Cirrhose et antibiotiques : la fin d’un débat

Faut-il prescrire des antibiotiques aux personnes atteintes de cirrhose avancée afin de prévenir les infections souvent associées à la maladie ? La question est enfin tranchée grâce à un vaste essai clinique coordonné par une équipe Inserm.

La cirrhose est la plus fréquente des maladies chroniques du foie. Les personnes atteintes de cirrhose avancée souffrent fréquemment d’infections bactériennes, qui peuvent être mortelles. « Beaucoup de ces infections sont dues à une translocation de bactéries de l’intestin vers l’organisme. Il est donc tentant de proposer aux patients une thérapie antibiotique orale au long cours, qui décontaminerait la lumière intestinale de certaines bactéries pathogènes » avance Richard Moreau, du Centre de recherche sur l’inflammation*, à Paris. Il existe cependant un débat : est-il vraiment utile d’administrer un traitement antibiotique au long cours lorsqu’un patient n’a pas encore subi d’épisode infectieux ? Les cliniciens redoutent en particulier la sélection de souches bactériennes multirésistantes. Or les études menées jusqu’à présent, faute d’une puissance statistique suffisante, n’ont donné aucune réponse claire. 

Pour trancher, l’unité de Richard Moreau a coordonné un vaste essai clinique randomisé, en double insu, qui a impliqué dix-huit centres hospitaliers français, dans le cadre d’un programme hospitalier de recherche clinique *. Près de trois cents patients atteints de cirrhose avancée, qui n’avaient pas reçu récemment d’antibiotique de la famille des fluoroquinolones, ont été traités pendant 6 mois soit avec de la norfloxacine, une fluoroquinolone, soit par un placebo. Il s’agissait d’observer leur taux de survie à six mois, et secondairement la fréquence des infections. 

Des résultats sans appel

Pour bien comprendre le résultat de l’essai, il faut prendre en compte un autre aspect de cette pathologie. La plupart des patients atteints de cirrhose avancée souffrent également d’ascite – un épanchement de liquide dans l’abdomen – plus ou moins prononcée. Le taux de protides présents dans le liquide d’ascite est systématiquement mesuré car il constitue un indicateur de fragilité et de susceptibilité à l’infection. Pourquoi ? « Le taux de protides pourrait être le reflet de la concentration locale de protéines impliquées dans la défense immunitaire » avance le chercheur. 

Les résultats de l’essai ne prêtent à aucune équivoque. La fluoroquinolone au long cours diminue significativement la mortalité des malades ayant moins de 15 g/l de protide dans le liquide d’ascite : elle est en effet de 11,3% chez les patients traités contre 28,6% dans le groupe le placebo. L’antibiotique n’a en revanche aucun effet notable sur la survie des malades ayant plus de 15 g/l de protides dans l’ascite. « Cet essai va modifier la pratique clinique : les malades en stade cirrhotique avancé, avec un taux de protides bas dans l’ascite, recevront en majorité le traitement préventif d’antibiotique » estime Richard Moreau. 

Quel rôle pour le microbiote ?

Les chercheurs ont de plus relevé une nette diminution des épisodes infectieux chez les patients traités, et en particulier des infections à bactéries à Gram négatif, typiquement d’origine intestinale. Le suivi des patients a été prolongé jusqu’à un an après le début du traitement. « Nous craignions un éventuel rebond de la gravité des infections après la fin du traitement, ou qu’apparaissent des infections multirésistantes. Cela n’a pas été le cas, ce qui est aussi une information importante » souligne le chercheur 

Ces résultats acquis, l’équipe cherche maintenant à obtenir une vue plus claire du microbiote de patients atteints de cirrhose. « Nous venons d’achever une étude multicentrique observationnelle prospective dans le cadre de la Fondation européenne pour l’étude l’insuffisance hépatique chronique (EF Clif)) » révèle Richard Moreau. Pendant six mois, les selles de 1 300 malades ont été collectées, de manière à établir le profil du microbiote associé à chaque type de complication de la maladie. « C’est une suite logique du travail précédent : une étude pharmacologique peut donc déboucher sur une nouvelle question de physiopathologie » conclut le chercheur. 

Note

* unité 1149 Inserm/CNRS/Université Paris Diderot, Centre de recherche sur l’inflammation, équipe Réponses inflammatoires et stress dans les maladies chroniques du foie, Paris

Source : Moreau R. et coll., Effects of Longterm Norfloxacin Therapy in Patients with Advanced Cirrhosis, Gastroenterology (2018), doi : 10.1053/j.gastro.2018.08.026.