Les cellules souches du tissu adipeux préfèrent l’apnée

Les cellules souches mésenchymateuses, extraites du tissu adipeux et multipliées pour être utilisées en médecine régénérative, s’avèrent sensibles à leurs conditions de culture ex vivo : si ces dernières sont éloignées des conditions physiologiques, il pourrait exister un risque de transformation tumorale. Une découverte qui invite à modifier les pratiques...

Des cellules souches sont aujourd’hui utilisées pour régénérer tout type de tissus, que ce soit cardiaque, neurologique, cutané… Ces cellules peuvent provenir de plusieurs sources, mais le tissu adipeux en est une qui présente plusieurs avantages : il est abondant, facile à prélever et riche en cellules souches. Une fois extraites, ces dernières doivent cependant être cultivées ex vivo afin d’en obtenir un nombre suffisant pour une utilisation thérapeutique. Dans la pratique, cette culture est réalisée à l’air ambiant, comportant 21% d’oxygène. Une concentration bien supérieure à celle qu’elles rencontrent dans leur tissu d’origine (1 à 7% d’oxygène). Des conditions délétères pour leur croissance ? 

C’est la question à laquelle a voulu répondre une équipe toulousaine*. En étudiant la réplication des cellules souches du tissu adipeux (CSTA) sous pression atmosphérique d’oxygène, les chercheurs ont mis en évidence l’apparition d’évènements inédits sous pression réduite : » Nous avons observé un plus grand nombre de mutations génétiques et de dommages à l’ADN lorsque l’oxygène est concentré » décrit Rémy Bétous*, co-auteur de l’étude. « La réplication des cellules humaines répond à un mécanisme très précis qui peut donc facilement être perturbé par des facteurs extérieurs. Les modifications de l’environnement favorisent le stress réplicatif que nous savons être un facteur prédisposant à la genèse des cancers « .

Modifier les pratiques

En pratique, les cellules étudiées ont été prélevées dans le tissu adipeux de trois donneurs différents. L’expansion des CSTA a été réalisée selon les normes classiques sous pression atmosphérique (21% d’oxygène), ou sous pression réduite d’oxygène (1%). Dans tous les échantillons cultivés sous 21% d’oxygène, les lésions oxydatives de l’ADN étaient significativement plus nombreuses dans les cellules. Parallèlement, les fourches de réplication de l’ADN, via lesquelles le matériel génétique d’une cellule est dupliqué avant son dédoublement, présentaient des arrêts intempestifs. En d’autres termes, la réplication cellulaire était partiellement ralentie ou bloquée, favorisant l’apparition de mutations génétiques. Un ensemble d’évènements connu pour être tumorigène. 

A la lumière de cette étude, les conditions de culture devraient être optimisées. Jean-Sébastien Hoffmann*, qui a dirigé le travail, précise : » Toute modification de leur environnement habituel est un stress pour les cellules. Tout comme leur culture ex vivo, les conditions hyper-oxydatives sont une source de stress. Jusqu’à présent, le risque tumorigène lié à la culture des cellules souches ex vivo était assez débattu. Mais nous avons ici des données qui invitent au principe de précaution. Nous proposons qu’une pression réduite d’oxygène soit désormais utilisée par les équipes qui travaillent sur ce type de cellules à des fins thérapeutiques ». Un résultat qui peut sans doute être transposé à d’autres types de cellules, elles aussi habituées aux basses pressions d’oxygène. Rémy Bétous conclut : » Aucun cas de cancer n’a jusqu’à présent été rapporté après avoir implanté des cellules souches régénératives, mais le principe de précaution invite tout de même à adapter dès maintenant les méthodes de culture cellulaire « .

Note

* Centre de Recherches en cancérologie de Toulouse (CRCT ; INSERM UMR 1037) 

Sources

R Bétous et coll. Human Adipose-Derived Stem Cells Expanded Under Ambient Oxygen Concentration Accumulate Oxidative DNA Lesions and Experience Procarcinogenic DNA Replication Stress. Stem Cells Translational Medicine 2016;5:1–9. http://dx.doi.org/10.5966/sctm.2015–0401