Un nouveau modèle pour étudier le développement placentaire

Une équipe Inserm du Centre de recherche en transplantation et immunologie, à Nantes, a développé un procédé permettant de « reprogrammer » des cellules de la peau pour obtenir celles qui sont à l’origine du placenta : les cellules souches trophoblastiques. En partant de cellules prélevées chez des enfants dont la gestation s’est accompagnée de complications d’origine placentaire, il est donc désormais possible de générer in vitro un mini-placenta et d’y étudier les anomalies associées.

Décrypter certaines causes d’infertilité, ou encore comprendre les anomalies placentaires associées à des maladies comme la pré-éclampsie : le nouveau modèle cellulaire de placenta développé à Nantes, par l’équipe de Laurent David au Centre de recherche en transplantation et immunologie*, en collaboration avec le CHU de Nantes, offre de belles promesses. 

Le placenta, c’est cet organe éphémère qui apparaît juste après la fécondation et accompagne le fœtus dans son développement, jusqu’à la naissance. Il est constitué de cellules issues de l’embryon six jours après la fécondation (stade blastocyste), nommées cellules souches trophoblastiques, ainsi que de cellules maternelles provenant de l’endomètre. Le placenta se développe et se vascularise ensuite progressivement, pour devenir fonctionnel au bout du troisième mois de grossesse environ. Il sert alors au fœtus d’enveloppe protectrice et nutritive, assure sa respiration, son alimentation, sa protection contre les infections ou le système immunitaire maternel, et secrète des facteurs nécessaires à son développement et à sa croissance. Des cas d’infertilité, de fausse couche, de retard de croissance intra-utérin ou encore des complications de la grossesse comme la pré-éclampsie (une augmentation brutale et sévère de la pression artérielle de la femme enceinte) sont imputables à des anomalies du développement placentaire. 

Difficile à étudier faute de matériel

Malheureusement, les connaissances relatives au développement du placenta sont très limitées faute de matériel pour pouvoir l’étudier. Des cellules souches trophoblastiques ont récemment pu être isolées à partir de blastocystes issus de fécondations in vitro qui faisaient l’objet d’un don parental à la recherche, ou encore suite à des avortements au cours du premier trimestre. Mais ce matériel est rare et ne permet pas d’étudier des pathologies placentaires spécifiques puisqu’il est issu d’organismes qui ne présentent a priori pas d’anomalie.

Pour contourner ces problèmes, Laurent David et ses collaborateurs ont recherché de nouvelles sources de cellules souches trophoblastiques et se sont tournés vers la technologie des cellules souches IPS. Il s’agit de cellules capables de se différencier dans tous les types cellulaires qui composent un organisme. Elles sont produites en laboratoire par reprogrammation génétique de cellules différenciées, comme des cellules de la peau (fibroblastes). Chez la souris, les cellules IPS ne permettent pas d’obtenir des cellules trophoblastiques, mais certains indices ont suggéré à l’équipe nantaise que cela était peut-être possible avec des cellules IPS humaines. 

Les chercheurs ont donc prélevé des fibroblastes chez deux adultes volontaires sains et les ont reprogrammés avant de les placer dans un milieu de culture qui avait déjà été utilisé pour cultiver des cellules trophoblastiques issues de blastocystes. C’est ainsi qu’ils sont effectivement parvenus à obtenir de nouvelles cellules souches trophoblastiques qui s’auto-renouvellent indéfiniment : une première ! Ce protocole a également fonctionné en utilisant des lignées de cellules souches embryonnaires ou encore des lignées de cellules IPS issues de biobanques. L’équipe a breveté le procédé avec une équipe australienne qui a travaillé simultanément sur la technique. 

Générer un mini-placenta en laboratoire

Les chercheurs ont vérifié que les cellules obtenues présentaient le profil génétique espéré, avec l’expression des marqueurs spécifiques. Ils ont constaté qu’il s’agissait de cellules semblables à celles attendues huit à dix jours après la fécondation (stade J8-J10). Ils ont aussi confirmé qu’elles pouvaient bien se différencier en deux sous-types cellulaires présents dans le placenta : les syncytiotrophoblastes (ST) et les trophoblastes extravillositaires (EV). Ces derniers peuvent ensuite être cultivés jusqu’à l’obtention spontanée d’un organoïde, un mini-placenta de quelques semaines, fonctionnel. 

« Ce nouvel outil change totalement les possibilités des chercheurs qui travaillent sur l’infertilité et les anomalies placentaires, explique Laurent David. Le premier champ d’application sera l’étude de l’infertilité, en utilisant ce nouveau modèle cellulaire en complément des embryons humains. Dans ce but, nous essayons d’améliorer encore notre procédé afin d’obtenir des cellules souches trophoblastiques à un stade J4-J8, c’est-à-dire avant celui de l’implantation qui a lieu environ 7–8 jours après la fécondation. Nous nous dirigeons également vers la coculture de cellules souches trophoblastiques avec des cellules de l’endomètre, afin d’étudier l’interface foeto-maternelle, poursuit-il. Le second champ sera l’étude des anomalies placentaires qui entraînent des complications pour le fœtus ou la mère au cours de la grossesse : retard de croissance fœtal ou encore pré-éclampsie. » Cette dernière complication pourrait résulter d’interactions anormales entre les cellules du placenta et celles de l’utérus maternel. Les chercheurs pourront maintenant obtenir des cellules souches trophoblastiques pour explorer cette hypothèse. 

Note :
*unité 1064 Inserm/Université de Nantes, Centre de recherche en transplantation et immunologie, Nantes

Source : Gaël Castel et coll. Induction of Human Trophoblast Stem Cells from Somatic Cells and Pluripotent Stem Cells. Cell Rep du 24 novembre 2020. DOI : 10.1016/j.celrep.2020.108419