Covid-19 et odorat : les anosmies persistantes sont fréquentes et impactent la qualité de vie

Une étude française menée depuis plus d’un an permet de mieux comprendre comment les troubles olfactifs liés à la Covid-19 se manifestent. L’objectif : mieux les prendre en charge et accélérer la récupération de la capacité sensorielle des patients.

Dès le début de la pandémie de Covid-19, la perte de l’odorat (ou « anosmie ») est apparue comme l’un des symptômes les plus fréquemment associés à la Covid-19. Camille Ferdenzi et Moustafa Bensafi*, qui dédient leurs travaux de recherche à la plasticité de la perception olfactive chez l’humain, ont alors rapidement décidé de mettre en place une enquête pour évaluer les caractéristiques de ces troubles olfactifs et leur impact sur la qualité de vie des patients. Conduite depuis avril 2020, leur étude en ligne est ouverte à toutes les personnes qui souffrent de troubles de l’odorat, liés à la Covid-19 ou non. 

Les chercheurs ont récemment réalisé une analyse intermédiaire des données recueillies, à partir de tous les questionnaires remplis jusqu’en janvier 2021 par des personnes qui ont reçu un diagnostic de Covid-19, soit 3 111 participants. « L’enquête étant destinée aux personnes qui présentent des troubles de l’odorat, elle ne permet pas d’évaluer la prévalence de l’atteinte. En revanche, le nombre élevé de personnes qui y ont participé nous permet de tirer des enseignements fiables sur les caractéristiques de ces symptômes en vie réelle », précise Camille Ferdenzi. 

Deux principaux constats découlent de ce travail : le premier concerne la proportion de personnes atteintes sur le long terme. Si un participant sur cinq a déclaré avoir récupéré la totalité de ses capacités olfactives dans les 16 jours en moyenne après le début de l’infection, un délai de 3 à 6 mois a été nécessaire pour une poignée d’entre eux. De plus, dans le reste de la cohorte, près de la moitié des participants déclarait des troubles toujours persistants, qui duraient depuis 1 à 10 mois. « Les femmes et les personnes âgées ont plus de risque de voir ces symptômes persister que les hommes ou les plus jeunes, rapporte la chercheuse. On observe aussi qu’un tiers des personnes qui ont répondu à l’enquête ont des hallucination olfactives (“fantosmie”), et que la moitié ont des distorsions des odeurs (“parosmie”) ».

Le second constat concerne la répercussion de l’atteinte sur la qualité de vie. « Si la Covid-19 a en elle-même un effet, les déclarations des participants montrent que la durée et la sévérité des troubles olfactifs ont aussi un réel impact, notamment chez les femmes et les fumeurs. Ces personnes ont moins de plaisir à manger, voient leurs relations sociales touchées (en rapport avec les repas ou encore les odeurs corporelles) et sont plus exposées à des risques d’accidents domestiques liés à l’absence d’odorat. »

L’anosmie n’est pas une fatalité

La muqueuse olfactive est une petite région de 2 à 3 cm² présente dans la partie supérieure des fosses nasales qui contient différents types de cellules dont les neurones olfactifs, qui sont les récepteurs des odeurs, et les cellules de soutien, qui assurent la structure de la muqueuse. Ces dernières sont porteuses de récepteurs ACE2 sur lesquels le SARS-CoV‑2 se fixe pour les infecter. Le virus provoque alors la mort de ces cellules et, indirectement, la destruction des neurones olfactifs. 

Heureusement, la muqueuse olfactive est la plupart du temps capable de se régénérer : le phénomène repose sur les cellules souches qui sont contenues dans la couche la plus profonde de la muqueuse. Les phénomènes de parosmie et de fantosmie découleraient d’ailleurs directement de ce processus de régénération : ils seraient le reflet d’une réorganisation un peu chaotique du tissu. Reste que les cellules souches portent également des récepteurs ACE2 et peuvent donc elles aussi être détruites par le coronavirus. Cela pourrait expliquer la durée prolongée des troubles olfactifs chez certains patients. 

Mais le SARS-CoV‑2 n’est pas le premier des virus à provoquer des troubles de l’olfaction. Des travaux ont déjà été menés pour évaluer la capacité des personnes convalescentes à retrouver leurs aptitudes olfactives suite à une infection par le virus de la grippe, par exemple. L’équipe de Camille Ferdenzi a déjà travaillé sur le sujet, et conduit actuellement, avec plusieurs hôpitaux lyonnais, une étude clinique de réentraînement spécifique dans la prise en charge du post-Covid : dans cette étude, chaque participant est invité à sentir chaque jour une ou plusieurs odeurs, choisies pour balayer un large spectre. Il peut s’agir de solutions odorantes qui lui sont fournies, ou de produits odorants présents à son domicile. La rééducation dure 12 semaines. L’étude permettra d’établir s’il est possible d’accélérer la récupération des capacités olfactives et quelles sont les modalités d’entraînement les plus efficaces. « Cette stimulation pourrait directement favoriser la régénération cellulaire. Mais en invitant les participants à s’exprimer sur les odeurs perçues (intensité, évocation, reconnaissance…), on pourrait aussi réentraîner le circuit de traitement cognitif des odeurs. » Les premiers résultats devraient être disponibles après l’été.

Notes :
* unité 1028 Inserm/CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1, équipe Neuropop, Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL)

Source : Camille Ferdenzi et coll. Recovery from COVID-19-related olfactory disorders and quality of life : insights from an observational online study. Chemical Senses, édition en ligne du 7 juin 2021. DOI : 10.1093/chemse/bjab028