Lymphocytes T cytotoxiques : une capacité à tuer hétérogène qui façonne l’activité de la population

Les lymphocytes T cytotoxiques n’ont pas tous la même capacité de tuer leurs cibles, y compris lorsqu’ils sont issus d’un même lymphocyte « parent » : certains sont rapides mais peu efficaces, d’autres plus lents mais redoutables. Les chercheurs à l’origine de cette découverte tentent maintenant de comprendre la raison d’être de cette hétérogénéité.

« Les scientifiques ont longtemps travaillé à l’échelle de populations de cellules ou de tissus, mais nous sommes en train de réaliser qu’il existe une hétérogénéité dans le fonctionnement des cellules au sein de ces groupes », expose Loïc Dupré pour présenter les travaux qu’il a conduit avec Salvatore Valitutti au Centre de physiopathologie de Toulouse Purpan*, en collaboration avec l’université Stanford et l’Institut de mathématiques de Toulouse. 

Le chercheur et son équipe s’intéressent en particulier aux lymphocytes T cytotoxiques, des cellules du système immunitaire capables de tuer des cellules cibles, comme des cellules infectées, des cellules cancéreuses ou encore des cellules greffées allogéniques. Leurs derniers travaux indiquent que, parmi une population clonale de ces lymphocytes, c’est-à-dire parmi un groupe de lymphocytes T cytotoxiques dérivant d’un même lymphocyte et possédant le même patrimoine génétique, tous n’ont pas les mêmes capacités à tuer leurs cibles.

Une découverte fortuite

inserm 52841 850 medium
© Inserm, C. Laurent Imagerie cellulaire : Distribution des cellules cytotoxiques T dans la zone péri-folliculaire d’un follicule de ganglion lymphatique humain. En vert est marqué le CD8, en bleu le CD3 et le GrzB en rouge. Blood 2011 

« Cela a été une vraie surprise », explique le chercheur, découverte « un peu par hasard » alors qu’il étudiait l’activité cytotoxique des lymphocytes T in vitro. « Habituellement cette activité est suivie pendant quatre heures et les lymphocytes étudiés sont en surnombre par rapport aux cibles. Cette fois, nous avons suivi l’activité des cellules jusqu’à 72 heures et nous avons exposé une faible quantité de lymphocytes T cytotoxiques à un très grand nombre de cellules cibles présentant un peptide viral à leur surface », détaille-t-il. Les chercheurs ont constaté qu’un lymphocyte était parvenu à « combattre » 40 cibles pendant 24 heures avant de s’essouffler. Cette performance a intrigué les auteurs qui ont vérifié si tous les lymphocytes présentaient la même activité au sein d’une population clonale. Pour cela, ils ont isolé et séparé 259 lymphocytes T, puis chacun d’entre eux a été exposé à plusieurs cellules cibles. Il est alors apparu que tous les lymphocytes ne se comportaient pas de la même façon. 

Une hétérogénéité importante

Certains lymphocytes lysent leur cible à un rythme lent, conduisant à la mort de 2 à 3 cellules cibles dans les 12 heures suivant le début de l’expérience. D’autres, environ un tiers des lymphocytes, ne se réveillent que sept ou huit heures après le début de l’exposition, mais éliminent jusqu’à 12 cellules cibles en série. « Nous estimions que chaque lymphocyte pouvait éliminer 3 à 4 cibles en moyenne. En réalité, nous avons constaté une hétérogénéité importante des capacités lytiques de ces lymphocytes clonaux, raconte Loïc Dupré. Ces résultats semblent indiquer que l’hétérogénéité des lymphocytes fait partie intégrante de leur stratégie d’action et fournit une dynamique à l’activité cytotoxique. Dans un premier temps, la population de lymphocytes met en œuvre une activité cytolytique de basse intensité. Si les cellules cibles persistent ou résistent, alors une seconde activité plus intense est mise en place grâce à la contribution d’un sous-groupe de lymphocytes très efficaces ».

A la recherche des déterminants

Les chercheurs n’ont pas réussi, pour l’instant, à découvrir les marqueurs de cette hétérogénéité. « Aucune molécule à la surface des lymphocytes T cytotoxiques ne s’est révélée être associée à leurs capacités cytotoxiques. L’étape suivante consiste à étudier l’expression des gènes au cours de leur activité, pour trouver des différences entre les excellents tueurs et les moins bons », projette Loïc Dupré. 

A terme, si ces déterminants sont découverts, comment ne pas imaginer s’en servir comme facteurs d’activation pour stimuler l’action cytotoxique des lymphocytes T en cas de cancer ou de maladie infectieuse grave. 

Note

*unité 1043 Inserm/CNRS/Université Paul Sabatier, Centre de physiopathologie de Toulouse Purpan 

Source

Z. Vasconcelos et coll. Individual Human Cytotoxic T Lymphocytes Exhibit Intraclonal Heterogeneity during Sustained Killing. Cell Reports, edition en ligne du 27 mai 2015