaise hygiène de vie, avec notamment une consommation plus fréquente d’alcool ou de substances psychoactives (dont les médicaments). 

Par ailleurs, il n’est pas rare que les personnes déprimées présentent des maladies somatiques. La première cause de décès des personnes déprimées est cardiovasculaire. La dépression pourrait de plus concerner jusqu’à 40% des personnes souffrant de maladie chronique : diabète, cancer, fibromyalgie ou encore alcoolisme, état de stress post-traumatique, troubles du comportement alimentaire… La dépression altère le pronostic de ces patients. 

….sur le risque suicidaire

Mais le risque le plus redouté dans la maladie dépressive est celui lié aux idées et au passage à l’acte suicidaire : en réponse à ses idées suicidaires, le sujet malade peut envisager la mort comme la seule issue possible à ses difficultés. On estime que le risque de suicide est multiplié par 30 au cours de l’épisode dépressif et que 10 à 20% des personnes souffrant de cette maladie meurent par suicide. 

… en termes de coût pour la société

La dépression est globalement associée à une qualité de vie médiocre dont les répercussions globales sont également coûteuses : L’OMS estime que le trouble dépressif caractérisé sera en 2020 au premier rang de l’ensemble des maladies en termes de dépenses globales, directes et indirectes pour la société. 

Une maladie transgénérationnelle

On estime que près d’une personne sur cinq a souffert ou souffrira d’une dépression au cours de sa vie. Et selon le Baromètre Santé 2017, une personne sur dix âgée de 18–75 ans déclarait avoir vécu un épisode dépressif au cours des 12 derniers mois. 

La dépression peut toucher n’importe quelle catégorie de la population : adultes, personnes âgées et enfants. Selon cette enquête, la prévalence de la dépression au cours des douze derniers mois était comprise entre 11,2 et 11,4% pour les 15–44 ans, puis diminuait progressivement avec l’âge pour atteindre 8,4 % des personnes parmi les 55–64 ans et 5,5 % parmi celles âgées de 65–75 ans. Ces chiffres sont en augmentation depuis 2010, notamment dans les catégories de la population où les chiffres étaient déjà parmi les plus élevés, comme les femmes, les personnes de 35–44 ans et les chômeurs. 

Quel que soit l’âge auquel elle se manifeste, le diagnostic du trouble dépressif caractérisé repose sur les critères rappelés précédemment. Mais la dépression peut aussi être suspectée devant des signes d’appel spécifiques à la personne ou à son âge : ainsi, elle peut être associée à une anxiété inhabituelle, au développement de comportements violents ou d’une phobie scolaire chez l’enfant ou l’adolescent. L’adolescent peut aussi adopter des comportements et des consommations à risque. Chez le sujet âgé, en revanche, la dépression favorise le repli sur soi, l’expression de plaintes physiques et le refus de l’aide d’un tiers. 

Genre et santé, attention aux clichés ! Dépression – animation pédagogique – 1 min 22 (2017)

Baby blues et dépression périnatale

La grossesse et les mois suivant la naissance d’un enfant constituent une période au cours de laquelle les bouleversements émotionnels et hormonaux peuvent favoriser l’apparition d’une dépression. Ses manifestations sont souvent, à tort, attribuée à la fatigue. 

L’anxiété, les pleurs, le sentiment d’incapacité, de culpabilité ou d’indignité, associés à une importante variation de l’ascenseur émotionnel, la souffrance et le retentissement des symptômes sont caractéristiques de la dépression périnatale, notamment après la naissance. 

Ce qu’on appelle le baby blues est fréquent dès le 3e jour suivant l’accouchement, mais il est bref, fluctuant et se résout par lui-même dans les 10 à 15 jours suivant la naissance. Il ne saurait être confondu avec une véritable dépression du post-partum qui peut altérer la relation précoce entre la mère et son enfant, voire menacer la bonne santé, la sécurité, voire la vie du nourrisson (en cas de difficultés à s’intéresser à l’enfant ou à s’en occuper) ou de la mère (risque suicidaire). Une prise en charge rapide et efficace s’impose.


