Foie et intestin de mèche pour contrôler la flore intestinale

Face aux milliards de bactéries présentes dans notre tube digestif, un contrôle est nécessaire pour ne pas risquer une « invasion » de l’organisme. Dans ce but, l’intestin fabrique des anticorps. Mais il n’est pas seul dans son combat ! Des chercheurs ont découvert qu’il s’adjoint les services du foie. Une découverte qui pourrait déboucher sur des avancées thérapeutiques dans le domaine des maladies inflammatoires ou infectieuses.

Nos intestins sont en contact permanent avec des milliards de bactéries qui constituent notre flore. Même si la plupart de ces bactéries ne sont pas pathogènes, elles ne doivent pas franchir la barrière intestinale sous peine de conduire à des phénomènes inflammatoires délétères. Voilà pourquoi certains globules blancs – des lymphocytes B dits « plasmocytes »- sécrètent dans l’intestin des anticorps nommés immunoglobulines A (IgA). En se fixant aux bactéries, ces IgA les empêchent de franchir la paroi intestinale et de se retrouver dans le sang. Mais parfois, certaines bactéries passent les mailles du filet... Une équipe lyonnaise* vient de découvrir que pour parer cette éventualité, l’intestin envoie du renfort dans le foie, comme une seconde ligne de protection. 

Si ces chercheurs ont creusé la piste hépatique, c’est que le foie reçoit l’intégralité du sang intestinal via la veine porte, se retrouvant donc lui aussi en contact avec des antigènes d’origine intestinale. L’équipe a tout d’abord étudié le foie de souris. Il est apparu que ce dernier abrite un contingent important de plasmocytes sécréteurs d’IgA réactives aux bactéries intestinales : 1 % du total des cellules immunitaires de l’organe... soit une fréquence dix fois plus élevée que dans la moelle osseuse, haut site de production d’anticorps. Les chercheurs ont ensuite administré des antigènes aux animaux, par voie orale. Résultat : des plasmocytes sécréteurs d’IgA spécifiques de ces antigènes se sont concentrés dans le foie, presque autant que dans les intestins ! En retraçant le cheminement de ces plasmocytes dans l’organisme des souris, l’équipe a découvert qu’ils avaient migré dans le foie depuis un de leur site classique de fabrication : les plaques de Peyer, organes lymphoïdes associés à la muqueuse intestinale 

Les IgA, véritables agents de liaison de l’axe intestin-foie

Mais qu’en est-il chez l’Homme ? Les chercheurs ont pu étudier des prélèvements de foies humains issus de patients opérés en raison de métastases hépatiques. Après s’être assurée que ces prélèvements étaient indemnes de cellules tumorales, l’équipe a découvert qu’ils contenaient eux aussi une proportion significative de plasmocytes (2 à 3 % des cellules immunitaires hépatiques), dont la moitié produisait des IgA. Et là encore, une partie non négligeable ciblait des bactéries intestinales telles Escherichia coli.

Pour compléter le tableau, l’équipe a aussi étudié, de nouveau chez la souris, un modèle d’hépatite due à une surconsommation chronique d’alcool. Dans cette maladie, le taux d’IgA mesuré dans le sang grimpe, et on observe la formation de dépôts d’IgA dans les vaisseaux sanguins du foie. En outre, la paroi intestinale des souris atteintes de cette pathologie est perméable, laissant les bactéries s’échapper vers le foie. Dans le même temps, la concentration des plasmocytes à IgA augmente spécifiquement dans cet organe. 

L’équipe a administré à ces souris une drogue qui empêche la migration des plasmocytes issus des plaques de Peyer : les dépôts d’IgA dans leur foie ont alors été réduits à néant, ainsi que la maladie hépatique ! Un résultat qui suggère que le trop plein d’IgA contribue à la maladie. Si l’on parvient à prouver cette contribution, cette étude pourrait ouvrir de nouvelles pistes thérapeutiques, telles des molécules capables d’empêcher la migration des plasmocytes de l’intestin vers le foie, de réduire leur surnombre dans cet organe... On peut aussi imaginer la mise au point de vaccins susceptibles de générer, localement dans le foie, des IgA ciblant des pathogènes à tropisme hépatique. 

Véritables agents de liaison entre le foie et l’intestin, ces IgA n’ont probablement pas fini de nous surprendre ! 

Note

*Equipe Immunité des muqueuses, vaccination & biothérapies, unité 1111 Inserm/CNRS/Ecole normale supérieurs/université Claude Bernard Lyon 1, Centre international de recherche en infectiologie, Lyon 

Adresse actuelle de Dominique Kaiserlian : unité Inserm 1066, CarMeN (Centre de recherche en Cardiologie, Métabolisme, Endocrinologie et Nutrition), Villeurbanne Cedex, France. 

Source

L. Moro-Sibilot et coll., Mouse and Human Liver Contain Immunoglobulin A‑Secreting Cells Originating 
From Peyer’s Patches and Directed Against Intestinal Antigens, Gastroenterology, DOI : 10.1053/j.gastro.2016.04.014, 2016.