Le cil primaire, une cible thérapeutique potentielle pour lutter contre les fibroses

L’inflammation chronique des tissus est associée à la présence de cellules particulières du tissu conjonctif, les myofibroblastes. Ces derniers conduisent à la formation de fibroses. Des chercheurs de l’Inserm ont identifié un mécanisme crucial pour la formation de ces cellules à partir de cellules souches adipocytaires humaines de tissu adipeux et musculaires. Le cil primaire, à l’origine de la voie de différenciation, pourrait constituer une cible thérapeutique pour lutter contre la fibrose observée dans l’obésité et certaines pathologies musculaires comme la myopathie de Duchenne.

Les myofibroblastes sont des cellules impliquées dans la réparation des tissus. Ils sont notamment mobilisés au niveau des blessures, qu’ils vont contribuer à cicatriser en sécrétant du collagène. Ils possèdent en outre des protéines contractiles, capables de rapprocher les bords d’une plaie. En temps normal, ces cellules disparaissent une fois la blessure cicatrisée. Mais dans certaines conditions pathologiques – comme l’inflammation chronique – ils restent activés et entraînent la formation d’une fibrose. 

Ce phénomène n’est pas restreint à la peau : il existe dans de nombreux organes. Ainsi, l’inflammation modérée chronique observée chez les personnes atteintes d’obésité peut déclencher une fibrose dans le tissu adipeux, qui peut elle-même conduire au développement d’une insulino-dépendance. Dans la myopathie de Duchenne, l’inflammation chronique des tissus musculaires provoque un envahissement par les myofibroblastes et la déstructuration du muscle, réduisant peu à peu ses capacités mécaniques. De tels processus fibrotiques peuvent également toucher le foie, le cœur ou les poumons. 

L’origine des myofibroblastes qui induisent ces fibroses dépend des tissus concernés. Ils dériveraient des fibroblastes au niveau de la peau, mais des cellules épithéliales dans le rein et les poumons, des cellules mésenchymateuses dans le cœur et des cellules souches adipocytaires dans les tissus adipeux et musculaires. Les processus menant à ces différentes voies de différenciation sont variables et encore mal connus. 

Le rôle clé d’un composant mal connu de la cellule

« Nous travaillons depuis longtemps sur les cellules souches adipocytaires, explique Pascal Peraldi* co-auteur du travail publié récemment dans Scientific Reports sur la différenciation des myofibroblastes. Nous avons montré dans un précédent travail que le cil primaire est impliqué dans la différenciation de ces cellules souches en adipocytes. Par ailleurs, d’autres équipes ont identifié des récepteurs du facteur de croissance TGF-b1 sur le cil primaire. Or le TGF-b1 est la principale molécule qui induit la différenciation en myofibroblaste. Nous voulions donc savoir si cette voie TGF-b1 est impliquée dans la différenciation des cellules souches adipocytaires en myofibroblastes et si elle dépend du cil primaire « .

Le cil primaire, l’antenne de nos cellules

Le cil primaire est une organelle qui ressemble à un flagelle unique, une sorte d’antenne, qui existe dans presque tous les types cellulaires. Il permet à la cellule de capter des signaux mécaniques, comme le flot d’urine dans le rein, mais aussi les signaux biochimiques, sous forme de messagers moléculaires, circulant dans son environnement. Une fois ces messagers fixés sur leurs récepteurs présents au niveau du cil, ils activent les voies de signalisation intracellulaires correspondantes.
Encore peu connu, le cil primaire suscite un intérêt croissant notamment pour son implication dans les processus de différenciation et de prolifération cellulaire. 

Pascal Peraldi et ses collègues ont étudié, in vitro, le rôle de ce cil dans la différenciation de cellules souches adipocytaires humaines en myofibroblastes. Le cil s’est révélé indispensable au processus de différenciation induit par la présence de TFG-b1. Il s’est montré également nécessaire pour maintenir les myofibroblastes dans un état fonctionnel, c’est-à-dire capables de sécréter du collagène et des protéines contractiles. En effet, la destruction du cil (par adjonction de HPI‑4) entraîne l’arrêt de cette activité. 

« Le processus que nous avons ainsi mis en évidence est différent de ce que l’on peut observer dans le rein par exemple, souligne Pascal Peraldi. Dans cet organe, la différenciation en myofibroblaste s’accompagne en effet d’une perte du cil. Ce travail confirme ainsi la diversité des voies de différenciation, en même temps que leur dépendance plus ou moins prononcée au cil primaire ».

Autre apport de ces travaux, la meilleure compréhension des mécanismes à l’œuvre permet d’envisager de manipuler le cil pour moduler les voies de signalisation : ainsi, trouver une molécule capable de détruire de façon très spécifique le cil primaire dans des tissus adipeux ou musculaires pourrait conférer un effet antifibrotique intéressant. « Mais il faut faire très attention : maintenir l’intégrité du cil primaire ailleurs que dans la fibrose est essentiel ! Les maladies associées à un dysfonctionnement de cette organelle, les ciliopathies, en sont la preuve « .

Note

* unité 1091 Inserm/CNRS/Université Nice Sophia Antipolis, équipe Cellules souches et différenciation, Institut de biologie Valrose, Nice. 

Source

N. Arrighi et coll. The primary cilium is necessary for the differentiation and the maintenance of human adipose progenitors into myofibroblasts. Scientific Reports 7, Article number : 15248 (2017) doi:10.1038/s41598-017–15649‑2