Origine de la pathologie : des facteurs de risque ...

Des situations et des événements de la vie (un décès, une perte d’emploi, une séparation…) sont associés à un risque accru de dépression. C’est aussi le cas de traumatismes précoces, notamment affectifs ou sexuels, survenus au cours l’enfance. Néanmoins, toutes les personnes exposées à ce type d’événements ne développent pas la maladie. De plus, certaines personnes font une dépression sans facteur déclenchant apparent : on parle alors de dépression endogène. Cette disparité suggère une susceptibilité individuelle à la dépression.

La vulnérabilité génétique est soutenue par certaines données épidémiologiques : on sait par exemple qu’un individu a deux à quatre fois plus de risque de présenter un trouble dépressif caractérisé au cours de sa vie lorsque l’un de ses parents a des antécédents de trouble dépressif. L’implication de formes particulières de gènes codant pour le transporteur de la sérotonine (un neurotransmetteur) ou pour un facteur essentiel à la prolifération, la différenciation et la survie des neurones (le BDNF pour Brain-Derived Neurotrophic Factor) a ainsi été identifiée. Néanmoins, l’impact de ces gènes reste limité, la maladie dépressive étant d’origine plurifactorielle. Plus que la présence de particularités génétiques en tant que telles, c’est l’influence de l’environnement sur leur expression qui est incriminée. On parle d’interactions entre gènes et environnement. Des travaux ont par exemple montré que certaines personnes qui développent davantage de dépressions et d’idées suicidaires après des stress précoces (menaces, abandon, violences, abus pendant l’enfance) ont des « versions courtes » du gène codant pour le transporteur à la sérotonine. 

...aux facteurs neurobiologiques

Les neurones communiquent entre eux grâce à des molécules nommées neurotransmetteurs. Un défaut de la neurotransmission médiée par la sérotonine, la noradrénaline et la dopamine (neurotransmission monoaminergique) a longtemps été avancé comme constituant le mécanisme fondamental à l’origine de la maladie dépressive. En réalité, il ne suffit pas à lui seul pour expliquer la maladie. 

Depuis, le rôle d’autres neurotransmetteurs a été identifié : la balance entre glutamate et GABA a notamment été décrite comme déterminante. En effet, celle-ci influence la sécrétion du BDNF qui est un facteur essentiel à la prolifération, la différenciation et la survie des neurones. Le déséquilibre de la balance glutamate/GABA serait à l’origine d’une altération de la neuroplasticité chez le patient déprimé, avec une incapacité par rapport aux personnes non malades à former de nouveaux neurones, notamment au niveau de l’hippocampe.

Un déficit dans la régulation du système de réponse au stress chronique, dépendant de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien, serait un mécanisme complémentaire mais étroitement associé au précédent : en effet, l’altération de la réponse au stress conduit à une sécrétion anormalement élevée de cortisol (l’hormone du stress) chez certains patients. Ce phénomène neurotoxique peut favoriser une désorganisation, voire une dégénérescence neuronale dans l’hippocampe. Or, il a été décrit que l’augmentation de la sécrétion de cortisol avait aussi un effet inhibiteur sur la production du BDNF. 


Les rechutes, principal facteur de risque à moyen et long terme

En l’absence de prise en charge, un épisode dépressif caractérisé peut se résoudre spontanément en 6 à 12 mois dans certains cas. Mais les épisodes dépressifs caractérisés isolés sont rares : ils sont récidivants chez 80% des patients. Ainsi, la dépression est une maladie pour laquelle les risques de rechute (au cours du traitement), de récidive (après une rémission) et de chronicité sont élevés. La qualité de la prise en charge – nature des traitements mis en œuvre et observance – est déterminante pour le pronostic de trouble dépressif caractérisé. 


