Cibler le microbiote intestinal pour lutter contre le cancer du côlon

La lutte anti-microbienne pourrait un jour profiter au combat contre le cancer du côlon. Une équipe Inserm a en effet réussi à ralentir la prolifération des cellules de tumeurs coliques chez des souris en bloquant l’action d’une toxine bactérienne intestinale.

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© Inserm, JL Desseyn Coupe de côlon de souris 

Bloquer une toxine bactérienne pour lutter contre le cancer du côlon ? La prise en compte de la compositon du microbiote intestinal pourrait bien devenir une réalité dans la lutte contre ce cancer. Plusieurs travaux s’accordent en effet à dire que certaines des bactéries présentes au niveau du côlon pourraient en favoriser le développement. C’est par exemple le cas d’une souche particulière d’Escherichia coli qui produit une toxine appelée colibactine. Cette bactérie est présente dans les échantillons de tissus coliques de 50% à 60% des malades mais dans seulement 20% de ceux des sujets sains. « Cette bactérie semble attirée par le microenvironnement inflammé de la tumeur. Une fois en contact avec les cellules de la tumeur, elle induit des dommages de leur ADN qui peuvent contribuer au cancer de deux façons : soit par l’accumulation de mutations, soit par l’induction d’une sénescence cellulaire. Si les cellules sénescentes ne se multiplient plus, elles sécrètent des facteurs de croissance qui favorisent la multiplication des cellules cancéreuses n’ayant pas subies l’action toxique de la bactérie », explique Richard Bonnet , coauteur des travaux au CHU de Clermont-Ferrand (M2ISH, UMR 1071 Inserm Université d’Auvergne).

Des résultats plus que concluants

Ce faisceaux de données à conduit les scientifiques à rechercher un moyen pour bloquer l’action de la toxine bactérienne et en observer le résultat sur le développement de tumeur colique. Pour cela, les chercheurs ont procédé à des travaux de biologie structurale, visant caractériser une des enzymes impliquée dans la synthèse de la colibactine. Ils ont obtenu la structure cristalline de la toxine et cribler des banques de molécules à la recherche de ligands spécifiques, capables de bloquer son activité. Plus de 450 produits ont été sélectionnés et deux ont franchi toutes les étapes avec des résultats étonnants. Un de ces composants a permis de diminuer de 98% les dommages à l’ADN générés par les bactéries productrices de la toxine. Il a ralenti la prolifération de cellules cancéreuses et réduit par un facteur 3,5 le nombre de tumeurs coliques chez des souris hébergeant cette bactérie ! 

Mais attention, cette dernière n’est pas responsable de tous les maux : « La bactérie semble incapable de déclencher à elle-seule un cancer chez la souris. Dans les modèles animaux actuellement utilisés en laboratoire, elle a besoin d’un environnement inflammatoire et d’autres processus mutagènes pour favoriser le développement des tumeurs », insiste Richard Bonnet. 

Encore beaucoup de travail

Selon lui, cette étude préclinique reposant sur l’utilisation de composés dont l’activité reste à optimiser ne constitue qu’une preuve de concept. « Cependant, ces travaux renforcent l’idée qu’il est intéressant de prendre en compte de certaines bactéries composant le microbiote intestinal pour lutter contre le cancer colorectal ». L’équipe va à présent se rapprocher de l’industrie pharmaceutique pour élaborer de nouvelles molécules capable de bloquer l’action de la colibactine, potentiellement plus spécifiques et plus efficaces. En parallèle, elle va devoir élucider plusieurs points. « Il faut évaluer dans des modèles précliniques l’effet potentiellement synergique de cette nouvelle approche avec les traitements actuels. Chez l’Homme, il faut essayer de quantifier le processus tumoral associé à la toxine, pour évaluer le bénéfice à attendre avec ce type de traitement. Il va notamment falloir stratifier les patients en fonction des bactéries intestinales présentes au contact de leurs tumeurs, pour savoir qui pourrait bénéficier d’une telle approche. Et ce travail devra s’accompagner de recherches sur le rôle possible d’autres bactéries. Nous constatons par exemple que la colibactine est parfois associée à d’autres toxines pour lesquelles il faut clarifier les risques cancérigènes possibles », souligne-t-il. Autant dire que le chemin qu’il reste à parcourir est encore long ! 

Source

A. Cougnoux et coll. Small-molecule inhibitors prevent the genotoxic and protumoural effects induced by colibactin-producing bacteria. Gut, édition en ligne avancée du 14 janvier 2015