La phagothérapie fait ses preuves contre la pneumonie

Des souris souffrant d’une pneumonie grave, d’origine bactérienne, ont été sauvées par l’inhalation d’un bactériophage, un virus sélectionné pour détruire spécifiquement la bactérie responsable de l’infection. L’équipe Inserm qui a mené ses travaux se réjouit du succès et envisage de tester cette stratégie chez l’homme dès que possible.

Des virus viendront-ils bientôt au secours des patients atteints de pneumonie ? C’est bien possible à en croire les résultats de travaux précliniques menés par une équipe Inserm*. Les chercheurs ont en effet testé cette approche avec succès, chez des souris souffrant d’une infection pulmonaire grave causée par la bactérie E. coli. Les animaux ont été traités avec des bactériophages – des virus qui infectent des bactéries, s’y reproduisent et entraînent leur destruction- spécifiques de la souche bactérienne à l’origine de leur infection pulmonaire. 

Cette approche est appelée phagothérapie. Elle est très ancienne, mais elle a été abandonnée dans les années 40, suite à l’arrivée des antibiotiques. Seuls des pays de l’ex union soviétique l’utilisent encore. Toutefois, dans ces pays, la phagothérapie est pratiquée de façon empirique, sans que les résultats de travaux rigoureux n’aient été publiés. Un travail de validation de la méthode reste donc à faire pour que la phagothérapie puisse être envisagée comme une alternative sérieuse à l’antibiothérapie, notamment en Europe et aux Etats-Unis. 

Des besoins réels

electron micrograph of bacteriophages medium
© Dr Graham Beards Electron micrograph of Bacteriophages 

A l’hôpital Louis Mourier de Colombes (92), Jean-Damien Ricard est parfois confronté à des infections nosocomiales impliquant la bactérie E. coli, qui entraînent des pneumonies sévères chez des patients sous assistance respiratoire avec sonde d’intubation. Dans ces situations, certains antibiotiques sont efficaces… sous réserve que la bactérie y soit sensible. Et avec le problème croissant de l’antibiorésistance, ce n’est plus toujours le cas. C’est pourquoi Jean-Damien Ricard et son équipe ont souhaité tester la phagothérapie dans cette indication précise, afin de trouver une alternative en cas d’échec thérapeutique.

Pour cela, les scientifiques ont recherché des phages spécifiques de la souche bactérienne en question dans des eaux de station d’épuration. « Il existe des dizaines de milliers de phages différents dans l’environnement », rappelle Jean-Damien Ricard. Parmi tous ceux isolés, deux ont été testés, dont un faiblement spécifique au départ mais devenu plus agressif vis-à-vis de la bactérie E. coli suite à une succession de co-cultures. Les chercheurs ont ensuite délibérément infecté des souris par la souche E. coli responsable de pneumonie et les ont divisées en trois groupes : certaines n’ont pas été traitées, servant de témoin, d’autres ont inhalé une dose unique d’un des deux phages, et les dernières ont reçu un antibiotique de référence à forte dose. 

Les phages aussi efficaces que l’antibiotique

Alors que toutes les souris non traitées sont décédées des suites de l’infection, la survie a été de 100% dans les groupes ayant reçu l’antibiotique ou les phages, sans effets indésirables notables dans ce dernier cas. En outre, la vitesse de guérison a été équivalente avec les deux approches thérapeutiques. « Ce bon résultat atteste de l’efficacité des phages à détruire la bactérie in vivo et incite à poursuivre ces travaux », se réjouit Jean-Damien Ricard. 

Le chercheur vient d’ailleurs de déposer une demande de programme hospitalier de recherche clinique (PHRC) afin de lancer une étude de phase I‑II chez l’Homme, vérifier l’innocuité de cette approche et évaluer son potentiel thérapeutique. Il utilisera probablement un cocktail de phages inspiré de celui mis au point par une autre équipe qui teste la phagothérapie dans les infections à E. coli et P. aeruginosa chez les grands brulés (projet Phagoburn, financé par la commission européenne). Ce choix devrait permettre de cibler un plus large spectre de souches pathogènes. 

« La phagothérapie est une approche très intéressante car la diversité naturelle des bactériophages est extraordinaire et permet de cibler de très nombreuses bactéries. Il y a en plus la possibilité d’éduquer un phage peu spécifique, comme nous l’avons fait dans cette étude, pour le rendre plus efficace. Il est donc utile d’investir dans cette direction, et pas uniquement dans la découverte de nouveaux antibiotiques voués tôt ou tard à l’apparition de résistances », conclut Jean-Damien Ricard. 

Note

*unité 1137 Inserm/ Université Paris-Diderot, Sorbonne Paris Cité, Paris 

Source

N. Dufour et coll, Treatment of Highly Virulent Extraintestinal Pathogenic Escherichia coli Pneumonia With Bacteriophages. Crit Care Med, édition en ligne du 23 mars 2014