L’obésité modifie les perceptions gustatives

Les souris obèses sont moins sensibles au goût des lipides alimentaires. Cette anomalie pourrait les inciter à une surconsommation pour obtenir une satisfaction gustative. Un cercle vicieux que des chercheurs de l’Inserm tentent de désamorcer.

Les souris obèses détectent moins bien les lipides dans l’alimentation. C’est ce que viennent de montrer des chercheurs de l’Inserm* qui estiment que ce phénomène pourrait contribuer à une augmentation des prises alimentaires pour arriver à un seuil hédonique. 

Chez l’homme comme chez la souris, il existe un système biologique de détection gustative des composants alimentaires, notamment celle des lipides. Il entraine des sensations de plaisir ou de dégoût et contribue à réguler l’envie et la consommation. 

Chez les obèses, ce mécanisme pourrait être déréglé, avec un seuil de détection aux lipides plus élevé. 

En d’autres termes, ces personnes seraient moins sensibles au goût du « gras ». C’est en tout cas ce qui se passe chez la souris. 

Tissus adipeux et appétence pour le gras

Pour le montrer, les chercheurs ont rendu des rongeurs obèses, puis ils les ont soumis à plusieurs expériences comportementales visant à explorer leur préférence spontanée pour les lipides. Ils les ont mis en présence de plusieurs biberons contenant des solutions plus ou moins grasses, pendant 12 heures. Ils ont aussi évalué l’attraction des animaux pour ces boissons en enregistrant le nombre de coups de langues passés sur les différents biberons. Résultat des courses : « Ces animaux présentent une perte de sensibilité aux lipides par rapport à des rongeurs de poids normal. Ils ne semblent pas capables de détecter les faibles concentration lipidiques qui sont censées leur plaire », explique Philippe Besnard, coauteur des travaux. 

Ce phénomène est néanmoins réversible, ce qui sous-entend que l’obésité est bien la cause de cette perte de sensibilité et non l’inverse. « Ces mêmes animaux soumis à une restriction calorique perçoivent de mieux en mieux les lipides. Nous constatons que la taille du tissus adipeux est corrélé à la sensibilité aux lipides », décrit le chercheur. « Nous aimerions maintenant comprendre comment le tissus adipeux agit à distance sur cette perception. Nous suivons la piste hormonale, via la leptine, le GLP1 ou encore l’insuline, toutes impliquées dans le métabolisme énergétique. Mais travaillons également sur la voie de l’inflammation », explique-t-il. 

CD36, médiateur du goût

Les chercheurs ont déjà montré que ce phénomène est lié au dysfonctionnement d’une protéine nommée CD36. Celle-ci lie avec une très grande affinité les acides gras à longue chaine, tels que l’acide linoléique ou l’acide oléique. Elle induit alors une cascade de signalisation calcique dans les cellules des papilles gustatives. « En extrayant certaines de ces cellules, nous avons montré que cette voie de signalisation calcique dépendante du couple CD36/lipides fonctionne moins bien chez le souris obèses, explique le chercheur. Cela révèle une baisse de sensibilité des cellules gustative aux lipides et confirme donc nos observations comportementales ».

Le rôle de cette protéine avait déjà été pointé du doigt par des travaux antérieurs de l’équipe. « Il avait été constaté qu’une baisse du niveau d’expression de CD36, provoquée par manipulation génétique, perturbe la détection des lipides. Cette fois, nous montrons qu’une obésité induite par un régime alimentaire déséquilibré produit le même effet », argumente-t-il. 

« Ces travaux montrent bien que l’obésité interfère avec la perception gustative des lipides. Nous devons maintenant vérifier si cela entraine une modification du comportement avec une augmentation des apports alimentaires. Si c’est le cas et que nous parvenons à en comprendre les mécanismes, il sera alors envisageable d’intervenir de façon thérapeutique ou nutritionnelle pour briser ce cercle vicieux », conclut-il. 

Note :
* Unité 866 Inserm/Université de Bourgogne/AgroSup, Dijon 

Source :
Chevrot et coll. Obesity alters the gustatory perception of lipids in the mouse : plausible involvement of the lingual CD36. J Lipid Res, édition en ligne du 9 juillet 2013