Particules en suspension et petits poids de naissance : une affaire de doses et de chimie

L’exposition des femmes enceintes aux particules fines est associée à la naissance de bébés de poids inférieurs à 2,5kg, plus vulnérables. Une équipe Inserm montre qu’en plus de la concentration de ces particules, leur nature chimique a une grande importance.

Les concentrations élevées de particules fines en suspension (les PM2,5) sont associées à davantage de petits poids de naissance (inférieurs à 2,5 kg), en particulier lorsque ces particules sont riches en soufre. C’est ce que montre une équipe Inserm* associée au projet européen ESCAPE. Cette vaste étude vise à étudier l’effet des particules polluantes sur la santé, comme les conséquences d’une exposition pendant la grossesse, mais aussi les complications cardiovasculaires et respiratoires ou les cancers induits dans la population générale. 

Un lien connu

L’impact des particules fines présentes dans l’environnement sur le poids des nouveau-nés a été montré lors de précédents travaux conduits par cette équipe d’épidémiologie environnementale, notamment dans le cadre du projet ESCAPE. Les scientifiques estiment qu’en zone urbaine, 10 à 30% des cas de petits poids de naissance pourraient être attribuables à cette pollution, peut être presque autant que le tabac !

Cette fois, les chercheurs ont analysé la composition chimique de ces particules et ont quantifié leur teneur en cuivre, fer, potassium, nickel, soufre, silice, vanadium et zinc, pour savoir si l’effet observé pouvait être attribué à un de ces composants. Des particules en suspension dans les villes de six pays européens (Suède, Danemark, Lituanie, Pays-Bas, Allemagne et Italie) ont été recueillies. Les chercheurs ont mesuré la concentration des particules de diamètre inférieur à 2,5 et à 10 microns, puis analysé leur nature chimique. Des modèles ont ensuite été développés pour prédire les concentrations et la composition chimique des particules fines à l’adresse du domicile de femmes enceintes incluses dans des cohortes épidémiologiques. 

Le soufre montré du doigt

Les particules étudiées proviennent du trafic routier (gaz d’échappement, usure des pneus, des freins), d’autres phénomènes de combustion comme le chauffage, d’activités industrielles et agricoles (avec notamment les produits d’épandage), mais aussi de l’érosion naturelle de la croute terrestre. « Dans les villes de notre étude, la concentration des particules était plus importante au sud de l’Europe qu’au Nord, en raison de différences de densité de la population, du climat, des vents, des sources de pollution. Globalement, au sein d’une même aire géographique, cette concentration dépend le plus souvent de la densité des habitants et de la proximité à certaines sources, résume Rémy Slama, coauteur de ces travaux. En outre, leur composition chimique varie en fonction de leur provenance ».

Les auteurs ont ensuite analysé la relation entre ces données sur les particules et le poids de naissance et le périmètre crânien des enfants nés des cohortes épidémiologiques du consortium ESCAPE, soit 34 923 nouveau-nés au total. Ils ont alors constaté que la présence de particules de diamètre inférieur à 2,5 microns étaient plus nettement associées aux petits poids de naissance que celle de particules de plus grande taille. « Ce résultat est attendu car les petites particules pénètrent plus profondément dans les alvéoles pulmonaires, d’où une fraction d’entre elles va traverser l’épithélium et passer dans la circulation sanguine », rappelle Rémy Slama. Il est en outre apparu que l’effet de cette pollution est variable selon la composition des particules : celles qui contiennent du soufre semblent être les plus délétères. La teneur en soufre indique que la particule a été transportée sur une longue distance, mais la présence de soufre peut aussi être due à des sources locales. « Chaque augmentation de 200 ng/m3 du niveau de particules était associée à une perte moyenne de 40g de poids de naissance des nourrissons, après ajustement sur les facteurs connus pour influencer le poids », clarifie Rémy Slama. 

Des mécanismes à clarifier

Difficile pour l’instant d’expliquer les liens de cause à effet entre la présence de ces particules et la taille des fœtus. « Nous en sommes au stade des hypothèses, explique le chercheur. Nous savons qu’une fraction des particules franchit la barrière pulmonaire. Après, plusieurs types d’effets sont évoqués. Peut-être que ces particules altèrent-elles les échanges au niveau du placenta et réduisent les apports en nutriments et en oxygène pour le fœtus ? Il est aussi possible qu’elles entraînent des modifications épigénétiques et altèrent ainsi l’expression de gènes associés à la croissance ? Enfin, on pourrait aussi penser que ces particules agissent comme des perturbateurs endocriniens, jouant sur les concentrations d’hormones régulant la croissance des fœtus. Une nouvelle cohorte couple-enfants, la cohorte SEPAGES, a été montée à Grenoble pour étudier ces mécanismes et si possible, valider certaines de ces hypothèses ». 

Note

*unité 823 Inserm/Universite Joseph Fourier, Institut Albert Bonniot, La Tronche-Grenoble 

Source

M Pedersen et coll. Elemental Constituents of Particulate Matter and Newborn’s Size in Eight European Cohorts. Environ Health Perspect, édition en ligne du 5 juin 2015