Des traitements efficaces dans près de 70 % des cas

Si l’origine neurobiologique de la maladie n’est toujours pas bien comprise, des traitements médicamenteux efficaces existent et permettent d’améliorer, voire de guérir, une majorité des épisodes dépressifs caractérisés. Il est donc important que la prise en charge du premier épisode dépressif et des suivants soit correctement menée. L’objectif du traitement de la dépression est : 

  • la réduction des symptômes et de leurs conséquences fonctionnelles
  • la prévention de rechutes et récidives ultérieures

Si un épisode récidive lors d’un premier traitement (médicament et/ou psychothérapie), les alternatives possibles sont l’adaptation pharmacologique (modification de la posologie, modification de l’antidépresseur, association d’un autre antidépresseur), la mise en place d’une approche de psychothérapie longue (type TCC) ou, dans certains cas, le recours à d’autres traitements biologiques comme la stimulation magnétique transcrânienne (r‑TMS) ou l’électroconvulsivothérapie (ECT).

Les antidépresseurs

Plusieurs classes thérapeutiques d’antidépresseurs existent : les imipraminiques, premiers à avoir été commercialisés, les IMAO, puis les antidépresseurs ciblant les neurones à sérotonine et/ou noradrénaline et/ou dopamine (ISRS, IRSN et autres antidépresseurs). Le choix entre ces différentes familles de molécules dépend du profil du patient, de ses symptômes, de ses pathologies associées, de la tolérance et de la maniabilité du médicament, ainsi que des antidépresseurs préalablement reçus. 

La phase d’attaque du traitement consiste à prendre ces médicaments régulièrement pendant 6 à 12 semaines pour traiter la phase aiguë de la dépression. Leur efficacité n’est pas immédiate : l’amélioration des symptômes s’observe le plus souvent après un minimum de 2 à 4 semaines de traitement. Le traitement doit être prolongé par une phase de consolidation de 4 à 9 mois visant à maintenir le bénéfice et réduire le risque de rechute. Au total, le traitement d’un premier épisode doit durer au minimum 1 an. Les épisodes dépressifs sont d’autant plus difficiles à soigner que les épisodes précédents ont été nombreux. Lorsqu’un patient a présenté au moins deux épisodes dépressifs antérieurs, surtout s’ils ont été sévères, le traitement du nouvel épisode doit se prolonger par une phase d’entretien de plusieurs années visant à éviter la survenue d’un nouvel épisode. 

De manière générale, après 8 semaines d’un traitement médicamenteux bien conduit, un tiers des patients présentent une rémission complète des symptômes, un tiers des patients présentent une rémission partielle et un tiers ne répondent pas du tout au traitement. 

La psychothérapie

La psychothérapie est recommandée pour le traitement de tous les épisodes dépressifs caractérisés, en association avec les médicaments antidépresseurs. 

L’électroconvulsivothérapie ou sismothérapie

La méthode, communément appelée « électrochocs » souffre d’une image négative liée aux anciennes pratiques. Elle est pourtant utile, sans risque lorsqu’elle est pratiquée dans les règles de l’art et efficace dans 90 à 95% des cas des épisodes dépressifs particulièrement sévères et/ou résistants.

Un courant électrique est appliqué via deux électrodes placées au niveau des tempes du patient, sous anesthésie générale. L’objectif est de provoquer une crise similaire à une crise d’épilepsie généralisée d’une durée de 30 secondes environ. De 9 à 12 séances, réparties sur 4 à 6 semaines, sont menées. Parfois un traitement d’entretien est nécessaire, avec environ une séance par mois. 

La stimulation magnétique transcrânienne

Comme l’électroconvulsivothérapie, la stimulation magnétique transcrânienne (rTMS) est une alternative thérapeutique possible pour les personnes souffrant de dépression. Comme la sismothérapie, la rTMS favoriserait l’activation du cortex préfrontal, la neurotransmission dopaminergique et inhiberait certaines régions impliquées dans la régulation de l’humeur. Elle pourrait aussi avoir des propriétés neurotrophiques et neuroplastiques. Elle ne nécessite pas d’anesthésie générale. Mais son efficacité est inconstante. 

