Fonctionnement du muscle : le puzzle se met en place

Une équipe parisienne* vient, dans le cadre d’une collaboration internationale, de montrer comment les noyaux cellulaires se répartissent dans la fibre musculaire. Un pas de plus pour comprendre comment fonctionne le muscle et, dans le futur, mieux appréhender ses maladies

« Nous voulons comprendre ce qui se passe pendant la formation de la cellule musculaire, et finalement comment fonctionne le muscle. » Rien de moins. Depuis une décennie, les équipes de Bruno Cadot, à l’Institut de Myologie de Paris et d’Edgar Gomes, à Lisbonne, explorent ce mécanisme complexe. Or le tissu musculaire présente deux particularités : d’une part, au lieu de cellules bien individualisées, il est constitué de longues fibres résultant chacune de la fusion de nombreuses cellules primordiales, les myoblastes. Les noyaux issus de ces derniers se répartissent uniformément le long de la paroi de la fibre. Des maladies comme certaines dystrophies musculaires se caractérisent ainsi, entre autres, par une mauvaise répartition spatiale des noyaux, qui ont tendance à s’agglomérer. D’autre part, « on sait depuis les années 1980 que, dans le muscle, le cytosquelette,responsable de la forme et des mouvements des cellules, est organisé à partir de l’enveloppe nucléaire, au lieu d’être ancré à un centrosome comme dans toutes les autres cellules » explique le chercheur. 

La migration des noyaux

Marquage de la myosine dans une culture différenciée de myotubes humains, à partir d'une biopsie d'un jeune homme sain.
Marquage de la myosine dans une culture différenciée de myotubes humains, à partir d’une biopsie d’un jeune homme sain. © Inserm/UMRS 974

L’équipe parisienne vient précisément de montrer comment les microtubules, les « câbles » formant l’ossature du cytosquelette, s’ancrent à l’enveloppe nucléaire lors de la différenciation des myoblastes en fibres. Plus précisément, les chercheurs ont observé le phénomène dans des myotubes, qui représentent un stade intermédiaire. Ils résultent en effet de la fusion de myoblastes mais n’ont pas encore acquis la capacité de contraction de la fibre musculaire. 

Utilisant entre autres une technique nouvelle appelée BioID, développée par un partenaire de Singapour, les chercheurs ont identifié les partenaires d’une protéine spécifique de la cellule musculaire : Nesprine-1α. Intégrée à l’enveloppe nucléaire, elle recrute différentes protéines du centrosome, et se lie en particulier à Akap450. C’est cette dernière qui ancre les microtubules. 

Restait à savoir quel rôle joue ce phénomène dans la répartition des noyaux. L’équipe a alors fait appel à la simulation numérique, utilisant un système développé par un autre partenaire, à Heidelberg. » Nous avons pusimuler les mouvements des noyaux à l’intérieur des cellules en jouant sur tous les paramètres, et vérifier notre hypothèse : l’ancrage des microtubules à l’enveloppe nucléaire, via la Nesprine et Akap450, est indispensable à la répartition correcte des noyaux » explique Bruno Cadot. Un résultat numérique confirmé ensuite sur la paillasse par des méthodes de biologie cellulaire. 

Encore loin de la clinique

Disposant de cellules musculaire d’un patient atteint de dystrophie musculaire due à une mutation dans le gène de Nesprin-1a, les chercheurs ont constaté une répartition anormale des noyaux. « Cela suggère, encore une fois, que le positionnement des noyaux est important pour la fonction musculaire » souligne Bruno Cadot. A ce stade, le laboratoire ne cherche pas toutefois des cibles thérapeutiques, mais s’applique à comprendre, pièce par pièce, la différenciation et le fonctionnement du muscle. 

L’équipe a ainsi montré il y a quelques années comment une kinésine agit comme le « moteur » du mouvement nucléaire le long des microtubules. Dans un autre article, elle vient de détailler comment les noyaux migrent vers la paroi de la fibre musculaire. « La prochaine étape est de comprendre la disparition du centrosome lors de la différenciation de la cellule musculaire. C’est important car ce sont précisément les protéines du centrosome désagrégé qui vont se fixer à l’enveloppe nucléaire et ancrer les microtubules » annonce le chercheur. De telles recherches, bien qu’encore très fondamentales, pourraient toutefois suggérer des voies pour la compréhension, non seulement de maladies musculaires, mais aussi de certains cancers dont les cellules présentent également un centrosome désorganisé.

Note

*unité 974 Inserm/UPMC/AIM, Centre de recherche en myologie, Paris

Source

P. Gimpel et coll. Nesprin-1a-Dependent Microtubule Nucleation from the Nuclear Envelope via Akap450 is Necessary for Nuclear Positioning in Muscle Cells. Current Biology du 27 septembre 2017