Troubles cognitifs : peut-on prévenir leur évolution vers la démence ?

Rares sont les études à avoir recruté autant de sujets pour un essai de prévention en population âgée. Mais, malgré ses 1 680 participants, l’essai MAPT n’a pas pu montrer qu’une intervention complexe, associée à une supplémentation en oméga‑3, améliorait la cinétique d’évolution des troubles cognitifs. Un échec ? Pas vraiment. Tout serait une question de temps, et de profils…

Parce qu’il n’existe pas encore de traitement curatif , le développement d’approches préventives de la maladie d’Alzheimer suscite un véritable intérêt. La prophylaxie idéale reposerait sur une approche globale, utilisant si nécessaire des traitements dont la balance bénéfice-risque est très élevée. Elle pourrait ainsi être proposée à une large frange de la population vieillissante exprimant des plaintes concernant leur mémoire, que celles-ci constituent ou non les prémisses d’une démence à venir. 

Dans ce but, le CHU de Toulouse a lancé en 2008 une étude clinique d’envergure exceptionnelle, incluant 1 680 personnes de plus de 70 ans, recrutées dans 13 centres français. Son objectif était d’associer plusieurs types d’interventions (supplémentation en oméga‑3, exercices cognitifs, exercice physique…) et d’étudier leurs effets sur les fonctions cognitives. L’idée étant que leur efficacité soit potentialisée dans une approche combinée maintenue durant trois ans. 

Répondeurs à géométrie variable

Baptisée MAPT (pour Multidomain Alzheimer Preventive Trial), l’étude est dirigée par Bruno Vellas (CHU Toulouse). Les patients recrutés devaient présenter une plainte mnésique ou une fragilité sur le plan fonctionnel. Ils ont été répartis aléatoirement entre 4 groupes afin de tester différentes interventions : 

  • la prise quotidienne de gélules d’acides gras oméga‑3,
  • le suivi d’un programme d’intervention multidomaine associé à des gélules de placebo,
  • le même programme associé à la supplémentation en oméga‑3,
  • la prise de gélules placebo seule.

Comme l’explique Sandrine Andrieu*, qui a participé à la conception de l’étude : « L’intervention multi-domaine était constituée de séances de 2 heures durant lesquelles les participants réalisaient des exercices cognitifs de mémoire et de raisonnement. Ensuite, ils participaient à une séance au cours de laquelle on leur montrait des activités physiques qu’ils pouvaient ensuite reproduire chez eux, avec pour objectif de les inciter à augmenter leur activité quotidienne. Enfin, ils recevaient des conseils nutritionnels ». Ces séances avaient lieu deux fois par semaine durant le premier mois, une fois par semaine durant le deuxième puis une fois par mois jusqu’à la fin des trois années de suivi. 

A l’issue de l’étude, les résultats sont mitigés : si l’analyse séparée des trois interventions n’a pas montré la supériorité d’une des approches par rapport au placebo, les résultats se sont avérés encourageants si l’on regroupe les données des deux groupes ayant reçu l’intervention multidomaine. Mais, insiste Sandrine Andrieu, « cela indique que l’intervention proposée n’a pas démontrée une efficacité significative auprès de la population recrutée, avec l’intensité et la durée qui avaient été définies dans le protocole. Cela ne veut pas dire que les résultats seraient identiques si l’on modifiait un paramètre comme le profil de la population ou la durée de suivi. D’ailleurs, plusieurs analyses en sous-groupes que nous avons conduites parallèlement laissent penser que la prise en charge combinée pourrait être bénéfique à certains ». En effet, les personnes qui présentaient un risque majoré de développer une maladie d’Alzheimer et celles qui présentaient des plaques amyloïdes au PET-scan (qui constituent un marqueur de la maladie) ont été les plus sensibles à ces interventions. 

Un bénéfice difficile à prouver

« De nouveaux essais pourraient se focaliser sur ces différents groupes de sujets. Il faut dire aussi que la population qui a participé à notre étude avait un niveau d’éducation et une activité cognitive habituelle supérieurs à la moyenne des français. Cela peut laisser penser que le bénéfice apporté par les exercices cognitifs a été inférieur à ce qu’il aurait pu être dans un groupe plus représentatif de la population générale. Ou qu’il faut plus de temps pour en tirer un bénéfice ». Toutes ces hypothèses doivent être testées. 

Les participants à l’étude ont été suivis deux années supplémentaires, et une nouvelle analyse des données à 5 ans est d’ores et déjà planifiée. Quant aux nouveaux essais à mettre en place, ils vont faire l’objet d’une prochaine discussion entre les équipes impliqués dans l’essai MAPT. Car les chercheurs ont été confrontés à une importante difficulté dans ce travail : comment décrire l’efficacité du traitement préventif ? « On comprend bien qu’il est plus facile de montrer la disparition d’un symptôme qui existe chez tous les sujets inclus dans un essai sous l’effet d’un traitement symptomatique, que de démontrer le retard d’apparition d’un symptôme chez quelques sujets seulement. D’autant plus que la grande majorité des sujets inclus n’exprimeront pas de troubles pendant la durée d’observation de l’étude. C’est pour cela qu’il est bien souvent difficile de reproduire des données expérimentales ou épidémiologiques dans des essais cliniques de prévention. Nous devons maintenant réfléchir à des approches méthodologiques moins souvent utilisées, mais qui seraient plus adaptées et pertinentes... »

Note :

* unité 1027 Inserm/Université Paul Sabatier, Epidémiologie et analyses en santé publique, Toulouse 

Source :

S Andrieu et coll. Effect of long-term omega 3 polyunsaturated fatty acid supplementation with or withoutmultidomain intervention on cognitive function in elderly adults with memory complaints (MAPT): arandomised, placebo-controlled trial. The Lancet Neurology. 2017 ; 16(5): 377–389. https://doi.org/10.1016/S1474-4422(17)30040–6