Maladie d’Alzheimer : enfin un modèle animal des phases initiales

Un nouveau modèle de souris va enfin permettre de travailler sur le stade précoce de la maladie d’Alzheimer. Pour l’obtenir, des chercheurs de l’Inserm ont introduit un vecteur viral contenant des gènes impliqués dans la maladie dans le cerveau d’animaux sains. Ils ont ainsi pu décortiquer les premières étapes de pathologie dans des conditions similaires à l’environnement cérébral humain.

Après un siècle de recherche sur la maladie d’Alzheimer, il n’existe encore aucun médicament efficace pour contrecarrer son inexorable progression. Ceci serait notamment dû à l’absence de modèles pertinents de la pathologie humaine, une absence qui rend difficile le développement de traitements. 

« Les mécanismes mis en jeu dans la maladie d’Alzheimer sont complexes, explique Jérôme Braudeau, chercheur à l’Inserm*. Les manifestations biologiques apparaissent bien avant le diagnostic clinique, parfois 20 ans avant. Il est donc difficile d’analyser le fonctionnement du cerveau d’un patient pour comprendre, à l’échelle cellulaire, les altérations initiales dont il est victime. Or la compréhension de cette phase infraclinique est probablement une étape décisive pour le développement de molécules thérapeutiques efficaces ».

Un modèle inédit

Micrographie d’un hémisphère (à gauche) de souris après injection d’un virus AAV portant le gène de l’APP. Seules deux régions de l’hippocampe (à droite) vont produire l’APP puis le peptide β‑amyloïde. Le peptide soluble ainsi produit va diffuser dans l’intégralité de l’hippocampe.

Pour en apprendre plus sur les mécanismes initiaux mis en jeu dans cette maladie, les chercheurs ont donc développé un nouveau modèle de rongeur mimant le stade précoce de cette pathologie, avant l’apparition des plaques amyloïdes et l’agrégation des protéines Tau observées en fin de parcours. Jusque-là, les modèles disponibles étaient des souris rendues immédiatement très malades, dès leur plus jeune âge. « Des modèles utiles mais caricaturaux, qui ne donnaient pas accès aux premiers stades de la maladie, et finalement assez éloignés de ce qui se passe réellement chez l’Homme », estime Nathalie Cartier, directrice de l’équipe en charge de ces travaux. 

Les modèles actuels sont en effet des souris transgéniques chez lesquelles des versions mutées des gènes codant pour la protéine APP (Amyloïd Precursor Protein) et pour une enzyme (la préséniline) responsable de sa coupure en résidus toxiques (les peptides β‑amyloïdes) sont introduits dans leur génome. Ces mutations sont celles qui déclenchent la maladie dans les formes familiales rares. Les souris qui les portent évoluent avec ces anomalies pendant leur développement fœtal et présentent immédiatement des concentrations très élevées de peptides β‑amyloïdes, bien supérieures à celles retrouvées chez les patients. Cela aboutit à la formation très rapide de plaques amyloïdes. Or « ces plaques amyloïdes ne seraient qu’une manifestation tardive de la pathologie, souligne Jérôme Braudeau. En fait, les peptides β‑amyloïdes exerceraient leur effet toxique sur les neurones directement sous forme soluble, en les rendant moins performants. Et c’est leur production continue pendant des années qui aboutirait secondairement à leur agrégation sous forme de plaques amyloïde ».

Reproduire la pathologie humaine

Cette fois, les chercheurs ont introduit ces deux mêmes gènes mutés dans des vecteurs viraux qu’ils ont injectés dans le cerveau de souris adultes saines. Plus précisément dans leur hippocampe, structure cérébrale qui sous-tend les mécanismes de mémorisation. L’objectif étant d’induire la pathologie comme cela se passe dans la réalité. « Le vecteur viral utilisé, appelé AAV pour Adeno Associated Virus, présente une forte affinité avec les neurones. Il les infecte facilement, n’entraîne pas de toxicité et y produit les gènes de façon stable dans le temps, pendant plusieurs années », explique Nathalie Cartier. Cette approche a parfaitement fonctionné : les animaux ont présenté les premières anomalies cérébrales et commencé à manifester des troubles de mémoire, mais avec des concentrations de protéines amyloïdes cohérentes avec la pathologie humaine, et sans formation de plaques amyloïdes. En outre, les chercheurs ont effectué des tests électro-physiologiques pour caractériser la perte de capacité des neurones à fonctionner en réseau, ce qui apparaîtrait dès les premiers stades de la maladie. « Là aussi nos résultats sont parfaitement compatibles avec la progression de la maladie chez l’Homme », affirme Jérôme Braudeau. 

Ces différentes caractéristiques font de ce nouveau modèle un outil de choix pour étudier les atteintes initiales dans la maladie d’Alzheimer.

Un brevet protégeant ces travaux a été déposé par l’Inserm, l’université Paris Sud, le CEA, le CNRS et l’université Paris Descartes. Ce brevet est géré par Inserm Transfert.

Note

*unité 1169 Inserm/Université Paris Sud/CEA, Le Kremlin Bicêtre 

Source

M. Audrain et coll. Alzheimer’s disease-like APP processing in wild-type mice identifies synaptic defects as initial steps of disease progression. Mol Neurodegener du 12 janvier 2016. doi : 10.1186/s13024-016‑0070‑y.

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