Le décodage des émotions faciales n’est pas le même pour tous

Selon une étude conduite chez une trentaine de personnes, l’interprétation des émotions faciales ne repose pas seulement sur une lecture universelle des visages, partagée par tous : un jugement personnel, propre à chacun, interviendrait aussi, induisant une certaine hétérogénéité quant à la première impression que donne une personne. Reste à déterminer l’objet et l’origine de ces différences interindividuelles...

La rencontre d’un nouveau visage est systématiquement associée à une première impression, liée à l’analyse, souvent inconsciente, de la morphologie du visage. On sait par exemple que des mâchoires larges sont spontanément associées à un jugement de personnalité présupposée dominante, alors qu’un visage rond, poupon, sera associé à un jugement de confiance. Mais cette interprétation est-elle réellement partagée par tous ou varie-t-elle d’une personne à l’autre ?

Pour le savoir, une équipe de recherche* s’est intéressée à l’influence de la morphologie propre à chaque visage sur la reconnaissance des émotions exprimées par ce visage. Dans ce but, elle a présenté à une trentaine de participants volontaires des séries de photos de visages exprimant la peur ou la colère à des degrés divers d’intensité. Ces derniers étaient invités à indiquer quelle était l’émotion exprimée. A la suite de l’expérience principale, un test était réalisé afin de mesurer les associations communes à l’ensemble des participants et propres à chacun d’eux. Pour cela, l’ensemble des visages avec une expression neutre était présenté aux participants qui devaient indiquer s’ils pensaient que ce visage exprimait plutôt la peur ou la colère pendant l’expérience principale. Les réponses des participants ont été modélisées et analysées à l’aide d’enregistrements cérébraux en électroencéphalographie (EEG).

Un moyen d’éviter des consensus hâtifs ?

Ce travail montre que les associations partagées entre morphologie faciale et émotions coexistent avec de fortes variations d’une personne à l’autre. Fait intéressant, une grande partie de ces associations dites idiosyncratiques (propres à chaque personne) ne dépend pas de nos interactions sociales récentes, mais résultent de différences interindividuelles stables dans le temps. Les données EEG confirment ces résultats, et indiquent que les associations partagées et idiosyncratiques procèdent d’un même mécanisme cérébral. 

Deux questions doivent désormais être élucidées, selon les chercheurs de cette étude. La première vise à comprendre l’origine de ces associations propres à chaque personne, l’hypothèse étant qu’elles émaneraient de différences d’environnement dans lequel la personne s’est construite, son histoire de vie. Par exemple, une personne ayant évolué au contact d’une personne colérique pourrait non seulement mieux percevoir les signaux de colère, mais aussi avoir tendance à associer certains traits morphologiques à l’émotion de colère. Seconde question : quel est l’intérêt de cette hétérogénéité du point de vue de l’évolution ? Il est possible que cela soit un moyen de faire émerger des idées nouvelles et d’éviter des consensus hâtifs lors de décisions collectives. Une hypothèse qui devra être testée à l’avenir.

Note

* unité 960 Inserm/ENS, Laboratoire de neurosciences cognitives, équipe Cognition sociale, Ecole normale supérieure, Paris 

Source

M El Zein M et coll. Pervasive influence of idiosyncratic associative biases during facial emotion recognition. Scientific Reports, édition en ligne du 11 juin 2018 DOI:10.1038/s41598-018–27102‑z