Les antalgiques sur le banc des perturbateurs endocriniens

Paracétamol, aspirine et indométacine inhibent la production de testostérone chez l’adulte. Ce constat effectué par des chercheurs de l’Inserm incite à la vigilance chez les gros consommateurs d’antalgiques, notamment chez les sportifs de haut niveau.

Dans certaines circonstances, les antalgiques les plus utilisés pourraient bien agir comme des perturbateurs endocriniens, au même titre que le bisphénol ou les phtalates tant décriés. C’est ce qu’indique une étude menée sur des échantillons de tissu testiculaire d’hommes adultes, mis en culture avec du paracétamol ou des anti-inflammatoires non stéroïdiens tels que l’aspirine et l’indométacine.

Un effet nocif suggéré par des études de cohortes

L’équipe Inserm à l’origine de ce travail avait participé à la collecte de données épidémiologiques qui suggérait l’existence d’un lien entre la prise d’antalgiques pendant la grossesse et la cryptorchidie chez le fœtus (absence de descente d’un ou deux testicules dans le scrotum). Les chercheurs avaient alors entamé de nombreux travaux chez l’animal pour évaluer le risque endocrinien des antalgiques. Jusque ici, tous les résultats obtenus convergent vers une confirmation du caractère perturbateur endocrinien de ces médicaments : « Quatre études de cohorte indépendantes mettent en évidence une association entre antalgiques et risque de cryptorchidie. Et nos travaux chez le rat montrent une baisse de la production de testostérone, ou encore une féminisation des rats nouveau-nés masculins », décrit Bernard Jégou, directeur de l’Institut de recherche, santé, environnement et travail (IRSET)* à Rennes, et responsable du programme de recherche. 

Baisse de testostérone chez l’adulte

Pour aller plus loin, les chercheurs ont obtenu le soutien de l’Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé (ANSM) afin de mener des recherches chez l’humain, du stade fœtal au stade adulte. « Je rappelle qu’il s’agit des médicaments parmi les plus utilisés dans le monde. La conduite de ces travaux est donc un enjeu de santé publique », estime Bernard Jégou. 

Les résultats de la première phase de ce programme de recherche viennent d’être publiés dans la revue Human Reproduction : les chercheurs ont exposé des explants testiculaires d’hommes adultes à différentes doses de paracétamol, d’aspirine ou d’indométacine pendant au moins 24 heures, et les conséquences observées sont sans appel. « A des concentrations équivalentes à celles retrouvées dans le plasma en cas de prise de ces molécules, chacune d’elles perturbe la production d’hormones stéroïdiennes et d’autres facteurs nécessaires à la masculinisation et la fertilité », explique le chercheur. En pratique, cela se manifeste par une baisse de production de la testostérone mais également des prostaglandines ou encore de l’insulin-like factor 3 (facteur impliqué dans la descente des testicules). 

Risque pour les gros consommateurs

Ces résultats établissent le rôle potentiel de perturbateur endocrinien de ces médicaments. De plus, ils interpellent sur leur usage massif et chronique par certaines catégories de personnes : « Certains athlètes de haut niveau en usent et en abusent, notamment à des fins préventives. Outre les risques potentiels sur la fertilité ou sur la santé en général, ces produits qui provoquent une baisse de production de testostérone pourraient donc être contre-productifs en terme de performances », conclut Bernard Jégou. 


Note :
* Unité 1085 Inserm / Université de Rennes 1 

Source :
Albert et coll., Paracetamol, aspirin and indomethacin display endocrine disrupting properties in the adult human testis in vitro. Human Reproduction, édition en ligne du 12 mai 2013