Construction du système nerveux : des forces mécaniques en action

Au cours du développement du système nerveux, les signaux moléculaires ne seraient pas les seuls à permettre aux neurones d’allonger leurs axones et de créer des connections avec d’autres cellules nerveuses. Des forces mécaniques, jusqu’ici méconnues, peuvent aussi jouer un rôle déterminant.

Classiquement, il est admis que l’axone d’un neurone se forme en émergeant d’un corps cellulaire statique, puis en naviguant vers sa cible en réponse à des molécules de guidage. En souhaitant visualiser ce processus in vivo, une équipe de l’Institut de biologie Paris-Seine* a découvert l’existence d’un autre mécanisme : des forces mécaniques externes appliquées sur le neurone entraînent le déplacement passif du corps cellulaire, allongeant ainsi son axone.

C’est en s’intéressant au développement des neurones sensoriels olfactifs du poisson zèbre que l’équipe Morphogenèse du cerveau des vertébrés, dirigée par Sylvie Schneider-Maunoury, a mis en évidence ce mécanisme original. Au cours du développement, ces neurones doivent en effet mettre en place des connections avec le cerveau. Marie Bréau, qui a conduit ces travaux, précise : « Le poisson-zèbre est idéal pour filmer en temps réel la dynamique du développement, car les embryons sont transparents et se développent hors de la mère. De plus, il est facile de les modifier pour leur faire exprimer des protéines fluorescentes observables par microscopie confocale ». 

Après avoir filmé le tissu nerveux sur une dizaine d’heures au total, les chercheurs ont observé que les axones olfactifs s’allongent par le déplacement des corps cellulaires : ceux-ci s’éloignent de l’extrémité de leur axone, qui reste quant à elle fixe, ancrée à la surface du cerveau. Un phénomène qui diffère du mode classique d’élongation axonale ! 

Croissance axonale canonique et circuits olfactif du poisson-zèbre © Marie Bréau
© Marie Bréau

Un processus passif qui implique des forces externes

Pour mieux comprendre comment se produit le mouvement des corps cellulaires, les chercheurs ont analysé le rôle des composants du cytosquelette des neurones, connus pour contrôler la migration de ces cellules dans d’autres contextes. Ils ont alors constaté que le déplacement des corps cellulaires ne dépend pas du cytosquelette intracellulaire : c’est un processus passif, qui ne nécessite pas de moteur interne. Cela suggère que des forces mécaniques externes aux neurones poussent ou tirent les corps cellulaires, les obligeant ainsi à s’éloigner de leurs terminaisons axonales. 

Les chercheurs ont donc caractérisé les forces mécaniques en présence : « La carte des tensions mécaniques que nous avons obtenue renforce l’idée que des contraintes de traction ou de compression s’exercent sur les corps cellulaires et sont à l’origine de leurs mouvements » explique la scientifique. Reste désormais à déterminer d’où proviennent ces forces : des neurones avoisinants ? des tissus adjacents ? C’est l’objectif des prochains travaux. « Nous souhaitons aussi comprendre comment ces forces mécaniques se traduisent en réponse moléculaire à l’intérieur des neurones, et notamment comment l’axone, sous leur impact, recrute le matériel nécessaire à son élongation ».

Le système étudié ici pourrait également aider à comprendre comment les axones s’allongent au cours de la croissance de l’organisme, une fois les connections nerveuses établies. S’agit-il là aussi d’une extension des axones en réponse à des contraintes mécaniques ? Mais loin d’être uniquement fondamentale, cette découverte pourrait aussi contribuer à des progrès techniques pour la réparation tissulaire : « Aujourd’hui, le succès des méthodes d’ingénierie qui visent à réparer le système nerveux reste limité. À terme, nos travaux pourraient aider à mettre au point de nouvelles approches d’ingénierie tissulaire dédiées à la réparation du cerveau et de la moelle épinière, exploitant la réponse des neurones aux forces mécaniques » conclue Marie Bréau. 

Note

* unité 1156 Inserm/CNRS/UPMC, Institut de biologie Paris-Seine, équipe Morphogénèse du cerveau des vertébrés 

Source

MA Breau et al. Extrinsic mechanical forces mediate retrograde axon extension in a developing neuronal circuit. Nature Communications, 17 août 2017