Une nouvelle piste de thérapie génique pour lutter contre le cancer

L’introduction d’un « gène suicide » dans des cellules tumorales a permis d’éradiquer des cancers pulmonaires chez la souris. Les chercheurs tentent maintenant d’adapter cette stratégie anticancéreuse à l’homme.

© Inserm, P. Delapierre Présentation d’un tube où l’on distingue la pelote d’ADN génomique de souris dans une solution de tampon de lyse. Unité de recherche Inserm U916 « Validation et identification de nouvelles cibles en oncologie (Vinco) », Institut Bergonié, Bordeaux.

La thérapie génique est une piste très sérieuse en cancérologie. Une équipe Inserm vient d’apporter une nouvelle pierre à cet édifice grâce à la mise au point d’une nouvelle approche se fondant sur l’utilisation d’un système de « gène suicide » optimisé. Celui-ci permet de transformer une molécule chimique en composés toxiques pour la tumeur. 

Un gène suicide construit « sur mesure »

Les scientifiques à l’origine de ces travaux cherchent depuis plusieurs années comment convertir le plus efficacement possible le cyclophosphamide, une molécule chimique déjà utilisée en cancérologie, en métabolites toxiques pour les cellules cancéreuses. L’objectif est en outre de réaliser cette conversion sur le site même de la tumeur, de manière à préserver les cellules saines de l’organisme de la toxicité du traitement. Aujourd’hui, avec la construction d’un « gène suicide » (dérivé de deux gènes humains) dont le produit effectue spécifiquement cette transformation, ce but semble atteint. 

Pour tester la fonctionnalité de ce nouvel outil, les chercheurs ont introduit le « gène suicide » dans des cellules de cancer pulmonaire, in vitro. Ils ont ensuite injectées ces cellules à des souris, chez lesquelles elles ont conduit à la formation de tumeurs. Lorsque les tumeurs sont devenues assez volumineuses, les chercheurs ont administré aux animaux quatre injections successives de cyclophosphamide (une injection par semaine). Ce traitement a permis l’éradication complète des tumeurs, sans rechute au cours des 7 semaines qui ont suivi l’arrêt du traitement. 

« Grâce à ce gène suicide optimisé, le cyclophosphamide est très efficacement transformé en composés toxiques, et ce dans la tumeur elle-même. Les composés toxiques formés peuvent en outre diffuser passivement à travers les membranes des cellules malignes, de sorte qu’un petit nombre de cellules tumorales contenant le transgène est suffisant pour éliminer la tumeur entière « , explique Isabelle de Waziers*, co-auteur des travaux. 

Une action sur le système immunitaire

Au-delà de ses propriétés toxiques, le cyclophosphamide pourrait en outre avoir une action sur le développement de cellules immunitaires aux propriétés anti-tumorales, comme cela a été montré pour d’autres chimiothérapies. Pour tester cette hypothèse, les chercheurs ont réinjecté des cellules tumorales, cette fois-ci dépourvues de transgène, chez les souris en rémission complète. Chez certaines d’entre elles, la croissance tumorale était ralentie. Chez d’autres, les tumeurs qui s’étaient d’abord développées ont finalement disparu spontanément, sans aucun traitement. Comme si la première phase de traitement en présence du transgène avait « vacciné » les souris contre ce cancer. « Cet aspect est très important car il laisse penser que cette stratégie permettrait non seulement d’éliminer la tumeur primaire mais aussi de protéger le patient contre une rechute ou la survenue de métastases », estime la chercheuse. 

Encore du travail avant de passer chez l’homme

Encouragés par ces résultats positifs, les chercheurs ont déposé un brevet et bénéficient du soutien financier d’une société d’accélération de transfert de technologie, SATT Ile-de-France Innov, pour développer le meilleur moyen d’introduire le transgène dans les tumeurs, in vivo. Deux pistes sont à l’étude : l’injection de vecteurs lentiviraux contenant le transgène directement dans la tumeur, ou l’injection de cellules souches mésenchymateuses contenant le transgène dans la circulation sanguine, ou directement dans la tumeur. Les cellules souches mésenchymateuses ayant une affinité particulière pour les tumeurs, elles s’y nichent spontanément : « Les métabolites toxiques formés dans ces cellules diffuseraient alors dans les cellules tumorales avoisinantes, entraînant leur destruction », précise Isabelle de Waziers. 

Si ces étapes sont franchies avec succès, ces travaux pourraient donner naissance à une nouvelle approche de thérapie génique, associant ce « gène suicide » et le cyclophosphamide, pour traiter tout type de tumeur solide, par exemple des cancers du poumon non à petites cellules, des cancers dont le pronostic reste sombre pour la majorité des patients. 

Note

*unité 1147 Inserm/Université Paris Descartes, Centre Universitaire des Saints Pères, Paris 

Source

W. Touati et coll. A Suicide Gene Therapy Combining the Improvement of Cyclophosphamide Tumor Cytotoxicity and the Development of an Anti-Tumor Immune Response. Curr Gene Ther, édition en ligne du 24 avril 2014