Leucémie aiguë myéloïde : des cellules résistent à la chimiothérapie en volant des mitochondries

L’agressivité de la leucémie aiguë myéloïde reposerait en partie sur la capacité des cellules malades à « voler » de petites centrales énergétiques – les mitochondries – aux cellules souches saines présentes dans la moelle osseuse. Ce procédé les « renforcerait » face aux chimiothérapies.

Les cellules tumorales de leucémie aiguë myéloïde (LAM) sont des voleuses de mitochondries ! Et ce défaut majeur leur confère un avantage redoutable face aux chimiothérapies… Ce phénomène participerait en effet à leur capacité à résister au traitement, et serait impliqué dans les rechutes souvent létales.
 
Si l’équipe* dirigée par Jean-François Peyron au Centre méditerranéen de médecine moléculaire de Nice s’est intéressée à ce détournement, c’est que de précédents travaux ont montré qu’un transfert de mitochondries pouvait survenir entre des cellules souches mésenchymateuses, c’est-à-dire présentes dans la moelle osseuse, et d’autres cellules avec lesquelles elles sont en contact. Ce transfert permet à la cellule receveuse de produire plus d’énergie et lui confère une plus grande résistance. Présents dans toutes les cellules, les mitochondries sont de petits organites qui produisent l’énergie nécessaire à leur fonctionnement. 

Or, la leucémie aiguë myéloïde est justement un cancer de la moelle osseuse. Elle se caractérise par la prolifération anormale des précurseurs des globules blancs. Ce cancer se développe préférentiellement chez des sujets âgés (71 ans en moyenne). Environ 2 800 nouveaux cas sont diagnostiqués chaque année en France. Si près de 80% des patients répondent favorablement au traitement initial, des rechutes se produisent chez deux tiers d’entre eux, entrainant le plus souvent un décès dans les cinq ans. Ces rechutes sont liées à une fraction de cellules résistantes au traitement : elles font le dos rond pendant celui-ci, mais donnent un coup de fouet à la maladie une fois la thérapie achevée. 

Signal de détresse

Pour tester l’hypothèse selon laquelle un transfert de mitochondries pourrait être impliqué dans cette résistance, les chercheurs ont co-cultivé des cellules cancéreuses de LAM et des cellules souches mésenchymateuses. Ils les ont ensuite mises en contact avec un agent de chimiothérapie, la cytarabine. Malgré l’efficacité de ce médicament, une petite fraction de cellules cancéreuses a résisté. En utilisant des techniques moléculaires et d’imagerie, les chercheurs ont alors constaté que ces cellules étaient en contact direct avec les cellules souches mésenchymateuses et récupéraient leurs mitochondries. « Les cellules malades agressées semblent envoyer un signal de détresse aux cellules saines de leur environnement qui, en retour, leur cèdent des mitochondries nécessaires à leur survie », explique Emmanuel Griessinger, responsable des travaux. 

Résultat, ces cellules cancéreuses augmentent leur masse mitochondriale d’environ 14%, générant une fois et demi plus d’énergie qu’une cellule normale. « Il est évident que cela leur confère un avantage métabolique important, qui leur permet non seulement de résister au traitement, mais également de prospérer à la fin de celui-ci. Pour preuve, les cellules les plus riches en mitochondries sont celles qui résistent le mieux à la chimiothérapie », clarifient Emmanuel Griessinger, Jean-François Peyron et Ruxanda Moschoi. Les chercheurs ont confirmé ces observations in vivo chez la souris. Reste à savoir si se transfert joue un rôle similaire dans d’autres cancers du sang, voire dans des tumeurs solides. « Cela paraît vraisemblable puisque des cellules souches mésenchymateuses donneuses de mitochondries y sont présentes et que leur implication est déjà décrite », précise Emmanuel Griessinger. 

Si les chercheurs n’ont pas encore identifié la nature du signal de détresse et les mécanismes précis de transfert des mitochondries, ces résultats ouvrent déjà des perspectives thérapeutiques. « En inhibant l’un de ces processus, il devrait être possible d’affaiblir les cellules tumorales résistantes. Il existe bien sur d’autres mécanismes de résistance aux chimiothérapies, mais en combinant les moyens de les bloquer, nous parviendrons à améliorer l’efficacité des traitements », concluent les chercheurs. 

Note

* Unité 1065 Inserm/université de Nice-Sophia Antipolis, Centre méditerranéen de médecine moléculaire (C3M), Nice 

Source

R Moschoi et coll. Protective mitochondrial transfer from bone marrow stromal cells to acute myeloid leukemic cells during chemotherapy. Blood, édition en ligne du 2 juin 2016