Cancers du sein agressifs : empêcher les métastases

Des chercheurs ont découvert un mécanisme moléculaire expliquant l’agressivité de certains cancers du sein peu sensibles aux traitements actuellement disponibles. Mieux encore, les chercheurs explorent déjà de nouvelles pistes thérapeutiques pour bloquer ce mécanisme, source de métastases.

Près de 15% des femmes atteintes d’un cancer du sein souffrent d’une forme particulièrement invasive, dite triple négatif. Chez ces patientes, les cellules tumorales migrent rapidement pour aller former des métastases ailleurs dans l’organisme. Une équipe française* a découvert que cette forte capacité à former des métastases est liée à l’activité d’une protéine nommée Prickle1. De quoi ouvrir de nouvelles pistes pour la prise en charge de ces tumeurs peu sensibles à l’arsenal thérapeutique aujourd’hui disponible. 

L’étude a démarré in vitro, sur une lignée de cellules tumorales, modèles du cancer du sein triple négatif. Dans un premier temps, les chercheurs ont découvert que ces cellules produisent deux à trois fois plus de protéine Prickle1 que des cellules de cancer du sein classiques. De plus, ils ont observé que Prickle1 s’y adjoignait les services de deux autres protéines : Mink1 et Rictor. Troisième découverte : une fois formé, ce trio protéique malfaiteur active une enzyme nommée AKT, précisément connue pour son implication dans la croissance et la dissémination des cellules tumorales... En empêchant l’expression du gène codant Prickle1, ou l’interaction de cette dernière avec ses deux partenaires, l’équipe a réduit de 60% à 90% la capacité de ces cellules à migrer ! 

Métastases bloquées chez des souris

Mais qu’en est-il in vivo ? Pour le savoir, les chercheurs ont greffé à des souris des cellules tumorales semblables à celles étudiée in vitro, mais dans lesquelles l’expression de Prickle 1 ou Mink1 est inhibée. Résultat : trente-trois jours après, le volume de la tumeur primaire formée était significativement inférieur, de 50% à 90%, à celui des tumeurs de souris greffées avec des cellules tumorales triples négatives non modifiées. « Mais surtout, les métastases, observées dans les poumons et le foie, étaient nettement moins nombreuses... certaines souris en ayant même développé aucune ! », précise Jean-Paul Borg qui a dirigé cette étude au Centre de recherche en cancérologie de Marseille (CRCM).

À d’autres souris, l’équipe a ensuite greffé des cellules tumorales, toujours issues de la même lignée, mais dans lesquelles Prickle1 et Rictor ne peuvent interagir. Bilan des courses : seules trois souris sur huit ont développé des métastases dans les poumons, contre sept sur sept chez les souris témoins greffées avec des cellules tumorales modèles du cancer du sein triple négatif non modifiées. Des résultats similaires ont été observés concernant les métastases hépatiques : ces dernières concernaient deux souris sur huit lorsque Prickle1 et Rictor ne pouvaient interagir, versus sept sur sept dans le groupe témoin. 

Trois pistes thérapeutiques déjà à l’étude

L’implication du trio de malfaiteurs Prickle1-Rictor-Mink1 ne fait donc plus aucun doute ! Voilà pourquoi l’équipe a rapidement breveté son exploitation thérapeutique. « Une première stratégie pourrait rapidement être testée dans un essai clinique : la prescription de médicaments déjà disponibles capables d’inhiber l’activité de l’enzyme AKT. Testée in vitro par notre équipe, cette stratégie a réduit jusqu’à 95% la migration des cellules tumorales », indique Jean-Paul Borg. Parallèlement, les chercheurs sont en train de monter un projet avec un laboratoire pharmaceutique pour développer un médicament capable d’inhiber l’activité de Mink1. Si tout se passe bien, de premiers essais sur des patientes pourraient démarrer en 2020. Enfin, les chercheurs comptent aussi explorer une troisième piste, plus ardue : développer un médicament capable de bloquer l’interaction entre Prickle1 et Rictor. On l’aura compris, diverses stratégies sont donc envisageables. Elles pourraient même être testées en combinaison, pour une efficacité encore plus forte. 

Note

* Equipe « Polarité cellulaire, Signalisation et Cancer », labellisée par la Ligue nationale contre le cancer, Centre de recherche en cancérologie de Marseille – unité 1068 Inserm/Institut Paoli-Calmettes/ Aix-Marseille Université/CNRS.

Source

A. M. Daulat et coll, PRICKLE1 Contributes to Cancer Cell Dissemination through Its Interaction with mTORC2, Developmental Cell 37, 311–325, 23 mai 2016.