Maladies auto-immunes : une vieille énigme pratiquement résolue

Pourquoi les femmes sont-elles plus susceptibles que les hommes aux maladies auto-immunes ? Une équipe de l’Inserm vient de publier une explication. Les œstrogènes, hormones sexuelles féminines, joueraient un rôle prépondérant dans ce phénomène.

Les maladies auto-immunes, comme par exemple la sclérose en plaque, l’arthrite rhumatoïde, la thyroïdite, le lupus ou la myasthénie, résultent d’un dysfonctionnement du système immunitaire qui va alors s’attaquer à l’organisme lui-même. Pour des raisons inconnues jusqu’à présent, les femmes sont plus susceptibles que les hommes d’en être victimes. Au Centre de recherche en myologie* (hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris), une équipe Inserm spécialisée dans la myasthénie a voulu savoir pourquoi. « Nous nous sommes intéressés au thymus, l’organe central de la tolérance du soi. Il est d’ailleurs impliqué dans la myasthénie » explique Sonia Berrih-Aknin, qui dirige cette équipe. 

C’est en effet dans le thymus que les lymphocytes T, les cellules du système immunitaire qui détruisent les intrus, apprennent à reconnaître le soi pour ne pas l’attaquer. Plus précisément, c’est là que ces lymphocytes sont exposés aux antigènes spécifiques des tissus (TSA), ces molécules qui marquent l’identité des cellules de l’organisme. A l’issue de cet apprentissage, ne sont conservés que les lymphocytes qui ne se lient pas aux antigènes du soi. 

Une démonstration complète

Dans un premier temps, l’équipe a étudié le transcriptome de cellules de thymus d’hommes et de femmes de même âge, autrement dit la totalité des ARN présents dans ces cellules, pour savoir quels gènes y sont actifs et à quel degré. « Nous avons trouvé des différences dans l’expression des TSA entre les sexes et, de fil en aiguille, nous en sommes arrivés à AIRE » se souvient la chercheuse. La protéine AIRE (pour AutoImmune REgulator) joue un rôle clé dans l’éducation des lymphocytes puisqu’elle module le taux de TSA exprimé dans le thymus. Or l’analyse moléculaire et cellulaire thymique a révélé qu’à partir de l’adolescence, les jeunes filles et les femmes ont moins d’AIRE que les hommes. Il en va de même chez les souris. 

A partir de là, Nadine Dragin et ses collègues ont analysé les rapports entre le genre, les hormones et l’expression de la protéine AIRE dans des cultures de cellules humaines, ainsi que dans des modèles murins. Ils ont ainsi montré que les œstrogènes, hormones sexuelles femelles, induisent une baisse de l’expression d’AIRE dans des cellules thymiques humaines ou murines. Par quel mécanisme ? L’équipe a également exploré cet aspect et découvert que les œstrogènes agissent sur le promoteur du gène d’AIRE, en augmentant le taux de méthylation de l’ADN qui le constitue. 

Enfin, l’équipe a démontré dans le modèle murin de la thyroïdite auto-immune qu’une diminution d’AIRE augmente la susceptibilité à cette maladie. « Le lien entre AIRE et la susceptibilité aux maladies auto-immunes était certes déjà connu, mais il fallait le démontrer dans nos modèles » souligne Sonia Berrih-Aknin. 

Un mécanisme passant par les TSA, mais pas uniquement

Une diminution de l’expression d’AIRE entraînant une réduction de celle des TSA, il est vraisemblable qu’elle altère l’étape d’apprentissage de lymphocytes T et conduise ainsi à un défaut dans la tolérance au soi. Bien entendu, parmi les quelques soixante-dix maladies auto-immunes connues, toutes ne sont pas dues à un problème lié aux TSA thymiques. « Et pourtant, même dans des modèles de maladies indépendantes des TSA, AIRE semble impliqué, agissant par un ou plusieurs autres mécanismes. Donc, de manière générale, un taux d’AIRE moindre augmente la susceptibilité aux maladies auto-immunes » précise la chercheuse. 

L’ensemble de ces données suggèrent donc que, à partir de la puberté, le taux élevé d’œstrogène chez les femmes inhibe l’expression d’AIRE dans le thymus, augmentant la susceptibilité aux maladies auto-immunes. 

A quoi attribuer, par ailleurs, l’incidence croissante des maladies auto-immunes dans les pays industrialisés ? A la lumière de ses résultats, l’équipe s’interroge sur le rôle des perturbateurs endocriniens présents dans l’environnement. 

Note

* unité 974 Inserm/CNRS/université Pierre et Marie Curie/AIM, Institut de myologie, Paris 

Source

N Dragin et coll., Estrogen-mediated downregulation of AIRE influences sexual dimorphism in autoimmune diseases. J Clin Invest. (2016);126(4):1525–37. doi : 10.1172/JCI81894.

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