Malformation de la valve aortique : un mécanisme dévoilé

La malformation de la valve aortique, une anomalie relativement fréquente, peut mener à des pathologies cardiovasculaires. Les mécanismes embryonnaires en jeu et leurs déterminants génétiques restent toutefois mal connus. Une équipe Inserm vient de lever un coin du voile.

Le cœur est équipé de plusieurs valves empêchant le sang de refluer dans la mauvaise direction lors de son cycle de contraction (voir schéma). Lorsque celles-ci ne s’ouvrent et/ou ne se ferment pas correctement, des maladies dites valvulaires peuvent survenir. 

La valve cardiaque située au début de l’aorte (l’artère qui conduit le sang du cœur vers le reste du corps) comporte trois feuillets. Il arrive cependant, chez certaines personnes, qu’elle n’en compte que deux : on parle alors de bicuspidie. « C’est une des malformations congénitales les plus fréquentes, concernant de 0,5 à 1,4 % de la population selon études. Si la majorité des porteurs de bicuspidie vivent normalement, 30% de ces personnes vont développer une dysfonction valvulaire précoce », explique Stéphane Zaffran. 

Anatomie cardiaque
Anatomie cardiaque. Le cœur des mammifères est divisé en quatre chambres : les deux oreillettes et les deux ventricules. La circulation unidirectionnelle du sang est assurée par des valves entre les oreillettes et les ventricules (valves atrioventriculaires : valve mitrale à gauche et valve tricuspide à droite) et des valves entre les ventricules et les gros vaisseaux (valves sigmoïdes : valve aortique à gauche et valve pulmonaire à droite)

A l’hôpital de La Timone, à Marseille, son équipe* explore les mécanismes encore mal connus menant à cette malformation. Elle aborde le problème sous plusieurs angles. D’une part, les chercheurs s’attèlent à la recherche de gènes éventuellement impliqués, en collaboration avec le service de cardiologie adulte de l’hôpital. « Nous avons pu recruter la plus importante cohorte d’Europe : 350 patients porteurs de bicuspidie avérée », précise Stéphane Zaffran. Cette cohorte permet également d’aborder des aspects cliniques et pronostiques de l’anomalie. L’équipe utilise d’autre part des modèles animaux (surtout des souris), ainsi que des méthodes cellulaires in vitro, pour explorer les mécanismes embryonnaires en jeu. C’est à ce deuxième volet qu’appartiennent les résultats publiés dernièrement dans Development.

Des cellules migrantes

Durant le développement de l’embryon, les valves cardiaques se forment à partir de cellules présentes dans le cœur primitif, mais aussi de cellules « migrantes » provenant d’une formation embryonnaire qui donnera naissance au système nerveux : le tube neural. Lors d’un travail précédent, l’équipe avait montré qu’un facteur de transcription présent dans ces cellules neurales, le facteur Krox20, est impliqué dans l’hypertrophie de la valve aortique. Pour comprendre un peu mieux la formation des valves anormales, les chercheurs ont donc utilisé des animaux privés (ou non) du gène de Krox20, ainsi que différentes techniques de marquage cellulaire. Il s’agissait de suivre le destin des cellules lors de la formation des valves. Et de fait, les marquages ont permis d’identifier et de localiser, pour la première fois, une sous population de cellules du tube neural exprimant Krox20, qui migre vers les feuillets des valvules en formation. Plus précisément, ces cellules colonisent la périphérie des feuillets ainsi que l’endroit où ils s’attachent à la paroi artérielle. 

Un mécanisme parmi d’autres

Les analyses ont également montré que, chez les animaux dépourvus de Krox20, les cellules neurales migrent en trop grand nombre vers les feuillets, engendrant une hypertrophie de ces derniers. « Cette hypertrophie provoque l’accolement des feuillets durant l’embryogénèse, jusqu’à produire, dans certains cas, une fusion et donc une bicuspidie », explique Stéphane Zaffran. Le chercheur tient à préciser qu’il s’agit là d’un des mécanismes d’apparition de la bicuspidie, mais qu’il en existe probablement d’autres. D’ailleurs, d’autres équipes ont mis en évidence l’implication de cellules cardiaques dans cette anomalie. 

Ce travail, encore très fondamental, a également été l’occasion de développer un nouveau modèle animal qui servira pour la suite de l’exploration. Il s’agit, entre autres, de comprendre les effets de la bicuspidie sur les flux sanguins, et peut-être d’expliquer ainsi la dégénérescence précoce de ces valves anormales. L’équipe cherche aussi, en alliant recherche fondamentale et suivi de la cohorte de patients, à mieux relier les différentes classes d’anomalie valvulaires aux différentes pathologies connues. 

Note :

*unité 1251 Inserm/Aix-Marseille Université, équipe Génétique et développement des malformations cardiaques, Centre de génétique médicale de Marseille

Source

G. Odelin et coll. Krox20 defines a subpopulation of cardiac neural crest cells contributing to arterial valves and bicuspid aortic valve. Development, (2018) 145, dev151944. doi:10.1242/dev.151944 (édition en ligne du 3 janvier 2018)