La kétamine

La kétamine, est une molécule utilisée en anesthésie depuis plusieurs décennies. A faible dose, elle possède une activité antidépressive rapide et persistante pendant quelques jours. Cet effet serait dû à une augmentation de la plasticité synaptique (synaptogenèse) agissant sur le cortex médian préfrontal. La kétamine est utilisée dans le traitement des patients résistants aux traitements antidépresseurs classiques et/ou avec un risque suicidaire particulièrement élevé. Étant associée à des effets indésirables dans les toutes premières heures suivant l’administration (hallucinations, effets dissociatifs, troubles cardiovasculaires…), son utilisation doit être réalisée en milieu hospitalier sous surveillance médicale. 

Les enjeux de la recherche

Sur le plan thérapeutique, des recherches cliniques sont menées autour de mécanismes d’action déjà identifiés : c’est notamment le cas de médicaments expérimentaux ciblant la voie du GABA, ainsi que d’autres molécules voisines de la kétamine. Les premières données issues des essais cliniques conduits jusqu’à présent sont encourageantes. Elles pourraient aboutir à une nouvelle offre de médicaments antidépresseurs dans les prochaines années. 

Parallèlement, les chercheurs tentent toujours de mieux comprendre la dépression, notamment au regard des les données cliniques montrant des typologies de patients et des réponses aux traitements actuels très disparates. Plusieurs nouvelles voies émergent, dont certaines sont particulièrement prometteuses. Elles pourraient mettre en évidence de nouveaux mécanismes et aboutir à l’identification de nouvelles cibles thérapeutiques. A terme, il est possible d’imaginer de mieux cibler les traitements en fonction des profils individuels et des profils cliniques. 

Dépression et olfaction

L’olfaction et ses déterminants constituent une piste intéressante : sur le plan physiologique, le système olfactif est un lieu de neurogenèse qui interagit directement avec l’hippocampe, une région du cerveau jouant un rôle essentiel dans la neurogenèse. De plus, l’imagerie cérébrale montre un lien très fort entre l’activation des structures cérébrales impliquées dans la perception des émotions comme l’amygdale et celles liées à l’olfaction.

Cette relation étroite existe en clinique : on observe une réciprocité entre dépression et olfaction, les patients déprimés ayant fréquemment une olfaction altérée tandis que les personnes développant des troubles olfactifs souffrent fréquemment de symptômes dépressifs. L’heure est à la compréhension fine des interactions entre les deux systèmes, afin d’envisager des pistes d’action thérapeutiques. 

Dépression et inflammation

Le rôle de l’inflammation dans la dépression est renforcé par plusieurs données récentes : l’imagerie cérébrale (IRM) a permis de décrire une corrélation entre la diminution du volume de matière grise corticale et une augmentation de la concentration plasmatique de certains médiateurs de l’inflammation (interleukines) chez des patients déprimés. La protéine‑C réactive (CRP), pro-inflammatoire, a également été décrite comme étant un marqueur précoce du risque d’épisode dépressif caractérisé. 

Ces éléments soutiennent l’importance de l’inflammation chronique et de l’activation du système immunitaire dans le développement et la progression de la pathologie. Elles perturberaient le métabolisme d’un acide aminé essentiel à partir duquel la sérotonine est synthétisée : le L‑tryptophane (Trp). L’inflammation périphérique favoriserait la libération d’une enzyme dégradant le Trp par différentes cellules du système immunitaire (macrophages, lymphocytes, cellules dendritiques), ce qui conduirait à une réduction de la synthèse de la sérotonine. D’ailleurs, des essais cliniques ont pu montrer l’amélioration des symptômes dépressifs après traitement anti-inflammatoires. 

Dépression et microbiote intestinal

La dépression ne serait pas une maladie uniquement liée au système nerveux central : elle pourrait également avoir une origine périphérique. Voilà plusieurs années en effet que l’impact du microbiote intestinal est évoqué dans plusieurs maladies systémiques et, plus récemment, dans certains troubles mentaux. Il est possible que les voies de communication entre le microbiote intestinal et le système nerveux central (SNC) impliquent le système nerveux autonome (SNA), les systèmes entérique, neuroendocrinien et immunitaire. De nombreuses données expérimentales et cliniques confirment ainsi que la composition du microbiote est différente entre les personnes atteintes par certaines pathologies psychiatriques (autisme, schizophrénie…) et celles qui n’en souffrent pas. 

Les données précliniques actuelles suggèrent qu’une perturbation du microbiote intestinal (dysbiose intestinale) pourrait favoriser la survenue de troubles anxieux ou dépressifs. Une équipe Inserm (Moods, Université Paris-Saclay) a décrit que le microbiote des patients déprimés présente un profil différent de celui de sujets contrôles et que les antidépresseurs modifient la composition du microbiote. Le microbiote pourrait aussi constituer un facteur prédictif de réponse aux antidépresseurs. Des essais cliniques préliminaires de transplantation de microbiote fécal sont en cours. 

D’autres voies à explorer

L’implication des neurostéroïdes ou des endocannabinoïdes est aussi à l’étude. Des modifications des concentrations périphériques de certains neurostéroïdes (DHEA, alloprégnanolone…) ou d’endocannabinoïdes (anandamine, 2‑AG) ont en effet été observées chez les patients déprimés. 

Vers la personnalisation des traitements

Les chercheurs tentent par ailleurs d’identifier des marqueurs de réponse aux traitements qui permettraient de choisir d’emblée la bonne stratégie thérapeutique pour chaque patient. Des travaux ont par exemple montré qu’une hypoactivité du cortex insulaire (impliqué dans la réponse émotionnelle) est associée à de bonnes chances de rémission par thérapie cognitive mais à une faible réponse aux antidépresseurs. A l’inverse, si cette région corticale est hyperactive, les antidépresseurs donneront de meilleurs résultats que la thérapie cognitivo-comportementale. L’activité des récepteurs à la sérotonine pourrait, elle aussi, constituer un marqueur de réponse aux traitements : les chances de rémission sont en effet plus élevées si ce récepteur fixe fortement la sérotonine au niveau cérébral, ce qui est variable selon les patients. De tels travaux peuvent améliorer l’évolution vers personnalisation de la prise en charge de la dépression. 

Devant la variabilité interindividuelle de la réponse aux antidépresseurs, des explorations ont été menées afin d’identifier les gènes dont le polymorphisme peut influencer la pharmacocinétique des médicaments et, ainsi, l’efficacité de ces médicaments. Les gènes codant pour des protéines responsables du métabolisme, du transport ou des cibles moléculaires des antidépresseurs sont pour l’heure les plus étudiés et les mieux décrits. Cette approche, dite de pharmacogénétique, commence à être utilisée en pratique clinique, même si elle reste pour l’heure réservée à certains centres experts comme le service de psychiatrie de l’hôpital Bicêtre et le Mood Center Paris Saclay : elle permet de personnaliser le traitement en adaptant le choix de la molécule et sa posologie au profil pharmacogénétique du patient. 

L’identification de marqueurs de vulnérabilité permettant de prédire une rechute après un premier épisode dépressif constitue enfin un autre champ de recherche. Pour les découvrir, les chercheurs mesurent les concentrations de différents marqueurs associés à la dépression au moment du diagnostic, lors du suivi, puis après rémission. De tels travaux ont ainsi pu montrer que l’augmentation du taux cérébral de monoamine oxydase (impliquée dans la dégradation de la sérotonine, noradrénaline et de la dopamine) est associé à celle du risque de rechute. Des taux élevés de cortisol après traitement par antidépresseur seraient aussi associés à un risque plus élevé de récidive dans les deux à trois années suivantes. Des travaux similaires sont actuellement menés sur certains récepteurs de la sérotonine. 


Développement des Mood Centers en France

Grâce à une approche intégrée, transversale et pluridisciplinaire de la maladie, les Mood Centers anglo-saxons constituent un dispositif efficace de prise en charge de la dépression. Le service hospitalo-universitaire de psychiatrie et d’addictologie de Bicêtre est le premier centre à avoir engagé cette mutation en France, avec la volonté de créer un réseau national offrant la même approche. 


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